François

La lettre de Jeannine du 1er aout 2015

 

Chère Béatrice,

(...)

Je vous lis toujours avec autant de plaisir, surtout lorsque vous parlez de Benoît XVI et de ses magnifiques paroles qui font partie du riche patrimoine qu’il nous a légués à son départ et qu’il complète bien trop rarement pour moi par quelque discours de la veine de celui du 4 juillet. J’aimerais pouvoir connaître les textes des homélies des dimanches et fêtes à Mater Ecclesiae, soigneusement préparées la veille selon Mgr Gänswein, mais cela fait partie des rêves qui ne se réaliseront jamais.

François est toujours le même. De lui, je ne sais que ce que ses proches, ses amis, ont pu dire de sa vie avant le pontificat et après son élection. Puis les confidences de ces personnes, qui me paraissaient les plus fiables, se sont faites plus rares. Il y a eu l’emballement des médias, à commencer par le Père Lombardi :

Avec François c’est un nouveau printemps, un souffle jeune, vivifiant, qui redonne espérance à l’Eglise. Il ne ménage pas son auditoire, pointe avec précision tous les manquements, toutes nos lâchetés, nos insuffisances, chaque parole martelée, répétée, devient une boisson désaltérante.
(benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/la-lettre-de-jeannine-du-17-juillet)


Dans d’autres articles tout aussi dithyrambiques il était question des heureuses surprises que réservaient les premières heures, les premiers jours de ce pontificat. Le Vatican avait été séduit, les foules aussi - sans jeu de mots, la messe était dite. C'était le temps béni où le Père Lombardi, transformé en Chevalier Bayard de François intervenait dès qu’un mot, une idée, pouvait faire naître une éventuelle polémique ou courait le risque d’être mal interprétés. Les conditions de vie seraient-elles moins idéales maintenant? Le départ du pape émérite m'avait fait très mal, mais j’ai souvent ri devant de tels débordements. Que l’on observe honnêtement, sans a priori, le nouveau pontife, pardon le nouvel évêque de Rome, normal, mais de là en faire le centre du monde, l’apparition d’un nouveau soleil, d’un nouveau dieu oserais-je dire, il y avait pour moi une réelle démesure d’autant plus que le personnage n’était pas attaqué et faisait l’unanimité de tous les cardinaux ( dixit son porte-parole ) et de la foule délirante.

Aux confidences des proches sont venues s’ajouter les interviews, une nouveauté pour lui qui n’en avait jamais données, les conférences à bord des avions lors des voyages. C’est un personnage à double façade, et il n’a pas changé. Que ce soit avec Scalfari, avec les autres médias, avec les personnes qu’il choisit pour travailler avec lui, avec celles qu’il évince par manque de souplesse de leur part à son égard, dans le choix des personnes qu’il rencontre, dont il se sent très proche et qui bénéficient par la même occasion d’opinions très flatteuses, on retrouve celui qui sait s’entourer pour atteindre le but qu’il s’est fixé le 13 mars 2013. Il se dit fils de l’Eglise et cela impose certaines limites pour les changements, au-delà de cela c’est le pasteur latino-américain qui parle abondemment, trop, livre ses idées et ses préférences réelles. Il fait ce qu’il décide d’accomplir et avance droit devant lui, comme une lame fendant la glace; même si parfois il paraît faire une concession je pense que ce n’est pas gratuit. Il s’est défini comme rusé, j’ajoute une poigne de fer pour mener tambour battant les réformes qu’il a décidées, une collégialité bien souvent battue en brèche comme pour le choix de certains évêques et autres personnalités qu’il veut dans son entourage.


