La devise du Pontificat

François, vers un tournant? Que va-t-il décider au Synode? se demande Andrea Gagliarducci avec une parplexité croissante. Une chose se confirme, la devise de son pontificat est "hacer lio" (semez la confusion) comme il a enjoint de le faire aux jeunes paraguayens le mois dernier

 

François, vers un tournant?

Andrea Gagliarducci
10 août 2015
www.mondayvatican.com
Ma traduction

S'il y a un tournant dans le pontificat de François, il aura lieu au prochain Synode sur la famille. Documents et textes sur les enjeux du Synode ont déjà circulé, et ils montrent que beaucoup, au sein et en dehors de l'Église, attendent cet événement, souhaitant qu'il esquissera la nouvelle orientation de l'Eglise catholique. Cette nouvelle orientation ne concerne pas seulement les sujets qui seront discutés au prochain Synode; elle montrera plutôt ce que François pense vraiment. Et - comme conséquence - elle définira comment le monde séculier continuera à réagir aux initiatives de François.

Avec une série d'articles dans son dernier numéro, la revue jésuite "La Civiltà Cattolica" a déjà délimité les domaines de discussions, montrant que les positions sont variées, y compris au sein du monde des Jésuites. L'interview du cardinal Georges Cottier par le Père Antonio Spadaro semblait pousser le vieux cardinal suisse à donner un certain type de réponse, afin de légitimer la "ligne de la miséricorde". Le commentaire du Père Giampaolo Salvini sur le document de travail du Synode, d'autre part, mettait en lumière les déficits du même document.
Mercredi dernier, François a personnellement abordé une des questions.
Au cours de la première audience générale suivant une courte pause estivale, le pape a insisté [sur le fait] que "les personnes divorcées ne sont pas excommuniées" (cf. Deux importants discours de François), faisant ainsi monter les espoirs des médias du monde entier qui n'ont pas hésité à saisir ses propos et à les souligner avec fracas. Toutefois, les médias n'ont pas pris en considération - et le vaticaniste Sandro Magister l'a remarqué - le fait que les paroles de François venaient directement de Familiaris Consortio, l'exhortation post-synodale de Saint Jean-Paul II, en 1981, sur le mariage et la famille. Les médias ont également omis de noter que François ne mentionne même pas la question de l'accès à la communion pour les catholiques divorcés remariés.

Que pense vraiment le Pape sur les questions relatives à la famille? Et que pense-t-il vraiment à propos de l'Eglise?
Une réponse à ces questions peut être glanée à partir d'une collection d'extraits d'interviews et d'entretiens improvisés du Pape, même si une réponse définitive semble encore trop lointaine.

D'un côté, François possède une attention pastorale extraordinaire, pragmatique au point de paraître cynique. Il ne pense pas à travers des abstractions ou des principes, mais il va directement aux questions concrètes. Il y a quelque temps, il a dit à une femme qui se plaignait de ne pouvoir recevoir la communion parce qu'elle était mariée à un homme divorcé, d'aller dans une autre église où personne ne la connaissait - bien que l'histoire ait soulevé quelque doute. A de multiple reprises, le Pape a insisté sur le fait que personne n'est exclu de la miséricorde de Dieu, pas même les divorcés remariés. De la même manière, sa déclaration que les chrétiens ne sont pas appelés à "se reproduire comme des lapins" n'a pas changé une virgule dans l'enseignement de l'Église sur la paternité responsable, mais en a choqué beaucoup en raison de la manière abrupte dont il l'a dit.
D'un autre côté, François s'est lui-même décrit comme "un fils de l'Eglise", et il a démontré ses inclinations très conservatrices (?) dans ses audiences générales consacrées à la famille qui ont commencé avant la pause estivale. Au cours de ces audiences, il a attaqué la colonisation idéologique de la famille, a critiqué l'idéologie du genre et a défendu la famille traditionnelle, exprimant sa préoccupation pour la chute du taux de natalité.

