Ces manœuvres pour manipuler le Synode (I)

Une interview d'Edward Pentin, l'auteur du livre explosif "The Rigging of a Vatican Synod?" sur La Bussola

>>> Voir aussi: Un second synode manipulé ?

>>> A suivre: la traduction par Anna d'un extrait du livre.

 

L'auteur de l'interview, Marco Respinti, s'entoure de précautions rhétoriques inimaginables - et même franchement déplaisantes lorsqu'il s'en prend à ces catholiques "écoeurants" (sic!) qui veulent apprendre au pape à faire le pape -, rendues nécessaires par l'atmosphère inédite de chasse aux sorcières qui entoure cette papauté.
Faut-il y voir un effet de la jurisprudence Gnocchi/Palmaro (évincés de Radio Maria), Magister (évincé de la Salle de Presse du Vatican), Pat Archbold (évincé du National Catholic Register), etc.. pour avoir osé critiqué François (ou du moins émettre des réserves)?
Mais ces "précautions" sont aussi la condition sine qua non pour faire passer la dénonciation, elle-même prudente, des "magouilles" entourant le précédent Synode, par Edward Pentin.

Ces manœuvres pour manipuler les travaux du Synode

Marco Respinti
9/10/2015
www.lanuovabq.it
Ma traduction


Dimanche (4 octobre), François a souligné que le Synode des Évêques n'est pas un parlement, autrement dit que la vérité n'est pas le fruit de la démocratie, du "à mon avis". C'est clair. Peut-être. Parce que Mgr Bruno Forte, qui est le Secrétaire spécial du Synode, insiste pour dire que l'assemblée des évêques a une nature "pastorale", et il y a un risque que ses mots soient instrumentalisés par ceux qui espérent des séparations gênantes entre doctrine et pastorale. En effet, le rapporteur général du synode, le cardinal Peter Erdö, a tenu à souligner qu'entre le bien et le mal, il ne peut y avoir aucun compromis: bref, que nous sommes dans l'Église catholique, pas chez le coiffeur. Nécessaire?

Oui, parce qu'évidemment, tout le monde n'a pas pris de notes pendant que le Pontife, dans une seconde intervention, a rappelé que le Synode ne concerne pas seulement les questions déjà décidées depuis un certain temps par quelques Pères synodaux ou les médias, et que, parmi ceux qui n'ont pas pris de notes, il y en a qui sont extérieurs au Synode - voir Mgr Krzysztof Charamsa et son Eduard (...) - et d'autres à l'intérieur (voir Mgr Paul-André Durocher, ancien président de la Conférence des évêques catholiques du Canada, qui a sorti la proposition d'ordonner diacres des femmes). Bref, le risque que le Synode de 2015 soit comme le Synode extraordinaire de 2014 existe. Une manipulation ou plutôt une "présumée manipulation", comme l'indique le journaliste britannique Edward Pentin dans son nouveau livre The Rigging of a Vatican Synod? An Investigation of Alleged Manipulation at the Extraordinary Synod on the Family (Ignatius Press, 2015) qui en Italie est passé pratiquement inaperçu (ndt: et en France!).

«Dans les salles du Vatican, l'inquiètude abonde», dit Pentin à la Nuova Bussola. «Beaucoup considèrent le Synode comme une création de ceux qui s'opposent à l'enseignement de l'Eglise, ce qui en fait une entreprise extrêmement risquée qui pourrait s'avérer porteuse de beaucoup de division jusqu'à conduire peut-être - certains le disent - au schisme. Le Saint-Père nous exhorte à avoir confiance dans l'Esprit Saint et tout pourrait bien se terminer, mais les présages ne sont pas merveilleux».

