La "Supplique filiale" au Pape ignorée

Un philosophe catholique italien, Paolo Pasqualucci, écrit une lettre à François, pour lui demander de suspendre la mise en application imminente du Motu Proprio qui simplifie les modalités de l’annulation du mariage

J'implore Votre Sainteté de rejeter les demandes d'ouverture qui ont été présentées, y compris celles aux divorcés remariés, et de surseoir à l'entrée en vigueur du motu proprio sur la réforme des procédures pour obtenir la nullité du mariage: de suspendre ce motu proprio, voire même de le retirer.

Il y a presque un an, en janvier 2015, dans la perspective du Synode sur la famille d’octobre dernier, un groupe de personnalités du monde religieux, culturel et social et de nombreuses associations pro-vie avaient lancé simultanément dans le monde entier et dans différentes langues une Supplique filiale pour demander au Pape « un mot de clarification dans la confusion croissante des fidèles ».
Parmi les signataires, le cardinal Burke, Mgr Athanasius Schneider et Roberto de Mattei
A ce jour, la « supplique filiale », qui avait été remise au Pape le 29 septembre avec près de 800 mille signatures, en compte plus de 868 mille... mais n’a reçu aucune réponse de son destinataire.

L’un des signataires, Paolo Pasqualucci, un intellectuel catholique, ex-professeur de philosophie du droit à l’université de Pérouse, écrit sur le site <Chiesa e post Concilio> une lettre solennelle au pape, pour lui demander, entre autre, de suspendre le motu proprio sur la réforme des procédures pour obtenir la nullité du mariage.

Articles reliés

A propos du Motu Proprio "Mitis iudes" publié le 15 août 2015
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¤ Le texte officiel: w2.vatican.va
¤ Dossier sur ce site: «Divorce catholique»

A propos de la "Supplique Filiale"
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¤ benoit-et-moi.fr/2015-I-1/actualites/supplique-filiale-au-pape
¤ benoit-et-moi.fr/2015-I/actualite/des-nouvelles-de-la-supplique-filiale-au-pape

Lettre au Pape

Paolo Pasqualucci
chiesaepostconcilio.blogspot.fr
Traduction d'Anna
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Très Saint Père,

je suis un des 790.190 catholiques qui ont signé, dans le monde entier, la Supplique qui vous a été adressée au début du mois d'octobre 2015, demandant à Votre Sainteté "une parole d’éclaircissement", qui dissipe la grave confusion répandue dans l'Église au sujet d'enseignements fondamentaux, suite aux ouvertures faites par le synode provisoire des Évêques sur la Famille de l'automne 2014. Ces "ouvertures" n’impliquaient pas moins que la légitimation de l'adultère et du péché car elles visaient, entre autres choses, à admettre à la Sainte Communion les catholiques divorcés remariés civilement. Et pas seulement: elles auraient pu même conduire à l'acceptation des cohabitations homosexuelles, toujours catégoriquement condamnées par l'Église car expressément contraires à la loi divine et naturelle.

Mais cette parole magistérielle, la parole du Souverain Pontife, le Vicaire du Christ Notre Seigneur sur terre, on ne l'a pas entendue. La Supplique est restée inécoutée. Par contre il y a eu, le 12 septembre 2015, la Lettre Apostolique Motu Proprio Data, "Mitis Judex Dominus Jesus", "sur la réforme du processus canonique pour les causes de déclaration de nullité du mariage dans le Code de Droit Canonique". Ce Motu Proprio institue, au Titre V, "le procès matrimonial plus bref devant l'Évêque", une nouveauté absolue pour l'Église, qui a fait beaucoup discuter, mise en œuvre avec référence explicite à l'esprit de Vatican II.

Le Motu Proprio abolit l'institution de la "double sentence conforme" (toujours défendue par les meilleurs canonistes) avec l'objectif de simplifier les procédures tendant à obtenir une déclaration de nullité; simplification qui ne semble toutefois pas être en harmonie avec la séculière tradition de la présomption de validité du mariage, qui doit être défendue/à défendre par tous les instruments du droit.

