Le bon pasteur ne craint pas les loups

Une interview du Cardinal Walter Brandmüller dans la "Rheinische Post", traduite par Isabelle.

>>> Cf. Où est passée la "joie de l'Evangile"? (le "Monday Vatican" de cette semaine, où Andrea Gagliarducci citait un passage de cette interview)

Cardinal Walter Brandmüller: « Le bon pasteur ne doit pas avoir peur des loups ».

Le prélat du Vatican critique les évêques allemands : « Un appareil auto-suffisant, dont le bruit étouffe l’Evangile ».

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Reinhold Michels.
1er juillet 2015
www.rp-online.de
Traduction d'Isabelle

(Rome). Le cardinal allemand Walter Brandmüller réside au Vatican ; c’est un historien de l’Eglise universelle – et un conservateur carré, qui dit ce qu’il pense, à temps et à contre-temps.

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Les évêques allemands donnent une impression de pusillanimité, voire de lâcheté, quand le débat porte sur les arguments pour et contre le « mariage homo ». L’Eglise qui vit trop bien doit-elle réapprendre, au besoin, à recevoir publiquement des coups ?

Brandmüller : Les forces qui dominent ce que l’on appelle l’opinion publique ont réussi à formuler les lois du « politiquement correct » ; les enfreindre signifie s’exposer à une mise à mort médiatique. D’un autre côté, nous avons le phénomène de la spirale du silence où se range la majorité, qui assiste sans mot dire à cette exécution. Personne n’ira prétendre qu’une telle attitude convient à un chrétien lorsqu’il s’agit de questions fondamentales de doctrine et de morale de l’Evangile du Christ. A quelle fin avons-nous donc reçu le sacrement de confirmation ? Et les évêques n’ont-ils pas promis, lors de leur consécration, d’annoncer fidèlement l’Evangile du Christ et de conserver, dans sa pureté et son intégrité, le dépôt de la foi, conformément à la tradition maintenue toujours et partout dans l’Eglise ?

Et si on est pour cela cloué au pilori ?

Brandmüller : Lorsqu’il remplit ce devoir, le bon pasteur ne doit pas craindre les loups. C’est là une première chose. La seconde, c’est que les autres ne doivent pas abandonner celui sur lequel la meute se déchaîne, dans l’espérance illusoire d’être eux-mêmes épargnés.

En 2012, peu avant sa mort, le cardinal Martini écrivait que l’Eglise en Europe et en Amérique du Nord lui semblait fatiguée. L’Eglise en Europe manque-t-elle d’élan (« spirit ») chrétien ?

Brandmüller : Ici, j’aimerais distinguer entre ce que l’on pourrait appeler l’« establishment ecclésial » et le nombre considérable de mouvements et de communautés jeunes dans l’Eglise. Là, je vois un élan pleinement chrétien, je dirais : l’Esprit-Saint à l’œuvre.

Avant de devenir pape, le cardinal Ratzinger a écrit que la morale enseignée par l’Eglise n’est pas un fardeau spécifique des chrétiens, mais plutôt la défense de l’homme contre ce qui vise à le supprimer. De moins en moins de gens comprennent cela. En quoi l’Eglise rate-t-elle le coche ?

Brandmüller : C’est là une des nombreuses brillantes formules de Ratzinger, juste et percutante. En effet, certains groupes semblent avoir conçu un désir proprement pervers d’autodestruction : ainsi, quand on empêche de multiples manières la transmission de la vie ou que l’on remet en question le donné naturel de l’identité sexuelle de l’homme et de la femme. Contre tout cela, l’Eglise peut et doit annoncer la morale naturelle, que l’Evangile conduit à sa perfection et qui est accessible à l’homme de bonne volonté. L’Eglise, dans ce domaine, ne doit pas se laisser déconcerter quand son message est refusé.

On affirme que les catholiques irlandais, en principe si fidèles, en votant « oui » au « mariage homo », se sont opposés à l’Eglise pour la raison qu’ils voulaient lui retirer leur confiance à cause de l’implication de prêtres irlandais dans des abus abominables. La faute donc à l’Eglise pécheresse ?

Brandmüller : Sur ce point, je ne peux qu’être d’accord avec vous. Mais ne parlons pas seulement de l’Irlande ! Vous auriez tout aussi bien pu citer l’Evangile : « Vous êtes le sel de la terre ! Mais si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens. »(Mt 5, 13)

Martin Walser, auteur en recherche de la foi, qui se dit agnostique, s’étonne que l’Eglise ne mette pas en avant avec plus de fierté les énormes réalisations culturelles qu’elle a accomplies au fil des siècles, à travers la foi et la religion. L’Eglise a-t-elle un problème de marketing ?

Brandmüller : Martin Walser a évidemment raison : les réalisations culturelles de l’Eglise sont formidables et expriment une foi qui pénètre tous les aspects de l’existence. Ce n’est toutefois pas à cause de cela que je suis chrétien. Ce qui est décisif, c’est la foi dans l’Evangile du Christ, que transmet l’Eglise. Bien sûr, cela n’exclut pas que nous soyons conscients, avec fierté et gratitude, de cette richesse. Il serait plus important, il est vrai, de toujours s’approprier ce que l’on a hérité des ancêtres pour le posséder en vérité.

Le cardinal Ratzinger, dans une interview accordée à ce journal en 1994, disait que l’Eglise devait s’interroger sur les choses dont elle pouvait se séparer. La carapace institutionnelle est-elle encore trop épaisse et le rayonnement spirituel trop mince ?

Brandmüller : Ce que le cardinal Ratzinger a dit est encore plus vrai aujourd’hui qu’en 1994. A quoi sert une école maternelle « catholique » si on y parle du père Noël et du lièvre de Pâques au lieu de parler de Jésus Christ ? A quoi sert un hôpital « catholique » s’il n’y entre aucun prêtre, si aucune religieuse ne prie avec les malades et si on y fait des opérations qui sont en contradiction avec la morale chrétienne ? Il serait mieux en effet, et même vraiment nécessaire, que l’Eglise se débarrasse d’un tel ballast, quand il n’est pas possible de remplir les vases vides avec l’esprit chrétien.

Avons-nous en Europe une Eglise largement embourgeoisée, usant d’un langage mou, tout juste bon à bercer les bébés ?

Brandmüller : Les églises se vident et les caisses se remplissent, c’est cela qui est absurde. On entretient un appareil auto-suffisant, qui coûte cher et dont le bruit couvre la voix de l’Evangile. Là, en effet, il faut une « démondanisation », c'est-à-dire : une réflexion qui ne suive pas des principes économiques terrestres mais la vérité de la foi. Nous devrions, en fin de compte, au lieu de prêcher un christianisme « light », avoir le courage de réclamer un programme qui contraste avec le courant majoritaire de la société actuelle et d’illustrer, par notre vie, ce que contiennent les dix commandements et l’éthique du Nouveau Testament. Ce programme qui était à contre-courant du monde antique, devenu malade, fut jadis un programme à succès ; il pourrait aujourd’hui démontrer à nouveau son pouvoir d’attraction.