Pas une minute de repos, pas d’arrêt dans son activité, vieille habitude prise dans son pays, je veux bien mais cette présence quasi constante à Sainte-Marthe, ce temps occupé de la façon la plus productive, me laissent rêveuse. Dès le début j’ai dit qu'en étant sur place, avec des sourires, une attitude débonnaire, cela lui permettait de récupérer des renseignements de première main qui s’avèrent utiles pour les décisions importantes, c’est toujours valable. Bien sûr on doit le tenir au courant de beaucoup de choses mais rien ne vaut de pouvoir juger sur pièce. Il s’avère qu’il sait très habilement rencontrer qui il veut sans en parler.
A son retour d’Amérique latine, il n’a pas été omis de signaler que dès le mardi matin, frais et dispos, il avait repris le travail, l’homme a des principes bien établis.
Si Radio Vatican choisit pour ses articles souvent le même genre de photo : un pape au visage rayonnant, saluant largement la foule que l’on devine à son attitude, il serait bon parfois de faire figurer le pontife au visage fermé, dur, non pas plongé dans la méditation comme il se disait au début, mais montrant son déplaisir, son mécontentement.
François est un pape politique, social et, partant de là, il affiche un caractère tranchant. Il est autoritaire, dur, émaille ses discours de phrases “coup de poing", de mots ordinaires, très réalistes, choquants, destinées à frapper les fidèles: je n’ai pas oublié la perspective d’un coup de poing pouvant être donné en réponse à une attaque verbale éventuelle sur sa mère.
En parlant de vocabulaire, le Vatican a vu l’arrivée d’un nouveau conseiller pour la communication pontificale et François a utilisé dans un de ses discours le mot "herméneutique" avec surabondance, impossible de ne pas l’avoir remarqué car il ne faisait pas partie de son lexique.

Chez lui il y a une dominante: la proximité avec les pauvres, la marque de son pontificat.
Et puis des obsessions mais elle ne sont pas nouvelles : les commérages, l’argent, la critique presque systématique de ses prêtres, réitérée et acerbe, au point de donner envie de fuir plutôt que de s’améliorer, le besoin de vanter toutes les rencontres qu’il fait, en leur attribuant des qualités qu’il dénie à celles de sa propre Eglise. Morigéner, qualificatif utilisé par un journaliste, est parfaitement approprié, ne dit-on pas « qui aime bien châtie bien » ; pour moi point trop n’en faut de crainte de lasser et obtenir le résultat inverse de celui espéré. J’allais oublier la repentance, tant pratiquée, qu’elle en devient banale.


Si la question très directe du journaliste dans l’avion de retour d'Asuncion au sujet de la classe moyenne [(1)] a pu choquer car elle s’adressait au Pape , je pense qu’elle est le résultat de son action pour désacraliser la fonction. Depuis le 13 mars 2013 il a instauré un style de papauté très décontracté, une accessibilité nouvelle fort appréciée, une bonhommie qui fait la joie des médias et des foules survoltées qui viennent le rencontrer, un sourire généreux à ceux qui lui plaisent, une répartition de ses audiences en fonction de qui il veut voir, se rendant indisponible pour les cas qui ne lui agréent pas. Il veut être au niveau de tout le monde et surtout à celui des plus petits. Partant de là et logiquement il offre un accès très direct car il est descendu de son piédestal. Apparemment il en est ravi et apprécie même que, dans certaines circonstances, puisse planer une incertitude quant à l’attitude qu’il devrait adopter, mais il retombe toujours sur ses pattes et impose ce qui lui tient à cœur. Le crucifix sulfureux rapporté du Paraguay au Vatican en est un excellent exemple. Après réflexion il a décidé de le garder, le prêtre qui l’a fait, attaché à la théologie de la libération, lui plaît bien.

Dès son élection il avait dit : «Comme je voudrais une Eglise pauvre pour les pauvres» pas une simple formule de rhétorique mais l’expression d’une aspiration très profonde chez lui. Un jésuite interrogé avait dit à peu près ceci : il fallait réfléchir avant d’élire un jésuite, celui-ci est un pur jésuite. Revenu sur ses terres il a donné une image très précise de l’Eglise qu’il veut installer. Entouré de foules immenses et survoltées il a dû apprécier cet accueil délirant, qualifié de tsunami de joie par un évêque au Paraguay.
Dans ce même pays François a prononcé des paroles publiques manquant totalement de réserve. Il a renouvelé le dérapage des vœux à la Curie romaine, avec lui tout est question d’habitude. Autoritaire, il s’est comporté devant le Président du Paraguay comme un personnage imbu de sa personne, au point de juger un chef de gouvernement (cf. Limites de la communication papale). Le temps d’entretien en tête à tête m’aurait paru mieux convenir pour cette attaque, mais encore faut-il posséder suffisamment de délicatesse pour y penser.
Les jeunes paraguayens ont mis à profit le conseil du pape : mettre le bazar. Je ne suis pas certaine que les huées envers une personnalité donnent une bonne image de l’influence de l’Eglise pour ramener l’ordre, travailler calmement à changer les esprits, pratiquer la tolérance. Pour moi, ce tohu-bohu m’a fait penser à un meeting politico-social, syndical , rien à voir avec la religion et la foi. François m’y est apparu tel un personnage politique très en vue, à la renommée mondiale inégalée, et qui ne demande qu’à l’étendre, vaste programme. Il est accessoirement un chef religieux qui fait lever des interrogations sur sa nouvelle conception de l’Eglise miséricordieuse, ne rejetant personne, respectant toutes les aspirations, ouverte à tout et à tous. Pour moi le dogme, les paroles de l’Evangile étaient les garants d’un pensée droite, sûre; maintenant ce chemin me semble adaptable aux desiderata de la société. Egoïste, incapable d'accueillir les nouveautés de l’Esprit, je me demande ce que sera l’Eglise catholique du futur. Le désir de vouloir tout changer s’apparente à un certain désaveu de tous les prédécesseurs et cela me gêne. Il est de bon ton d’affirmer que François et Benoît XVI c’est pareil. Met-on sur le compte de cette soi-disant continuité la remise au goût du jour de personnages et de pratiques sanctionnées par la CDF et les papes de l’époque.? La sévérité des sanctions ne doit plus être tolérable, aussi le successeur de Pierre y remédie à sa façon.


