Fin du Synode

Une analyse de la Relation finale, sur la Bussola. Et le discours conclusif du pape.

>>> La Relatio sur le site du Vatican (en italien).
Je précise que je n'ai pas lu ce pensum en entier, mais c'est un document qui permet de revenir à la source.

En lisant la si attendue "Relation finale" (en diagonale, je l'avoue) , on a envie de dire "la montagne a accouché d'une souris", ou "tout ça pour ça?".
En réalité, il m'étonnerait beaucoup que les "novateurs" (et le Pape!) aient déployé toute cette énergie durant deux ans pour faire de ce texte de compromis lénifiant un point final. Et cela confirme les prévisions des observateurs les plus perspicaces: le vrai Synode commencera après le Synode.

Un autre aspect intéressant est la perception des médias: ce matin, j'ai lu et entendu des commentaires diamétralement opposés. D'un côté "le Pape a remporté une grande victoire" (JM Guénois, le cardinal Vingt-Trois qui dans le JDD, journal du groupe Lagardère, s'en prend peu élégamment à ses treize courageux confrères en parlant d'une lettre clandestine qu'il se défend vigoureusement d'avoir signée... je me disait aussi ...). De l'autre: "les conservateurs l'ont emporté" (Damian Thompson).
Ont-ils assisté aux mêmes débats, lu la même Relatio, ou entendu le même discours papal? Et qui croire?
Si l'on s'en tient à la Relatio (qui, rappelons-le, n'a aucune valeur contraignante pour le Pape) les seconds probablement.
Mais si l'on pense à la pagaille commencée avec le pré-synode, à laquelle les conclusions des Pères ne cherchent même pas à mettre un terme, les premiers pourraient bien être les vrais gagnants.

Le synode se termine par un compromis, mais laisse l'impression d'une Église divisée

Lorenzo Bertocchi
25/10/2015
www.lanuovabq.it
Ma traduction


Le long chemin synodal sur la famille a franchi la ligne. «Bien sûr, - a déclaré François dans son discours de clôture de l'Assemblée - cela ne signifie pas avoir conclu toutes les questions liées à la famille, mais avoir essayé de les éclairer avec la lumière de l'Evangile, de la tradition et de l'histoire bimillénaire de l'Eglise, inspirant à travers elles la joie de l'espérance, sans tomber dans la répétition facile de ce qui est indiscutable ou déjà dit».

Les 94 paragraphes de la Relatio finale ont tous obtenu la majorité des deux tiers, et les seuls qui ont obtenu le résultat avec peine ont été ceux qui ont trait à la question de l'accompagnement des divorcés remariés. En particulier le paragraphe 85 a atteint les deux tiers par un seul vote, 178, contre 177 nécessaires. D'autres thèmes très sensibles, comme l'homosexualité, ont de fait disparu du texte. Une autre considération concerne la différence évidente entre la Relatio et l'Instrumentum laboris, très discutée, et, surtout, la tristement célèbre Relatio post-disceptationem du synode en 2014.

DIVORCÉS REMARIÉS, AUCUNE MENTION DE L'EUCHARISTIE
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Les trois paragraphes sur les divorcés et remariés, §84, §85 et §86, reprennent en grande partie les travaux du cercle Germanicus, comprenant le cardinal Walter Kasper, les cardinaux Muller et Schönborn, et qui dès le début, avait été identifié comme la voie de la médiation possible. C'est le cardinal Schönborn qui a fourni l'interprétation du texte dans l'habituel point-presse à l'heure du déjeuner: «Nous n'avons pas parlé directement de l'accès aux sacrements», mais on a indiqué la voie du discernement pour l'intégration de ces couples dans les communautés chrétiennes.
C'est le premier point qui doit être précisé: dans le texte, comme l'a souligné Schönborn, il n'y a aucune référence à l'Eucharistie. Dans le §85, on cite, comme l'avaient fait les pères du cercle allemand, la première partie de l'Exhortation apostolique Familiaris consortio au paragraphe 84, où il était question, justement, de «bien discerner les situations». Puis, on dit qu'«il est du devoir des prêtres d'accompagner les personnes concernées sur la voie du discernement selon l'enseignement de l'Eglise et les orientations de l'évêque». Enfin, au-delà de ces «orientations de l'évêque» qui pourraient lieu à des réalité très hétérogènes, le §86 indique que «ce discernement ne pourra jamais ignorer les exigences de la vérité et de la charité de l'Evangile proposés par l'Eglise. Pour cela, les conditions nécessaires d'humilité, de réserve, d'amour pour l'Eglise et son enseignement, dans la recherche sincère de la volonté de Dieu et le désir de parvenir à une réponse plus parfait à elle, doivent être garanties».

