"Dieu ou rien": réflexions du card. Müller (III)

Dernière partie de la recension du cardinal Müller. C'est la partie la plus vigoureuse et, disons, la plus polémique, où le préfet de la CDF s'en prend explicitement à ses confrères allemands, et aborde de front les thèmes brûlants du Synode en cours.

>>> "Dieu ou rien": réflexions du card. Müller (I)
>>> "Dieu ou rien": réflexions du card. Müller (II)

 
A tout prix et, au besoin, en sacrifiant la vérité et l’unité de l’Eglise, on voudrait obtenir de force au moins une modification de la praxis. La doctrine pourrait continuer à subsister provisoirement, à titre de théorie, pour tranquilliser les catholiques d’Afrique et d’Asie, dont l’intelligence des choses et l’intuition ne sont pas encore aussi « avancées » ; dans la pastorale par contre, pour plaire aux hommes, l’ordre des sacrement tel que donné par Dieu est de facto abrogé.

Dieu ou rien.
Réflexions sur le livre du cardinal Robert Sarah

Par le cardinal Gerhard Müller
www.vatican.va
Traduction par Isabelle


L’Eglise, témoin de la vérité et de la bonté de Dieu
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L’Eglise est redevable aux hommes de la vérité de Dieu. Elle ne peut se laisser intimider par des reproches comme celui de déprécier la sexualité ni se laisser entraîner dans le dilemme de sa diabolisation ou de son idolâtrie. L’unité substantielle de l’être humain - esprit, âme et corps –, sa dépendance vis-à-vis de la communauté et la responsabilité trans-générationnelle, l’identité d’homme et de femme dans leur dépendance réciproque essentielle : tous ces facteurs démontrent la pertinence de la doctrine du mariage et de la morale sexuelle que l’Eglise a reçues de Dieu. La progression « sexus, eros, agape » dans la personne des époux révèle le mariage comme la communauté naturelle de vie d’un homme et d’une femme, qui se sont dit « oui » librement et pour toujours. Cela ne vaut pas seulement pour le moment où tout va bien, parce que l’amour signifie un don total et non pas un sentiment d’euphorie, qui ne peut durer. Même si, de l’intérieur de l’Eglise, on réclame une nouvelle morale sexuelle, cela peut être ressenti et salué par certains, qui ignorent la vérité de l’Evangile, comme la libération d’une pression sociale conformiste à l’intérieur de la famille, dans les media et sur le lieu de travail. L’homme n’a rien à gagner à une vieille morale sexuelle païenne, qu’on vante comme quelque chose d’inédit ; celle-ci repose sur de fausses prémisses anthropologiques, contredit diamétralement les commandements de Dieu et, du point de vue de la révélation, doit être qualifiée d’hérétique. Seul ce qui est moralement bon et conforme à la volonté de Dieu peut aussi conduire l’homme au bonheur et au salut. Sans même parler du fait que l’hédonisme est une hérésie vieille comme le monde, dont l’unique base théorique est le nihilisme athée, c’est seulement le point de vue d’une anthropologie athée qui permet de voir la sexualité comme espace libre moralement, où valent tout au plus quelques règles extérieures. En réalité, la sexualité est exposée, de soi, au principe moral de distinction du bien et du mal : dans l’unité physico-spirituelle de la personne, son critère est l’amour et le don, sans réserve ni calcul ni instrumentalisation réciproque.

Nous savons tous, dit le cardinal Sarah, que nous sommes pécheurs et le domaine de la sexualité est précisément celui où se manifeste très clairement la difficulté de l’homme à intégrer la corporéité dans son être comme « personne ».
Dieu ne refuse pas son pardon à l’homme qui reconnaît sa défaillance et regrette sa faute ; il a confié à l’Eglise le pouvoir de pardonner tous les péchés dans le sacrement de pénitence. Le scandale, ce n’est pas que le sixième commandement ait toujours été et soit toujours enfreint. Le scandale – et ce serait en même temps une apostasie - serait que l’Eglise ne nomme plus la différence entre le bien et le mal, ou qu’elle commette le sacrilège de déclarer bon ce que Dieu déclare péché ; ou que l’on recoure à Dieu avec des mots pieux pour justifier le péché plutôt que le pécheur.