A propos de la forte baisse du nombre de fidèles, en Allemagne, on pouvait lire sur La Croix du 19 juillet le jugement du mouvement contestataire "Wir sind Kirche" :

«L’esprit réformiste» du pape François n’est pas aussi sensible qu’il le devrait en Allemagne. «Il faut rompre avec la doctrine plus conservatrice du pape précédent, Benoît XVI », estime Christian Weisner, porte-parole de ce mouvement.
(www.la-croix.com/Religion/Actualite/En-Allemagne-l-Eglise-catholique-perd-un-nombre-record-de-fideles)


On ne pouvait pas y échapper, le contraire m’aurait paru suspect.
Dans la première phrase, j’aurais du reste mieux vu: "l’influence de l’esprit réformiste de François n’est pas aussi marquée qu’elle le devrait".

* * *

Je ne suis pas devin mais je ne crois pas que cet homme changera. Il a une mission à accomplir et se donne tous les moyens pour y parvenir. Il y a en lui le côté populaire populiste?) qui a ramené la papauté à une simple fonction, le ravalement extérieur a fait disparaître les symboles qu’il ne peut supporter, le pape est un citoyen lambda qui regrette les pizzas qu’il ne peut plus aller manger, qui aime être vu et acclamé même si sa profonde humilité en souffre. Lorsqu’il invite la foule, des enfants, à reprendre après lui des paroles il me semble revenir au temps du « caté ». Je ne suis pas traditionaliste, tant s’en faut, mais pour comprendre il me faut avoir devant moi une personne affichant des idées claires, précises, ne louvoyant pas entre les objectifs qu’elle doit atteindre et ses aspirations personnelles, créant ainsi des interrogations préjudiciables.
Pour en revenir à la question posée par un journaliste dans l'avion, au sujet de la classe moyenne [(1)], je constate que je fais partie de la pire des catégorie : française, européenne occidentale, pas pauvre, pas assez riche pour être rejetée, bref une personne de la classe normale pour qui tout va bien. Il précise d’ailleurs que cette frange qui devient de plus en plus petite est sans intérêt d’où retour à sa partition favorite : la pauvreté et les pauvres. Il a ajouté qu’un jour, sans précision de date, il s’occupera de nous dans le magistère, pour moi il n’y a pas d’urgence. Il paraît ignorer que pour cette classe sans relief il y a néanmoins des problèmes : le nombre des ordinations en très nette baisse, les églises abandonnées, qui ne peuvent plus être entretenues et vers lesquelles le culte musulman porte son regard, suite au manque de prêtres les messes sont célébrées dans des lieux évalués comme plus porteurs de fréquentation. Les communautés religieuses se trouvent confrontées au vieillissement et au manque d’effectif car la relève ne se fait pas. Elles se regroupent et doivent s’adapter à une vie nouvelle tout en restant fidèles à l’esprit de leur fondateur. Je ne parle pas des aspects financiers, économiques et sociaux qui sont bien réels dans cette Europe occidentale, la Grèce entre autres et qu’il passe sous silence.