L'Assemblée extraordinaire des évêques d'Octobre 2014 fut-elle en fait un piège pour faire avaler à toute l'Eglise catholique le morceau indigeste du déclassement du divorce, de l'"escompte" aux "remariés", et même de la bénédiction des relations homosexuelles? Bien sûr que non, Pentin ne songe même pas à l'affirmer (!!). Primo, parce que, si tel avait été le cas, aujourd'hui, on ne pourrait plus parler d'Église catholique. Secundo, parce que ceux qui ont pensé le faire n'y ont pas réussi. Tertio, parce que, malgré ce que pensent et veulent les médias, une assemblée générale d'évêques n'est pas une arène d'affrontement entre pyromanes et pompiers. Et pourtant, le sentiment qu'au Synode extraordinaire de l'an dernier, quelque chose d'inhabituel s'est passé demeure. Et même, à lire The Rigging of a Vatican Synod?, le sentiment devient certitude, d'ailleurs ratifiée par les contributions d'un grand nombre de princes de l'Eglise et d'observateurs de luxe, y compris le cardinal Wilfrid Fox Napier et le cardinal Paul Cordes, Stephan Kampowski (Professeur d'anthropologie philosophique à l'Institut pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille à Rome) et Austen Ivereigh (fondateur de Catholic Voices et auteur de "Tempo di misericordia. Vita di Jorge Mario Bergoglio") [à l'origine du concept de Team Bergoglio, ndt]. Des témoins faisant autorité, c'est-à-dire qui ont participé aux travaux du Synode ou bien qui sont informés au-delà de tout doute raisonnable, et qui ne viennent pas seulement du parti écoeurant (ndt: le mot utilisé est fort: stucchevole) de ceux qui pensent savoir mieux que le pape comment faire le pape (et qui pour cette raison lui administrent chaque jour des leçons et des avertissements non sollicités), qui aiment le Pape à condition que ce ne soit pas ce Pape, qu'ils étudient en catholiques protestaires sinon déjà protestants.

Pentin est au contraire un journaliste chevronné et de grande expérience, qui depuis plus de 12 ans suit les papes et les affaires du Vatican. Consultant pour la communication de l'Institut Dignitatis Humane, il est correspondant du bimensuel The National Catholic Register (le plus ancien titre catholique des Etats-Unis) et du périodique Catholic World Report, publié par Ignatius Press. Bref, le petit groupe des opposants à François ne le compte parmi ses membres, ni son éditeur, le père jésuite Joseph Fessio, un élève de Benoît XVI, qui a fondé en Californie en 1976 et depuis lors contrôle Ignatius Press, connu pour la fidélité cristalline au Magistère et jamais en odeur de fronde. Au point que pour le cardinal Napier, archevêque de Durban, en Afrique du Sud, et co-président du Synode sur la famille qui s'est ouvert dimanche, The Rigging of a Vatican Synod? est «une exposition absolument fascinante du Synode de 2014, en particulier pour les machinations qui l'ont entouré».

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Marco Respinti: Le verbe utilisé pour titrer votre livre évoque la «fraude» et l'idée «d'avoir truqué les cartes». Le Synode extraordinaire de 2014 rien moins que manipulé. N'est-ce pas exagéré?

Edward Pentin: «Le titre du livre est une question. Et c'est parce que, dans ses pages, je ne fais que présenter ce qui serait les preuves d'une manipulation présumée, laissant au lecteur le soin de tirer des conclusions. Ceux qui considèrent que les preuves sont convaincantes disent que le point d'interrogation devrait être remplacé par un point d'exclamation, mais au contraire, d'autres - participants ou non aux travaux du Synode - disent que les choses n'ont pas été aussi nettes. Quoi qu'il en soit, ce qu'on peut certainement dire, c'est que les organisateurs du Synode, à commencer par son secrétaire général, le cardinal Lorenzo Baldisseri, et par Mgr Bruno Forte, secrétaire spécial, plus 6 ou 7 autres responsables, ont déterminé un agenda spécifique et l'ont fait d'une manière agressive, en plus d'être souvent inepte».

Quel agenda?

