Le cardinal Biffi dans le débat synodal

Du ciel où il est désormais, sa parole est incroyablement vivante. Ma traduction d'un chapitre de son livre "Dodici digressioni di un italiano cardinale"

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Un conseil aux divorcés
Donc, pour les chrétiens qui ont divorcé, mieux vaut qu'ils cessent d'exhorter publiquement l'Église à trahir la fidélité à son Seigneur et Epoux, s'opposant à Son enseignement explicite et immuable. Il serait au contraire opportun que dans un tourment silencieux, ils regrettent la situation dans laquelle ils se sont malheureusement placés et implorent avec humilité la miséricorde divine, afin qu'elle trouve pour eux aussi la voie du salut.
Du récit évangélique, nous apprenons ainsi que Jésus annonce sans atténuation et sans rabais le plan originel du Père pour l'homme et la femme. Mais il regarde toujours avec sympathie et compréhension ceux qui ont de fait avili cet idéal par leurs prévarications. Les "pécheurs" sont traités par lui avec une cordialité affectueuse. Il ne les considére pas comme étrangers et lointains; plutôt, il les considère comme les destinataires naturels de sa mission: «Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs» (Mt 9,13). Avec cette attitude bienveillante, il réussit à sauver la femme adultère de la lapidation (cf. Jn, 8,1-11); il défend chevaleresquement la femme décrite comme «une pécheresse de cette ville» (Lc 7,37); il engage avec la Samaritaine aux nombreuses expériences un entretien courtois et franc, qui gagne son cœur (cf. Jn 4,5-42).
Attention, cependant: sa miséricorde n'est pas la "miséricorde apparente" de la permissivité: c'est la "miséricorde essentielle" qui, sans mépriser ni humilier, pousse au repentir et à la renaissance intérieure.

Les citations de l'Ecriture ne sont pas tirées du livre du cardinal, mais du site bible.catholique.org . Les traductions sont très proches.

Le défi de la chasteté

Dodici digressioni di un italiano cardinale
Editions Cantagalli, 2011
Pages 73-82
Ma traduction
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Prémisse

Le problème central et primordial qu'à toutes les époques, mais surtout la nôtre, la communauté des croyants doit affronter - et personnellement, chaque baptisé qui ne veut pas renier sa renaissance «par l'eau et l'Esprit» (cf. Jn 3, 5) - est celui de sa pleine identité chrétienne; ce qui signifie en substance de sa loyauté absolue et totale à Jésus de Nazareth, le Fils unique du Père, le seul vrai Maître, Sauveur de tous et Seigneur de l'univers, de l'histoire et les cœurs.
La "culture" spécifique et dominante du "monde" - du "monde" entendu comme force pérenne d'opposition à l'initiative du Père miséricordieux et comme réalité que tout «est au pouvoir du Malin» (1 Jn 5,19) - s'emploie à poser toutes sortes d'obstacles à la solution correcte de ce problème primaire et central.
Il y a donc entre le "fait chrétien" et le "monde" (dans son acceptation négative) une incompatibilité multiple, qui ne peut être sous-estimée. Cette digression veut nous faire réfléchir sur l'un de ces désaccords, celui qui motive la nécessité dans la vie évangélique authentique d'un défi singulier contre le "monde": le "défi de la chasteté."
Lorsqu'il apparaît sur la scène de l'histoire - dans le monde gréco-romain, après les territoires de l'antique royaume d'Israël - le "fait chrétien" doit faire ses comptes avec une conception de l'érotisme, avec une pratique de la sexualité, avec une réglementation de l'institution du mariage, qui sont perçues d'emblée comme étrangères à l'esprit de l'Évangile, et même comme discordantes avec l'humanité nouvelle, née de l'évènement pascal.
Dans l'Église, dès les premiers jours, il n'y eut pas d'hésitations: dès le début s'imposa la persuasion universelle et compacte que sur ces questions n'étaient permis ni ambiguïté ni compromis: le "peuple nouveau", émergé de l'eau et de l'Esprit, devait se distinguer - outre que par le phénomène inouï de la charité et même de l'amour pour ses ennemis et ses persécuteurs - également par une forme exigeante et radicale de chasteté.