Dans toutes ces considérations économiques qui parle de l’importance de la foi? Les naissances ne sont pas automatiquement source de vocations. Pour cela il faut des familles très croyantes avec un mode de vie compatible avec la préservation et l’épanouissement de ce don mais rien ne prouve que les enfants entendront l’appel et répondront oui s’ils le reçoivent. Les riches sont des fauteurs de troubles mais sait-on d’où viennent exactement les fonds énormes gérés par la Caritas Universalis managée par le cardinal Maradiaga? L’Eglise sollicite ses sympathisants pour le denier de l’Eglise, les chantiers du cardinal, la formation des séminaristes, etc… heureusement que, en allant des pas tout à fait pauvres aux très riches, il y a de l’argent, ce partenaire dégradant. Je suis cartésienne et si j’élimine de mon entourage une personne, un produit, je veille à ne pas y avoir recours. Mais comment faire la charité sans ce partenaire qui déplaît tant à l’évêque de Rome?

Dans les périodes de crise il me paraît que des économies drastiques devraient être mises en place. Le Vatican est devenu un excellent client pour les compagnies aériennes tant les réunions avec des personnes des quatre coins du monde se multiplient. Je fais cette remarque car, sur le plan de l’écologie, les transports en général et surtout aériens ne s’entendent pas bien avec l’empreinte carbone qui joue dans l’évaluation d’une terre en bonne santé.

La Curie me paraît toujours être un nid de frelons et avec François nous avons un pape avide de tout changer, multipliant le nombre des personnes qu’il veut près de lui, par souci d’efficacité ou comme preuve d’une hésitation, du besoin de se sentir conforté dans ses souhaits.
Le Synode d’octobre est déjà sur les rails avec, selon le VIS, des nominations qui viennent renforcer l’effectif. Rien ne sera laissé au hasard, qu’en sortira-t-il ? à la grâce de Dieu. Les progressistes doivent affuter leurs arguments car ce ne sont pas de gentils râleurs que l’on peut calmer avec des belles promesses. Ils ne veulent pas d’un "non" adouci pour faire plaisir à ceux qui sont si malheureux. Le but à atteindre est un "oui" franc qui ouvre l’Eglise à tous, toute interdiction, toute mise à l'écart, devant disparaître. Cela n’est pas nouveau, je le dis depuis le début. Il faut une nouvelle Eglise à géométrie variable capable d’évoluer avec le peuple et ses demandes. Je ne crois pas être pessimiste; lucide, réaliste, insensible aux bonnes paroles, oui.

A bientôt

Jeannine

Note

(1)
- Saint-Père, nous avons entendu dans ce voyage beaucoup de messages forts pour les pauvres, et aussi beaucoup de messages forts, parfois sévères, pour les riches et les puissants, mais une chose que nous avons très peu entendue, c’était des messages pour la classe moyenne, c'est-à-dire les gens qui travaillent, les gens qui payent les impôts, les gens normaux, en somme. Ma question est : pourquoi dans l’enseignement du Saint-Père il y a si peu de messages pour cette classe moyenne ? Et s’il y avait un tel message, quel serait-il ?

Réponse: Merci beaucoup, c’est une belle correction, merci ! Vous avez raison, c’est une erreur de ma part. Je dois réfléchir à cela. Je ferai quelques commentaires, mais pas pour me justifier. Vous avez raison, je dois y penser un peu. Le monde est polarisé. La classe moyenne devient plus petite. La polarisation entre riches et pauvres est grande, c’est vrai, et ça m’a peut-être conduit à ne pas la prendre en compte. Je parle du monde ; certains pays non, ils vont très bien. Mais dans le monde en général la polarisation se voit, et le nombre des pauvres est grand. Et puis, pourquoi je parle des pauvres ? Mais parce que c’est le cœur de l’Évangile, et je parle toujours de la pauvreté à partir de l’Évangile, bien qu’elle soit [une réalité] sociologique. Ensuite, sur la classe moyenne il y a quelques paroles que j’ai dites, mais un peu ‘‘en passant’’. Mais les gens simples, les gens ordinaires, l’ouvrier… c’est une grande valeur. Cependant je crois que vous me dites une chose que je dois faire, je dois approfondir davantage l’enseignement là-dessus. Je vous remercie. Je vous remercie pour l’aide. Merci.

(w2.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2015/july/documents/papa-francesco_20150712_paraguay-conferenza-stampa.html )