Un message de l’Afrique à l’Allemagne catholique
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Avec sa traduction allemande, le livre du cardinal Sarah atteint, dans l’Eglise catholique, l’aire linguistique où la crise de la foi est palpable : églises vides, confessionnaux déserts, quasi absence de candidats au sacerdoce, fermeture d’un couvent après l’autre, connaissance de la foi au niveau d’étiage.
Catholiques et évangéliques confondus, c’est, en 2014, largement plus d’un demi million de chrétiens, devenus par le baptême des enfants de Dieu, qui ont publiquement tourné le dos à l’Eglise de Jésus-Christ. Souvent, on m’a demandé d’où l’establishment de l’Eglise allemande, au vu de tous les symptômes d’un déclin dramatique surtout dans les questions de la morale sexuelle et de la doctrine catholique du mariage, peut tirer sa prétention d’être un guide pour l’Eglise universelle. Si l’on verse du vieux vin dans des outres neuves, les outres pourraient se déchirer et perdre le vin nouveau. En exportant en Afrique les causes de la crise de la foi de l’Europe, on en exportera aussi facilement les conséquences. Il faut essayer autre chose. Les Européens ne doivent pas se poser en professeurs des Africains. Au lieu de proposer aux jeunes églises en croissance le modèle de l’auto-sécularisation en réponse à la crise de la foi, nous devrions importer chez nous, comme un moyen de salut, la richesse spirituelle et la force de la foi des autres. C’est ainsi seulement que l’Eglise catholique peut survivre en Europe et faire renaître à la vie dans la foi ceux qui sont spirituellement morts. Nous pourrions apprendre des jeunes églises et devrions cesser de rire sous cape si, là comme partout où il y a des hommes, il faut aussi déplorer des manquements. Nous ne devrions pas promettre à d’autres que chez eux aussi, on en arrivera là où nous en sommes - comme si la déchristianisation était un processus naturel irrévocable. Non ! Avec la foi, on peut déplacer des montagnes !

Seule une nouvelle évangélisation durable, avec toute l’audace et le zèle des apôtres, pourrait arrêter l’effritement du christianisme en Allemagne. Et pourtant, on se voile la face et on considère, comme un des thèmes centraux d’une pastorale d’avenir, l’accès à la sainte communion des personnes remariées civilement et qui vivent encore dans un mariage religieux valide ou encore la reconnaissance des relations homosexuelles. Et on déploie une activité étonnante : tous les moyens exégétiques, historiques, dogmatiques, avec des appels à la psychologie et à la sociologie, sont mis en œuvre pour déconstruire et relativiser la doctrine chrétienne du mariage, qui découle de l’enseignement de Jésus ; et cela dans le seul but que l’Eglise paraisse socialement conforme et que soient atteints les objectifs cités plus haut. Celui qui reste fidèle à l’enseignement de l’Eglise est combattu dans la presse et, plus encore, blâmé comme adversaire du pape, comme si le pape et tous les évêques en communion avec lui n’étaient pas témoins de la vérité révélée, qu’ils ont reçue comme de fidèles intendants afin que les hommes ne la rabaissent pas à la mesure humaine. Dans ce climat de prétention allemande au leadership de l’Eglise universelle, il peut très bien arriver qu’un préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi reçoive, dans une gazette de boulevard, une leçon sur le concept catholique de révélation de la part d’un fonctionnaire laïc ou d’un professeur. Audace des apôtres et conscience de la foi doivent être opposées à la destruction de la vision chrétienne de l’homme et porter témoignage à la vérité de l’Evangile du Christ, sans gaspiller les forces dans des luttes internes de prestige et sans désigner l’indépendant contre « Rome ».

Le concile dit clairement que la révélation est contenue dans l’Ecriture et dans la tradition et qu’elle est fidèlement interprétée par le magistère. Mais ni le pape ni les évêques ne reçoivent une nouvelle révélation qui dépasserait le depositum fidei (Lumen Gentium 25). Le développement de la doctrine vise à sa compréhen-sion plus profonde et ne peut contracter de rapport dialectique avec son contraire en vue d’une unité supérieure (Dei Verbum 10).