Néanmoins, des problèmes réels apparaissent lorsque François va au-delà de la dimension pastorale. Où veut-il mener l'Église? Quel est le but final de ce continuel mouvement "à la manière du Synode", des réunions régulières du Conseil des cardinaux, de cette discussion sans fin qui se reflète dans les médias?
L'impression est que tout est enfermé dans une formule que François affectionne: "hacer lio", autrement dit "faire du bruit" (1). En fin de compte, cette devise et les comportements qui en découlent favorisent une discussion largement ouverte, animée, dans laquelle le Pape pourra puiser dans le but de prendre des décisions.
D'un certain point de vue, François est vraiment un homme de gouvernement. Il est avant tout un homme seul aux commandes, à l'écoute de toutes les recommandations, mais qui prend sa propre décision, sans être excessivement préoccupé par l'opinion d'autrui. Le pape est particulièrement sensible à tout mouvement qui peut améliorer l'image médiatique de l'Eglise, car cela génère des gains en crédibilité.
Déjà quand il servait comme archevêque de Buenos Aires, Bergoglio gardait à l'esprit la question de l'image (cf. Chiesa, article écrit en 2002 non traduit en français). Autour de lui s'était développée une "narration", celle d'un évêque qui prenait les transports en commun, vivait frugalement, et cuisinait pour lui et pour un prêtre âgé, et d'un prêtre qui essayait d'être aussi proche que possible des gens (2).
Tous ces gestes font partie d'une [sollicitude] pastorale que le monde semblait appeler de ses voeux. En outre, alors que ces gestes génèrent évidemment un consensus, ils suscitent également des attentes.
Que se passera-t-il si le pape est appelé à prendre une décision engageant profondément la doctrine?
C'est la raison pour laquelle le prochain Synode des évêques en Octobre sera un test décisif. Ce n'est pas l'importance du Synode lui-même qui comptera; il n'est qu'un organe consultatif qui émet des suggestions, pas de décisions. En revanche, le Synode sera un test décisif, parce que François devra décider d'accepter ces suggestions, ou de ne pas le faire. Et quoi qu'il décidera, sa décision sera lourde de sens.


Ce n'est pas un hasard si une certaine agitation entoure le Synode. Les évêques allemands ont déjà fait un pas en soulignant que les Églises locales ne sont pas des filiales de Rome. Était-ce une façon de rester au-dessus de la mêlée au cas où ils ne seraient pas d'accord avec les décisions post-synodales du Pape?
Les évêques africains, sous la direction du cardinal de Robert Sarah, Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, ont défendu la doctrine catholique traditionnelle. Leurs voix seront-elles entendues?
Les évêques européens concentrent leurs discussions sur le rôle de la famille, déplaçant l'agenda depuis la communion sacramentelle pour les divorcés remariés vers la signification du mariage pour les jeunes. Cette ligne sera-t-elle prise en considération?

En fin de compte, si François voulait "hacer Lio" et ainsi découvrir les différentes positions au sein de l'Eglise, il a certainement réussi son coup.

La discussion en cours, toutefois, a eu un mérite, celui de mettre en lumière un autre problème, plus profond. Ceux qui font avancer le débat n'ont pas la théologie pour guide, mais la sociologie. La Révélation n'est pas leur point de départ. Leur point de départ est d'essayer de comprendre comment la Révélation s'adapte aux temps actuels.
Ce chemin a commencé avec le Concile Vatican II. Le cardinal Paul Poupard, collaborateur du Vatican depuis les années 50 (fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Poupard), a rapporté que quelques-unes des déclarations les plus importantes du Concile partaient de la lecture des signes des temps, et pas des racines théologiques, comme c'était la coutume, et ce changement a été révolutionnaire. Néanmoins, les déclarations les plus importantes du Concile étaient encore ancrées dans un débat théologique de haute volée, qui n'était pas perdu, mais plutôt amélioré, au moment où les déclarations ont été rédigées.
Après le Concile a suivi la période dramatique de la réception du Concile, et on a souvent pensé que les signes des temps étaient désormais les lignes directrices sur lesquelles fonder les documents et les pratiques de l'Église. Pour résumer en une formule, la réalité est la mesure de toute chose, y compris de l'idéal évangélique. La théologie de la libération est le résultat de cette ambiguïté, car elle met les pauvres, pas le Christ, au centre de l'Evangile.

Le problème est celui d'un renversement de paradigme, et les efforts pour le ramener à ses racines théologiques n'ont pas toujours été couronnés de succès.
Benoît XVI a essayé de le faire, et ses efforts ont pu être vus dans le travail de préparation de la Conférence d'Aparacida, en 2007, dont le document final est un point de référence pour François. En termes plus généraux, Benoît XVI basait toute son action sur l'objectif de fournir une base commune et des racines théologiques à toutes les activités de l'Église. Ce principe est, par exemple, derrière sa réforme des organismes de bienfaisance de l'Église qui ont abouti à la rédaction de nouveaux statuts pour Caritas Internationalis et à la publication d'un motu proprio sur les organismes de bienfaisance catholiques en 2012.