Les «listes»

On le perçoit de manière immédiate et incontestable par les listes de transgressions inadmissibles dans l'existence chrétienne; listes qui, avec sollicitude pastorale sont proposées de façon répétée à la communauté des croyants. Un exemple suffit pour tout:

1 Cor 6,9-10 (cf. Gal 5, 19-21; Eph 5,5)
Ne vous y trompez point: ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes,
ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu.


Ce n'est pas une sexophobie obsessionnelle, pas non plus un moralisme exaspéré qui ont inspiré ces règles. C'est plutôt une prise de conscience inédite de l'exigence de sanctification, qui provient du fait d'avoir adhéré dans le Christ au Dieu trois fois Saint.

1, Ts 4, 3-5
Car ce que Dieu veut, c'est votre sanctification: c'est que vous évitiez l'impudicité,
et que chacun de vous sache garder son corps dans la sainteté et l'honnêteté,
sans l'abandonner aux emportements de la passion, comme font les païens qui ne connaissent pas Dieu;


Et ce n'est pas une vision des choses qui est née d'un spiritualisme excessif: ici il n'y a pas cette méfiance envers ce qui est matériel et corporel, qui couvait dans les idéologies platoniciennes (mais était inconnue à la mentalité israélite). Au contraire, elle s'alimente à partir d'une perspective typique du christianisme des origines, qui considère le corps comme une réalité non seulement sacrée mais aussi un instrument de sanctification, étant «temple de l'Esprit Saint» (1 Cor 6, 19).
Nous comprenons comment l'Eglise a réagi immédiatement au mépris gnostique du mariage (cf 1 Tm 4,3) et en a défendu la dignité: «Le mariage doit être respecté par tous et le lit conjugal doit être sans tache. Les impudiques et les adultères, Dieu les jugera» (Hb 13,4).

Chasteté du langage

La nouvelle condition du baptisé est également révélée par sa manière de parler: il doit fuir un langage grossier ou tout simplement les expressions vulgaires, parce que chez les "saints" (comme sont appelés les chrétiens dans les lettres apostoliques) l'attention à la chasteté est totalisante et doit resplendir dans chaque manifestation de celui qui est devenu un "homme nouveau", y compris dans son comportement général et dans son langage.

Eph 5,3-4
Qu'on n'entende même pas dire qu'il y ait parmi vous de fornication, d'impureté de quelque sorte, de convoitise, ainsi qu'il convient à des saints.
Point de paroles déshonnêtes, ni de bouffonneries, ni de plaisanteries grossières, toutes choses qui sont malséantes

L'ATTITUDE DU CHRIST

L'unique Maître et Seigneur

Il est inimaginable que la proposition de la communauté des origines, avec sa charge de nouveauté et de non-conformisme, n'ait pas suivi sur ce point la parfaite harmonie avec l'enseignement du Christ, gardé et transmis par la prédication des apôtres.
Et de fait, Jésus, dans ses "loghia", se révèle en opposition résolue non seulement avec les coutumes des païens, mais aussi avec quelque conviction commune en Israël.

La chasteté du cœur

Il n'hésite pas à compter les violations de la chasteté parmi les comportements qui vont à l'encontre de la dignité de l'homme et de sa pureté intérieure, ajoutant que la corruption du "cœur" (c'est-à-dire du monde intérieur) est la source et la mesure de la responsabilité (et donc de la culpabilité) des actions perpétrées:

Mt 15,19-20
Car c'est du cœur que viennent des pensées mauvaises: meurtres, adultères, fornications, vols, faux témoignages, blasphèmes.
Voilà ce qui souille l'homme; mais manger avec des mains non lavées, cela ne souille point l'homme.


Et même, il considère - et ceci est typique de son anthropologie - que la chasteté est déjà violée dans le secrt de l'âme quand est accueilli le désir répréhensible, avant qu'il y ait la consommation de l'acte peccamineux:

Mt 5,28
Et moi, je vous dis: Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà commis l'adultère avec elle, dans son cœur.