Le mariage valide et sacramentel est indissoluble ou il ne l’est pas. Il n’y a pas de troisième terme. Dans tout le discours sur le dialogue et son long processus, on ne peut en réalité nier l’existence d’une crispation idéologique. A tout prix et, au besoin, en sacrifiant la vérité et l’unité de l’Eglise, on voudrait obtenir de force au moins une modification de la praxis. La doctrine pourrait continuer à subsister provisoirement, à titre de théorie, pour tranquilliser les catholiques d’Afrique et d’Asie, dont l’intelligence des choses et l’intuition ne sont pas encore aussi « avancées » ; dans la pastorale par contre, pour plaire aux hommes, l’ordre des sacrement tel que donné par Dieu est de facto abrogé. L’opposition est transposée en Dieu lui-même : d’un côté, le bon Créateur et le Rédempteur plein de miséricorde justifie la grâce et l’indissolubilité du mariage ; et, de l’autre , effrayé par leurs conséquences intenables, en vient à suspendre ses commandements. L’opposition, en Dieu lui-même, de la miséricorde et de la justice le contraindrait même à suspendre la grâce irrévocable dans le sacrement de mariage, pour permettre d’autres mariages durant la vie du conjoint légitime, en totale contradiction avec Jésus, qui rendait la « dureté de cœur » des pharisiens responsable de la tolérance mosaïque à l’égard de la séparation et du remariage.

En ce qui concerne la séparation entre la doctrine de la foi et sa praxis, nous devrions être, en Allemagne surtout, très vigilants et ne pas oublier la leçon de l’Histoire de l’Eglise. Le commerce des indulgences est devenu, dans la fatidique année 1517, la cause de la réforme protestante et de la scission involontaire de la chrétienté occidentale. Ce n’est pas la doctrine de Johann Tetzel sur la remise des peines temporelles qui était fausse, nous le savons aujourd’hui ; le bât blessait plutôt dans une praxis qui ne respectait pas la doctrine et créait ainsi de fausses apparences. Les docteurs de la foi n’ont pas le droit de bercer les hommes dans une fausse sécurité de salut, simplement pour ne pas provoquer de scandale. Et la protestation originelle de Luther contre la négligence des pasteurs de l’Eglise était justifiée, parce qu’on ne peut pas jouer avec le salut des âmes, même si le but poursuivi avec cette mystification était louable. Nous n’avons pas le droit de tromper les hommes en ce qui concerne la sacramentalité du mariage, son indissolubilité, son ouverture à l’enfant et la complémentarité fondamentale des deux sexes. L’aide pastorale doit considérer le salut éternel, sans chercher à complaire superficiellement aux souhaits des hommes.

Nul ne peut contester que le chemin vers la résurrection passe par la croix du Christ et que chaque chrétien, dans le mariage et la famille, dans l’état sacerdotal et la vie religieuse, doit prendre sa croix chaque jour. A ses disciples, Jésus n’a pas promis une vie facile, conforme à l’esprit du temps ; mais il nous a promis : « Reste fidèle jusqu’à la mort et je te donnerai la couronne de vie » (Ap. 2, 10).

Nous sommes d’accord sur ce point que les chrétiens engagés dans un mariage sacramentel valide et qui contractent dans le même temps un mariage civil non reconnu par l’Eglise, ont besoin de la sollicitude particulière de l’Eglise. Cela vaut aussi à cause des enfants, qui vivent souvent un conflit entre l’amour pour leurs parents et, d’autre part, la connaissance des commandements de Dieu et de l’enseignement de l’Eglise. La pleine réconciliation avec l’Eglise dans le sacrement de pénitence et dans la réception de la sainte communion ne peut toutefois pas remplacer le chemin escarpé qui mène au but ; elle peut être seulement le but d’un chemin qui mène à la clarification théologique du statut du mariage sacramentel. La vérité sacramentelle du mariage ne peut être ignorée. C’est la réalité fondée par Dieu, sur laquelle doit s’orienter la situation de fait de l’homme. Et ce n’est pas, à l’inverse, l’homme qui doit se faire la mesure de Dieu dans son ordre de création et de rédemption.

Je remercie Monsieur le Cardinal de son courage : il n’a pas voulu cacher aux catholiques d’Afrique et d’Europe la vérité de la foi catholique et ses conséquences dans la praxis pastorale, ni réduire cette vérité de moitié par souci de compromis. Je ne peux pas croire à moitié en la divinité du Christ ou lui dire seulement « Seigneur, Seigneur », sans faire la volonté de son Père dans le ciel (Mt 7, 21).

Face à Dieu, il n’y a que tout ou rien. Avec Dieu, nous avons tout et sans Dieu nous ne sommes rien.

Tel est le fil conducteur de l’ouvrage du cardinal Sarah, dans lequel il touche au fond des thèmes les plus importants du christianisme post-moderne.

Mes réflexions à cet égard ne veulent pas se substituer à l’étude de ce livre mais seulement inviter à sa lecture.

Fin