Bien qu'il y ait des lignes de continuité entre Benoît XVI et François, les deux papes ont également un dessein différent pour l'Eglise.
Benoît XVI voulait une Eglise pure et purifiée, libérée du moralisme et du sécularisme, même réduite en nombre. Il l'a décrite comme une "minorité créative" lors de son voyage en République tchèque en 2009 , une minorité créative capable, avec la force de l'Evangile, de s'adresser à la société et de la façonner.
François, de son côté, semble préférer une église inclusive, et il n'est pas aussi soucieux de la pureté de la pensée. L'Église de François commence sa réflexion à partir des données sociales et tente de trouver des solutions pastorales qui leur correspondent. Tel est le sens de l' encyclique "Laudato Si", qui, en fin de compte, est un résumé de la doctrine sociale de l'Église empreinte d'un fort pragmatisme, tandis que son raisonnement moral est fortement lié au comportement humain concret. Ceci est aussi le sens de l'exhortation apostolique "Evangelii Gaudium", qui contient l'une des formules favorites du Pape: "La réalité est plus qu'une idée".

Si telle est l'Eglise à laquelle vise François, il n'y a pas de révolution structurelle pour l'organisation de l'Église à attendre, étant donné que le Pape ne s'en soucie pas vraiment, et qu'il l'estime juste parfois utile pour l'organisation et la mission de l'Église. Pas de révolutions doctrinales non plus: les questions sociales sont plus importantes, et la théologie est mise en retrait. Ce n'est pas un hasard si la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, qui autrefois était appelée "la Suprema", est aujourd'hui laissée à l'écart de tout projet de réforme - et la rumeur court parfois que sa structure pourrait également être démantelée.
La mise à l'écart de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi fait également partie d'un processus à long terme, qui a commencé avec la réforme curiale du Pape Paul VI - la constitution Regimini Ecclesiae Universae. Après la promulgation de la nouvelle constitution, le Secrétariat d'Etat, autrefois le dernier des dicastères pontificaux dans l'annuaire annuel, fut élevé au rang de premier des dicastères, comme centre de diplomatie et de gestion.

Dans les discussions précédant l'émission d'une nouvelle constitution apostolique - Pastor Bonus, promulguée en 1988 - une partie de celles-ci portaient sur le rôle de la Secrétairerie d'Etat. Ce rôle fait encore l'objet de discussions, ce qui montre comment l'Église vit toujours avec de vieux débats.

En fin de compte, que faut-il attendre du pontificat de François?
Peut-être, sur le plan interne, plus d'insistance sur l'organisation interne des dicastères, et à l'extérieur, un accent accru sur les questions pastorales.

Face à tant d'attentes, il y a le risque d'un effet "Humanae Vitae". L'encyclique de Paul VI sur le contrôle des naissances et la contraception, publiée en 1968, a généré une telle division au sein de l'Eglise qu'il n'a plus écrit d'autre encyclique après.
La division a été le résultat d'une campagne médiatique, astucieusement orchestrée afin que le public soit informé que les experts pontificaux étaient ouverts à la contraception. La campagne a consisté en la fuite d'un document - contre un prétendu échange d'argent - qui a été publié en même temps par The Tablet, Le Monde et le National Catholic Reporter, les «bibles» du catholicisme progressiste. Cette lecture des faits a été rejetée par Giovanni Colombo, l'un des membres de la Commission nommée par Paul VI, qui a raconté la manoeuvre derrière le document dans un article de 2007 pour une revue théologique du nord de l'Italie (Chiesa, article seulement en anglais) .

Encore aujourd'hui, la pression des médias risque de susciter des attentes qui seront probablement déçues. François semble essayer de mettre les médias dans sa poche; il ne fait pas confiance aux médias et veut les dominer. L'attention à la communication est un leit motiv de ce pontificat.
En conséquence, ce pontificat se concentre sur les questions au jour le jour, et pas en délivrant un message profond. Si cette stratégie sera gagnante, seul le temps le dira.

NDT

(1) Discours du Pape aux jeunes paraguayens, le 12 juillet 2015:
(...) continuez à semer la confusion ... aidez à organiser la confusion que vous créez pour qu’elle ne détruise rien.
Lors des JMJ de Rio, il avait déjà dit aux jeunes la même chose, en italien: "fate casino" (faites le bazar)

(2) La photo ci-dessous a fait le tour du monde.

Je lis avec une certaine stupéfaction sur le site www.katholisches.info que le jeune type derrière lui sur la photo est son attaché de presse, Federico Wals. La photo, contrairement à ce qu'on avait pu croire, était loin d'être spontanée!!! Cela change tout!