Il est assez évident que le choix de ne pas mentionner spécifiquement l'accès au sacrement, et donc les questions posées par l'intégralité du §84 de Familiaris consortio, est le compromis atteint dans le but de recueillir un nombre de voix suffisant pour atteindre les deux tiers. En particulier, il faudra donc comprendre si le Pape lui-même voudra s'exprimer clairement sur la question dans un éventuel document, comme par exemple une exhortation apostolique, ou autre. De toute façon, on a jeté les bases pour un discernement plus attentif envcers des réalités qui «ne doivent pas se sentir excommuniées».

PERSONNES HOMOSEXUELLES, UN SEUL PARAGRAPHE
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Il n'en est question qu'au §76, et uniquement en référence aux familles qui vivent l'expérience d'avoir en leur sein un personne homosexuelle, à ce sujet «l'Eglise réaffirme que toute personne, indépendamment de son orientation sexuelle, doit être respectée dans sa dignité et accueillie avec respect, avec le soin d'éviter «toute marque de discrimination injuste». Mais il n'y a aucune allusion à une quelconque forme de reconnaissance des couples de même sexe. «Quant aux projets d'égalisation des unions entre personnes homosexuelles et du mariage - lit-on le texte - il n'existe absolument aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu pour le mariage et la famille».
Le Synode considère en tout cas comme tout à fait inacceptable que les églises locales subissent des pressions à ce sujet, et que les organismes internationaux conditionnent l'aide financière aux pays pauvres à l'introduction de lois qui établissent le "mariage" entre personnes du même sexe» (sans doute une concession aux évêques africains).

PATERNITÉ ET MATERNITÉ» RESPONSABLE (HUMANAE VITAE)
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Toute référence à la formulation du problématique §137 de l'Instrumentum laboris disparaît, tandis qu'au §63 de la Relatio, on peut lire que «conformément au caractère personnel et humainement complet de l'amour conjugal, le juste chemin pour la planification (?!!) familiale est celui d'un dialogue consensuel entre les époux, du respect des temps et de la considération de la dignité du partenaire (?!!!). En ce sens, l'encyclique Humanae Vitae (cf. 10-14) et l'Exhortation apostolique Familiaris Consortio (cf. 14, 28-35) doivent être redécouvertes pour réveiller la volonté de procréer en opposition avec une mentalité qui est souvent hostile à la vie. Nous devons exhorter inlassablement les jeunes couples à donner la vie. C'est de cette façon que peut grandir l'ouverture à la vie dans la famille, dans l'Eglise et dans la société».

REFUS DE L'IDÉOLOGIE DU GENDER
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§8: Un défi culturel actuel d'une grande importance émerge de cette idéologie du «gender» qui nie la différence et la réciprocité naturelle de l'homme et de la femme. Elle envisage une société sans différences entre les sexes, et vide le fondement anthropologique de la famille. Cette idéologie induit des projets éducatifs et des orientations législatives qui promeuvent une identité personnelle et une intimité affective radicalement détachée de la diversité biologique entre mâle et femelle. L'identité humaine est confiée à une option individualiste, voire modifiable au fil du temps. (...)

Et au §58, il y a un passage important sur la question de l'éducation: «Dans le changement culturel en acte, on présente souvent des modèles contraires à la vision chrétienne de la famille. La sexualité est souvent détachée d'un projet d'amour authentique. Dans certains pays, l'autorité publique a même imposé des projets de formation présentant des contenus opposés à la vision humaine et chrétienne: à ce sujet «il faut affirmer fermement la liberté de l'Eglise d'enseigner sa doctrine et le droit à l'objection de conscience de la part des éducateurs».