Par ailleurs, la nouvelle procédure "plus brève", en plus d'attribuer aux évêques une compétence tout à fait inhabituelle, présente (à l'art. 14 § 1) une liste de "circonstances qui peuvent permettre une tractation de la cause de nullité par le moyen du procès plus bref". La liste de ces circonstances est ample: entre elles se distinguent "le manque de foi des époux" à l'acte du mariage et la "brièveté de la vie commune conjugale" (coabitazione). L'inscription de ces "circonstances" a créé beaucoup de perplexité induisant certains à parler de "divorce catholique" de fait, garanti justement pas cette procédure "plus brève"; d'autant plus que la liste de ces "circonstances" se clôt tout en restant ouverte, y ayant été apposé un "etc." final, comme si une liste de ce genre pouvait être intégrée à l'infini. Une façon tout à fait singulière de produire le droit, a fortiori le droit canonique, autrefois phare de vraie civilisation juridique aussi pour le monde laïque.

Cette manière informelle de procéder est justifiée par Votre Sainteté par le recours au principe de la miséricorde. Elle ne peut pas s'arrêter à la lettre, doit saisir et mettre en acte l'esprit des normes, des lois, des Commandements divins. Celui qui aujourd'hui défend avec ténacité les principes fondamentaux de la doctrine est par Votre Sainteté stigmatisé comme un hypocrite, quelqu'un qui veut "endoctriner l'Évangile en des pierres mortes à lancer contre les autres". Certes, comme Votre Sainteté l'a rappelé, "le premier devoir de l'Église n'est pas celui de distribuer condamnations ou anathèmes, mais celui de proclamer la miséricorde de Dieu, d'appeler à la conversion et de conduire tous les hommes au salut du Seigneur (voir Jean 12, 44-50)".

Mais, justement, je me permets de l'observer, il doit y avoir "la conversion" pour pouvoir obtenir le salut. Nous savons bien ce que cela signifie. "Conversion" du cœur au Christ avec l'aide de la Grâce et donc repentir et changement de vie de façon à pouvoir devenir son disciple dans la foi et les œuvres; de façon à devenir cet homme nouveau, re-né dans le Christ, et à qui seul sera donné de "voir le Royaume de Dieu" (Jean 3, 3). Vivre dans le Christ (et donc selon les enseignements traditionnels de l'Église) dans les œuvres de sa propre sanctification quotidienne ne signifie-t-il pas devoir prendre sa propre croix à l’imitation du Christ? Il est vrai que l'Église a la mission de conduire "tous les hommes au salut du Seigneur". Nous savons toutefois que pas tous, voire beaucoup ne se sauveront pas. Le Verbe incarné lui-même l'a dit : "Entrez par la porte étroite; car large est la porte, et spacieuse la voie qui conduit à la perdition, et nombreux sont ceux qui y passent. Car étroite est la porte et resserrée la voie qui conduit à la vie et il en est peu qui la trouvent!" (Mt 7, 13-14).

Tous ceux qui préfèrent "la voie spacieuse" des fils du Siècle athée et mécréant ont refusé la miséricorde divine. En persévérant dans le refus, ils seront condamnés par la justice divine, sans que cela représente une contradiction avec sa miséricorde. L'article 55 de la Relatio finale du récent Synode des Évêques sur la famille rappelle une phrase chère à Votre Sainteté, dont l'article lui-même est pratiquement l'exégèse: "La miséricorde est le centre de la révélation de Jésus Christ". En effet, avec le sacrifice de sa mort sur la Croix, Notre Seigneur ne nous a-t-il pas obtenu miséricorde (propitiatio) pour nos péchés? Votre Sainteté cite également Saint Thomas qui, dans la Summa, a écrit: "C'est justement dans sa miséricorde que Dieu manifeste sa toute-puissance" (IIa-IIae, q. 30, art 4). Concept très exact. Toutefois Saint Thomas, je me permets de l'ajouter, après avoir cité Saint Augustin, pour qui la miséricorde est une vertu qui doit toujours être conforme à la raison et donc "conserver la justice", a aussi écrit que "la miséricorde, entendue comme passion soustraite à la raison, fait obstacle à la délibération [rationnelle], faisant disparaître la justice" (ivi, art. 3 à 1).
Autrement dit: une miséricorde mal entendue (même si elle est animée par les meilleures intentions) conduit au latitudinarisme et au laxisme, acheminant beaucoup de personnes vers la "voie large" de la perdition. Et ceux qui utilisent le principe de la miséricorde prôné par Votre Sainteté pour administrer la Sainte Communion à des personnes qui vivent dans le péché et continuent d'y vivre ou bien pour accepter les cohabitations de fait et d'autre type; auprès de ces derniers la "miséricorde" n'est-elle pas devenue un principe irrationnel qui les amène à une "délibération" non conforme à la raison, violant ainsi la justice? Qui est ici en premier lieu la justice divine. Raison pour laquelle saint Paul nous enseigne, à propos d'une Sainte Communion sacrilège: "C'est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur" (1 Cor 11,27), tombant ainsi sous la hache de sa justice.