Comme on le voit, Jésus ne parle pas tellement de sexe et de chasteté, mais sa pensée sur cette question est extrêmement claire, absolue et sans incertitudes: personne ne peut donc se considérer comme son disciple, s'il n'accepte pas dans ses croyances et dans son comportement cet enseignement fondamental de Lui.

Mais il y a plus.

La nature intrinsèque du mariage

En Israël, la croyance que l'union conjugale pouvait être rompue était pacifique et universelle: la loi mosaïque elle-même prévoyait l'institution de la "répudiation" de l'épouse par le mari. La discussion entre les rabbins concernait seulement la raison suffisante pour la justifier. Jésus fut explicitement interrogé sur cette question, et sa réponse est un coup d'aile: il faut se référer au plan originel de Dieu, qui a une valeur pérenne:

Mc 10, 6-9
Mais, au commencement de la création, Dieu les fit mâle et femelle.
A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme,
et les deux ne seront qu'une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair.
Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni !


En outre, il précise, et c'est une nouveauté, que sur ce point il y a parfaite égalité de condition entre les conjoints (cf. Marc 10: 11-12); et il affirme que l'indissolubilité subsiste même dans le cas de l'époux innocent: «Celui qui épouse une femme répudiée par son mari commet un adultère» (Luc 16:18).
Comme on le voit, celui qui divorce aujourd'hui se trouve en contradiction non pas tant, comme on le croit, avec la discipline actuelle de l'Église mais avec l'avis du Christ et avec sa volonté.

Un conseil aux divorcés

Donc, pour les chrétiens qui ont divorcé, mieux vaut qu'ils cessent d'exhorter publiquement l'Église à trahir la fidélité à son Seigneur et Epoux, s'opposant à Son enseignement explicite et immuable. Il serait au contraire opportun que dans un tourment silencieux, ils regrettent la situation dans laquelle ils se sont malheureusement placés et implorent avec humilité la miséricorde divine, afin qu'elle trouve pour eux aussi la voie du salut.
Du récit évangélique, nous apprenons ainsi que Jésus annonce sans atténuation et sans rabais le plan originel du Père pour l'homme et la femme. Mais il regarde toujours avec sympathie et compréhension ceux qui ont de fait avili cet idéal par leurs prévarications. Les "pécheurs" sont traités par lui avec une cordialité affectueuse. Il ne les considére pas comme étrangers et lointains; plutôt, il les considère comme les destinataires naturels de sa mission: «Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs» (Mt 9,13). Avec cette attitude bienveillante, il réussit à sauver la femme adultère de la lapidation (cf. Jn, 8,1-11); il défend chevaleresquement la femme décrite comme «une pécheresse de cette ville» (Lc 7,37); il engage avec la Samaritaine aux nombreuses expériences un entretien courtois et franc, qui gagne son cœur (cf. Jn 4,5-42).
Attention, cependant: sa miséricorde n'est pas la "miséricorde apparente" de la permissivité: c'est la "miséricorde essentielle" qui, sans mépriser ni humilier, pousse au repentir et à la renaissance intérieure.

Le célibat pour le royaume

Mis face à une perspective sur le rapport nuptial jusque là inouïe, les apôtres réagissent à leur trouble en se refugiant dans une phrase paradoxale et sarcastique. Et Jésus part précisément de leur propre paradoxe et de leur sarcasme pour énoncer sa proposition la plus singulère et la plus haute:

Mt 19, 10-12
Ses disciples lui dirent: " Si telle est la condition de l'homme avec sa femme, mieux vaut ne pas se marier. "
Mais il leur dit: " Tous ne comprennent pas cette parole, mais ceux à qui cela a été donné.
Car il y a des eunuques qui sont venus tels du sein de leur mère; il y a aussi des eunuques qui le sont devenus par le fait des hommes; et il y a des eunuques qui se sont faits eunuques eux-mêmes à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre, comprenne! "


Avec ces mots, explicites et sans ambiguïté, apparaît pour la première fois dans l'histoire humaine l'idéal du célibat volontaire et de la virginité consacrée.