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Au terme de ce long chemin synodal, dans lequel n'ont manqué ni les rebondissements, ni les machinations présumées, ni les herméneutiques de conspiration à toutes les latitudes, les pères ont réaffirmé avec de nouveaux mots l'enseignement de l'Eglise. Par rapport à la course en avant de la Relation intermédiaire du Synode 2014, le coup de frein est plus qu'évident. Ceux qui attendaient de grandes nouveautés se retrouvent avec une Eglise catholique qui dit à nouveau que le mariage entre un homme et une femme, ouvert à la vie, et qui se promettent de s'aimer pour toujours, est la pierre sur laquelle construire le présent et l'avenir de toute société humaine. En outre, il a été rappelé que «le mariage chrétien ne peut pas être réduit à une tradition culturelle ou à un simple accord juridique, c'est un véritable appel de Dieu qui exige un discernement attentif, la prière constante et une maturation adéquate».

Certes, tout n'est pas comme avant, et nous devons tous nous laisser enrichir par l'Esprit qui est à l'oeuvre dans l'Eglise, mais il apparaît clairement qu'il y a une certaine fracture dans la communauté et que, peut-être, le Synode ne se termine pas là.

L'article de Lorenzo Bertocchi s'achève sur un lien vers le discours de clôture du Pape, sous le titre "Le Pape fustige les évêques".
Le discours a été traduit hâtivement en français sur le site du Vatican, ICI.

Je ne sais pas si le verbe "fustiger" utilisé par La Bussola est approprié, mais il est certain que le discours papal laisse transparaître une certaine acrimonie, et que la critique récurrente aux défenseurs de la doctrine se fait acerbe. Ce n'est pas un discours super partes, comme on pourrait s'y attendre de la part d'un pape qui voudrait apaiser les querelles, et François ne se gêne pas pour faire des allusions plutôt lourdes qui sont autant de piques.... toujours aux mêmes.
J'ai relevé quelques passages:

Alors que je suivais les travaux du Synode, je me suis demandé : que signifiera pour l’Église de conclure ce Synode consacré à la famille ?
[Suivent un certain nombre de réponses convenues, qui ne s'écartent pas de l'orthodoxie, jusqu'aux dernières]:
(...)
Il signifie (sic!) avoir mis à nu les cœurs fermés qui souvent se cachent jusque derrière les enseignements de l’Église ou derrière les bonnes intentions pour s’asseoir sur la cathèdre de Moïse et juger, quelquefois avec supériorité et superficialité, les cas difficiles et les familles blessées.
Il signifie avoir affirmé que l’Église est Église des pauvres en esprit et des pécheurs en recherche du pardon et pas seulement des justes et des saints, ou plutôt des justes et des saints quand ils se sentent pauvres et pécheurs.
Il signifie avoir cherché à ouvrir les horizons pour dépasser toute herméneutique de conspiration ou fermeture de perspective pour défendre et pour répandre la liberté des enfants de Dieu, pour transmettre la beauté de la Nouveauté chrétienne, quelquefois recouverte par la rouille d’un langage archaïque ou simplement incompréhensible. Sur le chemin de ce Synode les diverses opinions qui se sont exprimées librement – et malheureusement parfois avec des méthodes pas du tout bienveillantes – ont certainement enrichi et animé le dialogue, offrant une image vivante d’une Eglise qui n’utilise pas ‘des documents préparés d’avance’ (!!!), mais qui puise à la source inépuisable de sa foi une eau vive pour désaltérer les cœurs desséchés.

Et – au-delà des questions dogmatiques bien définies par le Magistère de l’Église – nous avons vu aussi que ce qui semble normal pour un évêque d’un continent, peut se révéler étrange, presque comme un scandale, pour l’évêque d’un autre continent ; ce qui est considéré violation d’un droit dans une société, peut être requis évident et intangible dans une autre ; ce qui pour certains est liberté de conscience, pour d’autres peut être seulement confusion. En réalité, les cultures sont très diverses entre elles et chaque principe général a besoin d’être inculturé, s’il veut être observé et appliqué...

[En conclusion de son discours, le Pape ne peut s'abstenir d'un dernier coup de grffe aux "défenseurs de la doctrine"]:

L’expérience du Synode nous a fait aussi mieux comprendre que les vrais défenseurs de la doctrine ne sont pas ceux qui défendent la lettre mais l’esprit ; non les idées mais l’homme ; non les formules mais la gratuité de l’amour de Dieu et de son pardon.


Ajoutons à cela une référence appuyée aux Papes précédents, de Paul VI à Benoît XVI, pour exciper d'une continuité du magistère qui ne saute pas toujours aux yeux....

En somme, tout est plus ou moins conforme à ce qu'on attendait. Il y a de quoi contenter (et mécontenter!) tout le monde.
Reste à voir comment tout cela va se traduire sur le terrain.