L'idéal de miséricorde chrétienne inspirant le Motu Proprio a évidemment influencé (voir art. 55) la Relatio finale du XVe Synode des Évêques, qui s'est tenu à Rome du 5 au 25 octobre de cette année sur le thème "La vocation et la mission de la famille dans l'Église et le monde contemporain". Dans cette Relatio, alors que les "ouvertures" à l'homosexualité ont été nettement rejetées (voir art. 76), par contre, aux art. 84, 85 et 86, qui ont eu pourtant de nombreuses voix contraires, les critères sont établis pour le discernement et l'intégration dans l'Église des divorcés remariés civilement, aussi dans la liturgie. Ces critères ont été exposés avec un langage élusif qui permet toutefois à l'Évêque qui le veut de trouver des points suffisants pour inaugurer la "voie large", voire "intégrer" les divorcés remariés aussi dans cette partie de la liturgie représentée par la Sainte Communion. C'est l'interprétation cryptique du texte, soutenue par des cardinaux et évêques ayant autorité, aussi bien dans la faction qui pousse aux "ouvertures" que parmi ceux qui sont restés fidèles au Magistère éternel.

Le Motu Proprio Mitis Judex entrera en vigueur le 8 décembre, fête de l'Immaculée, jour d'ouverture du Jubilé proclamé par Votre Sainteté. On s'attend également ce jour-là à ce que le Pape accueille ou n'accueille pas les diverses instances d' "ouverture" repérables dans le Synode sur la Famille, en particulier celles contenues dans les articles cités 84, 85, 86.

L'objectif de cette Lettre que j'ai pris la liberté d'écrire en ma qualité de simple fidèle est par conséquent le suivant:

J'implore Votre Sainteté de rejeter les demandes d'ouverture qui ont été présentées, y compris celles aux divorcés remariés, et de surseoir à l'entrée en vigueur du motu proprio sur la réforme des procédures pour obtenir la nullité du mariage: de suspendre ce motu proprio, voire même de le retirer.

Cette requête au Pape de la part d'un simple fidèle peut sembler tout à fait exceptionnelle, pour ne pas dire d'une audace téméraire. Je peux assurer Votre Sainteté qu'il n'y a aucune audace particulière ou de témérité de ma part, mais juste l'ardent désir de défendre la vraie doctrine et et la vraie pastorale catholiques en ces temps de grande confusion, désir partagé par de très nombreux fidèles, au nom de qui (tout en les connaissant pas) je crois pouvoir parler, sans avoir pour cela à être accusé d’orgueil. Si ces instances hétérodoxes venaient à être accueillies et si la réforme du procès des causes de nullité devenait loi, le jour de l'imminente Fête de l'Immaculée et début officiel de l'Année Sainte, le 8 décembre 2015 serait un jour vraiment funeste dans l'histoire de l'Église. En effet, une procédure pour l'obtention de la nullité du mariage serait adoptée, qui peut de fait être qualifiée de "divorce catholique", grâce aussi à la nouveauté extraordinaire et atypique du "procès plus bref"; les parcours dits "de discernement pastoral" seraient permis en faveur de l'intégration dans l'Église (y compris dans la liturgie) des divorcés remariés, "parcours" qui débouchent objectivement sur une "légitimation du péché" et qui se manifestent ici (pour nous exprimer dans les termes explicites de la doctrine bimillénaire de l'Église ) sous une triple forme: adultère, fornication et concubinage, à quoi nous pouvons également ajouter, dans certains cas, le scandale public.

Dixi et salvavi animam meam.

Je prie Votre Sainteté de croire aux sentiments de ma très filiale dévotion. Que l'Esprit Saint vous illumine, vous soutienne, et toujours vous protège.

Paolo Pasqualucci
le 30 novembre 2015