Eunuques

Le terme "eunuque" indique un état sans retour. Rien de plus éloigné de la pensée du Christ qu'un engagement à échéance ou une donation seulement provisoire: l'Evangile ne connaît pas les contrats à durée déterminée.
"Tous ne comprennent pas cette parole, mais ceux à qui cela a été donné": on suppose qu'il s'agit d'une grâce distribuée avec parcimonie, et en tout cas pas aussi largement que le don de l'état sponsal. "Que celui qui peut comprendre": ce n'est donc pas une condition proposée à tous. "Comprenne": un mot qui manifeste le désir profond que la possibilité soit de fait mise en pratique.

Le royaume des cieux

Dans le langage des synoptiques, le royaume exprime une réalité qui est à la fois eschatologiques et ecclésiale. Le célibat volontaire et la virginité consacrée sont donc prophétie et anticipation du monde futur et définitif, le monde de la résurrection quand «on ne prend plus ni femme ni mari, mais que l'on est comme des anges dans les cieux» (Mt 22,30). Ils ont également, cependant, une dimension ecclésiale: ils favorisent l'installation et la dilatation du royaume de Dieu dans la réalité de l'Eglise, à travers l'énergie apostolique suscitée par le charisme de la consécration spéciale.

Un idéal totalement inédit

Cette "préférence du Christ" a été pour tout le monde antique une surprise absolue. Cela a été l'annonce la plus forte que quelque chose de nouveau était finalement entré dans notre histoire toujours monotone et terne: une "nouveauté" qui a secoué le monde décrépit. Cela a été le signe le plus éloquent que le royaume de Dieu s'était désormais enraciné parmi nous.
Dans sa lumière, la vie sexuelle et le mariage,ont trouvé rachat et élévation dans l'ordre imprévu et original né avec l'événement pascal.

CONCLUSION

L'idéologie aujourd'hui dominante considère l'activité sexuelle comme un "absolu" qui ne supporte ni réglementation ni finalité; qui n'a pas de raison d'exister au-delà de son exercice lui-même; qui explique tout le comportement humain et ne reçoit aucune lumière de quoi que ce soit qui existe en dehors d'elle. Mais cela est objectivement un mensonge. Parfois, nous avons même l'impression que la société de nos jours a été conquise par une bande de maniaques sexuels, qui imposent à tous leurs obsessions, leurs habitudes toujours répétitives, leurs rites écoeurants. A tout cela, on ne peut se résigner.
Mais le remède ne sera pas dans la recherche d'une absurde médiation entre l'idéal de l'Évangile et les aberrations du "monde". L'humanité dans laquelle nous nous trouvons à vivre attend de la "nation Sainte" seulement un défi: le défi, justement, de la chasteté.
La première miséricorde dont nous avons tous encore besoin est la lumière impitoyable et réconfortante de la vérité.

Un encouragement par l'histoire de l'Église

La société corrompue du bas Empire, qui se présentait à la sollicitude pastorale de saint Ambroise (*), n'était au fond pas très différente de la nôtre, et n'avait certes pas de moeurs sexuelles meilleures. Mais lui n'eut aucun doute. Sa mission d'évêque ne lui demandait pas de savoir servir de médiateur bienveillant entre les exigences du Christ et les vices d'une époque décadente; elle lui demandait d'offrir l'idéal évangélique dans toute son intégrité. Ainsi, il n'a pas hésité à offrir à son époque non seulement la perspective d'une juste pratique matrimoniale, mais aussi l'idéal de la virginité consacrée au Seigneur Jésus.
Je crois qu'à nous aussi, aujourd'hui, est demandée un peu de cette audace, contre toutes les peurs d'un christianisme complaisant et largement mondanisé.

* * *

(*) Le Cardinal Biffi est issu du diocèse "ambrosien" (de Milan), dont il a été évêque auxiliaire avant d'être nommé archevêque de Bologne.