Le fumier du diable en Allemagne

Où Matteo Matzuzzi perce à jour les petits secrets sonnants et trébuchants de l'église en Allemagne - une église pas vraiment "démondanisée" qui détonne un peu avec l'"Eglise pauvre, pour les pauvres" de François

Le titre (ironique) se réfère à une expression du pape, dans son discours devant les mouvements populaires le 9 juillet en Bolivie. Le "fumier du diable" désigne "le désir sans retenue de l’argent qui commande".

Le fumier du diable en Allemagne


Matteo Matzuzzi
Il Foglio
11 septembre 2015
Traduction par Anna

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L'hiver dernier, le grand diocèse de Cologne en Allemagne a publié pour la première fois ses bilans. Un patrimoine équivalant à plus de trois milliards d'euros, des activités financières (on entend par là l'ensemble des obligations à taux fixe, placements immobiliers en en actions) d'environ deux milliards. En ce qui concerne 2013, un surplus de 59 millions était aussi documenté, imputable à la bonne performance de la Kirchensteuer, la taxe sur l'église qui oblige tous les baptisés à se voir retirer de la fiche de paye neuf pour cent du montant imposable. Mensuellement. Et plus il y a de rebelles qui décident de signer l'acte de renonciation à être chrétiens (afin de ne pas payer la taxe), moins il entre d'argent dans les caisses de la conférence épiscopale qui, pour arrêter l'hémorragie, demande que contraintes et normes soient assouplies, espérant ainsi conquérir de nouvelles masses de fidèles. Non sans raisons, il y a quelques jours, le président du puissant comité des catholiques allemands, Alois Glück, souhaitait que le Synode - qui selon les plans de Benoît XVI aurait dû s'occuper de questions anthropologiques et de bioéthique, d'après ce que le cardinal Christoph Schönborn a expliqué dans une interview à La Civiltà Cattolica - puisse accorder à chaque région de se doter d'"une pastorale propre ". C'est la vieille idée fixe de l'Église au nord des Alpes: sub Petro, mais indépendants chez soi, qui est aussi le concept illustré il y a quelques mois par le cardinal Reinhard Marx, lorsqu'il affirma que "nous ne sommes pas une filiale de Rome".

Face aux graphiques et aux tableaux suintant les euros de Cologne, le Spiegel lançait un appel déférent: "Qu'ils redistribuent au moins les bénéfices à ceux qui en ont vraiment besoin". Surtout au temps et dans l'église du Pape François qui dès son élection, en saluant et remerciant les journalistes accourus à Rome lors du Conclave, déclarait: "Ah, que je voudrais une église pauvre pour les pauvres". Pauvre, l'église d'Allemagne ne l'est pas. "Si tu vas à Stuttgart et vois le palais de la Caritas, tu ne peux pas le distinguer de celui de Mercedes", disait à Il Foglio quelqu'un qui a une certaine connaissance des affaires de l'église allemande. "Doit-elle vraiment posséder toutes ces sociétés immobilières, dont une est située en Hollande?", poursuivait le Spiegel à propos de Cologne. Doit-elle vraiment avoir des activités financières dépassant les deux milliards d'euros? A-t-elle besoin d'un milliard et demi d'euros déposés dans les réserves pour d'éventuelles futures réclamations?". Oui, apparemment.

Il y a quelques temps, l'ancien évêque de Limburg (par la suite démis et rappelé à Rome), Franz Peter Tebartz van Elst, avait fini dans le hachoir médiatique après avoir dépensé 31 millions d'euros pour refaire le centre diocésain et ses appartements privés, certes décidément éloignés de la masure délabrée qui abritait le saint curé d'Ars, qui avait fini par attraper une névralgie faciale à force de dormir sur le sol humide. Très rares sont toutefois les personnes qui sont allées mettre le nez dans les dépenses du grand diocèse de Munich et Freising, régi par le cardinal Marx nommé coordinateur du conseil nouveau-né pour l'Économie du Vatican, appelé à transporter la sainte Eglise vers l'ère de la transparence et de la pauvreté. Ils y auraient découvert, outre la "Maison Sainte Marie" - la résidence diocésaine éloignée à Rome, dans le Viale delle Medaglie d'Oro, pas trop appréciée par le prélat - la beauté du palais de l'archevêché en style baroque, restructuré pour la modique somme de huit millions d'euros, et ils se seraient peut-être aussi demandés pourquoi pour un centre diocésain de services multifonctionnel de la ville le diocèse avait dépensé 130 millions d'euros. Le porte-parole, pressé par les médias, expliquait que ce n'était quand même pas de l'argent dépensé pour Marx, mais juste pour l'église locale. Aussi parce que le Land verse régulièrement à l'archevêque 12 mille euros mensuels, le salaire d'un sous-secrétaire d'état bavarois, comme il est prévu par la loi. Le salaire pour les "prêtres simples" est évidemment inférieur, suffisant toutefois pour avoir alimenté dans les années 80 les vocations dites "pour motifs financiers". On entrait au séminaire car ensuite, après l'ordination sacerdotale, on avait la certitude de pouvoir compter sur un revenu garanti non négligeable. De nombreuses tentatives pour supprimer la Kirchensteuer ont été faites au cours du temps. Aucune n’a abouti.

"Se libérer du fardeau matériel et politique"
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Lors de son dernier voyage en Allemagne, en 2011, Benoît XVI avait demandé une conversion: "En Allemagne l'Église est organisée de façon excellente. Mais derrière ses structures, y a-t-il aussi la relative force spirituelle, la force de la foi dans le Dieu vivant? Nous devons dire sincèrement qu'il y a un excédent de structures par rapport à l'Esprit", avait-il souligné dans son discours au Conseil du comité central des catholiques allemands. Mais les mots les plus durs, bien qu'ils aient eu moins d'écho hors d'Allemagne, furent ceux prononcés à Fribourg, au terme du voyage dans sa patrie: "Les exemples historiques montrent que le témoignage missionnaire d'une église démondanisée émerge de manière plus claire. Libérée de son fardeau matériel et politique, l'église peut se consacrer mieux et de façon vraiment chrétienne au monde entier, elle peut vraiment être ouverte au monde".
Le Pape avait alors prononcé un néologisme du théologien évangélique Rudolf Bultman: Entweltlichung, traduit (en italien – et en français) par "démondanisation", bien que sa signification soit plus large. À Fribourg les évêques se regardèrent entre eux, comprenant immédiatement où Ratzinger voulait en venir. Le président de la conférence épiscopale, Mgr. Robert Zollitsch, expliqua tout de suite après, au cours de la conférence de presse, que "le Pape, en parlant de entweltlichung, n'avait certes pas voulu se référer à l'abolition de la taxe d'état", un thème qui n'était pas à l'ordre du jour. Ce mot, Benoît XVI l'avait toutefois prononcé pas moins de trois fois dans son discours et le cardinal suisse Kurt Koch, président du conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, confirma que le Pontife entendait parler précisément de la Kirchensteuer.