Funérailles laïques

En marge des attentats du 13 novembre, quelques réflexions générales autour des funérailles de la jeune vénitienne morte au Bataclan, et de l'hommage national de la répubique italienne Place Saint-Marc

Comme c'était prévisible, les massacres de Paris ont donné lieu à une récupération de la gauche 'culturelle' mondialiste. L'opération "Charlie-bis" a semble-t-il échoué (ou, comme le grossier stratagème avait été éventé par pas mal de gens, elle a été "recyclée" sous une autre forme), mais on a eu droit dans les médias à une surenchère de propagande sur les thème du "vivre ensemble", des "valeurs de la République", de la "tolérance" (sans parler du "pas d'amalgame", désormais un grand classique), jusqu'à un absurde artefact de patriotisme passant par la récupération du drapeau tricolore et de la Marseillaise (par des gens qui vomissent l'idée de patrie!!!), avec comme valeurs suprêmes le goût de la "fête" et de la jouissance personnelle et "l'accueil de l'autre".
Au prétexte de la compassion (légitime) pour les victimes, la chape de plomb de l'autocensure s'est abattue sur des commentateurs souvent mieux inspirés.
Peu de commentaires ont donc échappé au politiquement correct. Parmi ceux qui ont eu le courage de s'en affranchir, il faut citer l'abbé Benoît [(1)], un prêtre lyonnais: il a écrit sur Riposte Catholique une tribune éclairante, où il rappelle quel groupe musical les malheureuses victimes du Bataclan étaient venues applaudir ce fatidique 13 novembre: faire l'impasse dessus - comme l'ont fait quasi-unanimement les media français - , c'est refuser de regarder la réalité en face, et aussi orienter fallacieusement l'opinion publique en la laissant dans l'ignorance d'une vérité dérangeante. Mais sa liberté a valu au courageux abbé (qui signe la tribune de son nom) une volée de bois vert de la blogosphère bien-pensante, et même de son évêque, le cardinal Barbarin.

Sur un ton qui peut sembler plus modéré, j'ai choisi de traduire un éditorial de Stefano Fontana, sur la Bussola d'aujourd'hui.
Parmi les victimes du Bataclan, il y avait une jeune vénitienne, Valeria Solesin, qui a eu droit à des "funérailles laïques" grandioses sur la Place Saint-Marc, en présence du Président de la république italienne, du patriarche de Venise Moraglia, de nombreuses prersonnalités politiques, et d'une foule immense et recueillie (au moins il n'y a pas eu de messe dans la Basilique Saint-Marc, les parents étant non-croyants). Le ministre italien de la défense a même lu une lettre de François Hollande.
Un hommage dont les dimensions s'adressaient au symbole, plus qu'à sa personne.
Et une occasion pour Stefano Fontana de s'interroger sur la réponse de l'Occident aux violences djihadistes.
A la veille de notre propre "hommage national aux victimes", forcément "républicain", présidé par François Hollande après-demain (vendredi 27 novembre) aux Invalides, la leçon vaut évidemment d'autant plus pour nous français: sauf que, dans la France ultra-sécularisée, ce n'est pas un lieu spécifiquement catholique qui a été choisi pour cadre, même s'il y a une église aux Invalides.

 

Ces funérailles "laïques" ne sont pas la vraie réponse

Stefano Fontana
25 novembre 2015
La Nuova Bussola
Ma traduction

Emotion, douleur, participation. Une foule nombreuse a assisté aux funérailles laïques - comme on les a nommées - de la jeune Valeria Solesin, vingt-huit ans, vénitienne, morte à Paris à la suite de l'attaque terroriste du 13 Novembre. Ont pris la parole le maire de Venise Luigi Brugnaro, le président Sergio Mattarella, le Patriarche Francesco Moraglia. Pour le Gouvernement, il y avait le ministre de la Défense Roberta Pinotti, qui a lu un message du président français François Hollande.

Le corps a été exposé sur une Place (Saint-Marc) nommée d'après un saint chrétien, évangéliste, avec en toile de fond une basilique catholique. Mais ce n'était pas un enterrement catholique, ni d'une autre religion, c'était un enterrement «ouvert à toutes les fois», comme l'a dit le père de la jeune fille, y compris l'athéisme, qui pourtant n'est pas une foi, mais l'absence de foi. La volonté de la famille était - si je peux me permettre une interprétation - d'opposer à la haine et au fanatisme religieux des terroristes meurtriers, la raison et l'ouverture tolérante propres non pas à une foi confessionnelle, mais à une foi laïque dans l'humanité. C'est pour cela - du moins c'est ce que je crois avoir compris - que l'enterrement a non seulement été qualifié de «laïc» ou de «cérémonie civile», comme cela a souvent été le cas pour d'autres tristes événements, mais on a explicitement exprimé la volonté qu'il soit ouvert à toutes religions - même si dans la pratique il n'y a eu la présence évidente que de trois d'entre elles - et même à des conceptions non religieuses, agnostiques ou athées.