«De fait, ils ont fait pression afin que le débat sur le mariage et la famille aille dans le sens d'une "modernisation" de l'Eglise, et cela parce qu'ils considèrent que la pastorale traditionnelle, dépassée, nécessite d'être réformée. Ils pensent en effet qu'ainsi, l'Église saura mieux aborder les problèmatiques complexes d'aujourd'hui, se faisant "plus miséricordieuse" ou plus en phase avaec l'époque. Au Synode extraordinaire, la discussion s'est concentré sur le divorce et sur les "secondes noces", mais il a été immédiatement clair que pour certains, celles-ci étaient des "chevaux de Troie" servant à introduire des changements subreptices dans l'approche de l'Eglise envers la sexualité en général et les relations homosexuelles en particulier. Ceux qui pensent ainsi disent qu'au Synode, il n'y a eu aucune manipulation, mais en même temps, admettent que pour vaincre certaines résistances fortes, on a eu la main un peu lourde»

Dans le livre, vous mettez surtout l'accent sur la Relatio post disceptationem…...

«La plupart des observateurs ont réalisé que quelqu'un (ndt: ???) pilotait probablement le Synode dans une certaine direction justement ce jour-là, le 13 Octobre de l'année dernière, le jour où le Rapporteur général, le cardinal Peter Erdö, a lu cette Relation partielle sur les travaux. Et cette Relation a eu un impact énorme sur l'opinion publique. Les médias l'ont immédiatement décrite comme "révolutionnaire". Gardez présent à l'esprit que les journaux en ont reçu le texte avant les Pères synodaux, il n'ont donc pas eu le temps de préparer une réponse officielle (velina), ce qui, comme l'a dit George Weigel dans le mensuel First Things (1), a permis de claironner, indépendamment de la tendance réelle du Synode: "Enfin, c'est arrivé. L'Eglise est en train de changer". Comme l'a dit le cardinal Napier, une fois que les médias se sont formé leur idée de l'affaire, "il n'y a aucun moyen de les faire changer d'avis". Beaucoup ont par ailleurs été frappés par le fait que la Relatio ne contenait aucune référence à l'Écriture et à la Tradition, et que le magistère de Saint Jean-Paul II brillait par son absence. Ce sont exactement des faits comme ceux-là qui font penser à un script préparé à l'avance».

Sur le National Catholic Reporter, l'un des magazines les plus populaires aux États-Unis, Michael Sean Winters, ouvertement progressiste, a rejeté votre livre comme une "attaque dangereuse au Synode" et a qualifié le cardinal Raymond L. Burke de "pétulant". Vraiment, vous en avez après certains Pères synodaux ou même après le Synode tout entier?

«Il ne manquerait plus que cela, c'est plutôt le contraire. Le but du livre est d'aider le Synode sur la famille qui a été inauguré dimanche à être plus équitable, ouvert et adhérant à la perspective du Saint-Père d'une discussion libre dans laquelle tous puissent parler avec parrhêsia, c'est-à-dirs de manière franche et directe (cf. Actes 4,31). J'espère que le livre peut aussi servir comme un outil de catéchèse et aider les lecteurs à comprendre ce qui est en jeu, ce que l'Église enseigne réellement sur des questions clés telles que le mariage et la famille, et aussi la raison pour laquelle il y a tellement de passion autour. Il faut dire aussi, cependant, que le journaliste qui a décrit en ces termes le cardinal et mon livre commence sa recension en disant qu'il n'a lu... mon livre».

Certains diront qu'aussi bien intentionné qu'il soit, votre livre est source de division et même trop dur contre certains hauts prélats ...

«J'ai pensé et repensé longtemps s'il fallait vraiment l'écrire, et cela parce que je ne voulais pas créer du scandale ou raviver de nouvelles discussions stériles. Je comprends donc la préoccupation que vous mentionnez, mais pour que le livre fût un vrai compte-rendu de ce qui est arrivé au Synode extraordinaire, il fallait éviter tout type d'auto-censure. Les médias et les journalistes catholiques doivent toujours respecter la hiérarchie ecclésiastique, mais la déférence ne peut jamais être un motif pour obscurcir la vérité, laquelle doit toujous être dite en entier, quoique avec charité. Je voudrais aussi ajouter que les compte-rendus, s'ils sont basées sur les faits et s'ils cherchent à présenter intégralement la vérité, ce ne sont pas eux qui sont source de division: ce sont plutôt ceux qui commettent des actes qui divisent».