La volonté de la famille doit être respectée, et avec elle la douleur de nombreuses personnes, les larmes, et l'émotion évidente, Place Saint-Marc. L'événement, cependant, s'est également vu attribuer la signification politique de contraste moral avec le terrorisme. Il a déjà été dit, et on le dira encore plus, que les funérailles laïques de la Place Saint-Marc sont une réponse au terrorisme. Certains iront jusqu'à dire que c'est notre réponse, la réponse européenne, la réponse de l'Occident. Sur cet aspect, tout en respectant les bonnes intentions de tous les participants aux funérailles, il est permis de faire quelques réflexions.

«Ouvert à toutes les religions». On pense immédiatement, pourtant, que même les terroristes sanguinaires de Paris avaient une religion. Même la France, qui chante la Marseillaise (2) au nom de laquelle elle accueille, finance et protège les Femen, ou bien qui veut enlever toute trace publique du christianisme, EST une foi. Même la foi dans l'humanité qui a motivé le choix des modalités de ces funérailles, peut être considérée comme une foi, une croyance en quelque chose d'important, dont la valeur est absolue. Mais les religions ne croient pas toutes en cette religion de l'humanité, et pas seulement l'islam terroriste et violent. Les funérailles de Venise était "raisonnables" au point d'admettre par principe même les religions qui luttent contre la raison, et religieuses au point d'admettre, également par principe, même les raisons qui combattent la foi.

Cette foi en l'humanité a des contours si dilatés, si imprécis, si génériques qu'elle est facile à proclamer, plus difficile à définir et impossible à défendre. Pour une foi de ce genre, si extensive et si peu intensive, combien sont prêts à se battre au-delà de chanter la Marseillaise? C'est précisément cette foi qui nourrit le ventre mou de l'Europe. La réponse européenne au terrorisme occidental et islamique peut-elle être cette indifférence envers les croyances, considérés comme toutes égales, et envers les visions de la vie, qu'aujourd'hui presque tout le monde assimile aux fois religieuses, les considérant les unes et les autres comme privées de raison et fruits de sentiment et de choix privés? Même la lutte contre le terrorisme a besoin de foi et de raison. Mais lesquelles, l'Occident ne le sait plus. Les caméras, sur la place Saint-Marc, ont filmé une grande foule. Mais chacun était là pour son Dieu, répondant à des appels différents et présumés non comparables entre eux, parce qu'il n'y aurait pas une mesure unique pour les religions, il n'y aurait pas une raison unique dans les religions. Assurément, tous les participants sont venus au nom d'un sens profond d'humanité. Si, toutefois, on les avait interrogés sur ce qu'ils entendaient par humanité, ils auraient donné des réponses différentes.

La réponse de l'Europe et de l'Occident au terrorisme islamiste ne peut pas être celle-là. Si tel était le cas, cela signifierait que l'Europe et l'Occident n'ont pas de réponse, ou pire, qu'il n'y a pas de réponse. «Nous sommes prêts à défendre nos valeurs». Mais sur lesquelles sommes-nous vraiment d'accord et prêts à nous battre, si on considère toutss les croyances égales et différentes, y compris les visions laïques, jusqu'à l'athéisme? Tout au plus, on parle de liberté et de paix, deux concepts qui, par eux-mêmes, sont insuffisants pour constituer une communauté. Tout au plus, on parle de tolérance, laquelle, si elle est absolutisée comme c'est le cas aujourd'hui en Europe et en Occident, est le concept le plus intolérant qui soit. Tout au plus on parle de liberté de religion, sans connaître la limite au-delà de laquelle on ne la permet plus.

Nous devons redécouvrir parmi nous une véritable communauté morale et pour ce faire, il faut recommencer un rapport aux religions qui soit sérieux et non pas indifférencié, et spécialement avec la religion qui a fait l'Occident. Ce n'est pas le christianisme qui a besoin de l'Occident, c'est l'Occident qui a besoin du christianisme.

NDT

(1) A lire ici: www.riposte-catholique.fr...tribune/les-aigles-deplumes-de-la-mort-aiment-le-diable
L'abbé n'était pas dupe des réactions d'hostilité que lui vaudrait sa liberté de parole.
Il ajoute en effet en post-scriptum: "Les formulaires de dénonciations à quelque autorité qu’on voudra sont à la disposition du public".
Cela n'a pas manqué, comme le prouve cet article!

Pour ceux qui lisent l'italien, Alessandro Gnocchi consacrait au spectacle du Bataclan son billet du 17 novembre dernier:

(2) Dans l'esprit de l'auteur, un chant révolutionnaire et violent. Voir aussi cet article de Massimo Viglione.