Le retour de don Camillo

... au moins dans les mots du Pape, prononcés cette semaine à Florence devant le Congrès de l'Eglise italienne. Mais est-ce le vrai?

 

Don Camillo, hôte d'honneur de ce site

Mon site a consacré pas mal de pages à Giovanni Guareschi et à son héros don Camillo, en offrant, je l'espère, une vision plus large que celle véhiculée par les films, aussi sympathiques et attachants soient-ils.

1. Une série d'articles publiés durant l'été 2013:
¤ Don Camillo, outil d'évangélisation
¤ Don Camillo (II): le pape s'appelle Joseph:
¤ Don Camillo (III): les lampes et la lumière
¤ Don Camillo (IV): un article écrit par la traductrice en langue russe

2 Un dossier sur don Chicchi, le "petit prêtre" conciliaire, protagoniste du dernier roman (et testament) de Guarescchi, traduit en français sous le titre "Don Camillo et les Contestataires". A noter que "Chicchi" est le diminutif de François!

3. Un dernier article: Lettre de Guareschi à don Camillo

Le Pape à Florence, ce 10 novembre

L’Eglise italienne a de grands saints dont l’exemple peut l’aider à vivre la foi avec humilité, désintéressement et joie, depuis François d’Assise à Philippe Neri. Mais pensons également à la simplicité de personnages inventés comme don Camillo qui fait équipe avec Peppone. Je suis frappé par le fait que dans les histoires de Guareschi, la prière d’un bon curé s’unit à l’évidente proximité avec les gens. Don Camillo disait de lui-même: «Je suis un pauvre prêtre de campagne qui connaît ses paroissiens individuellement, les aime, qui en connaît les douleurs et les joies, qui souffre et sait rire avec eux». Proximité envers les gens et prière sont la clé pour vivre un humanisme chrétien populaire, humble, généreux, joyeux. Si nous perdons ce contact avec le peuple fidèle de Dieu, nous perdons en humanité et n’allons nulle part.
(w2.vatican.va..)


Des mots qui n'ont pas manqué de susciter des commentaires: flatteurs comme il se doit, en France, où l'on a saisi l'occasion pour souligner une fois de plus l'image médiatique du "pape du peuple"; beaucoup plus réservés en Italie (le discours s'adressait aux italiens!), où Guareschi (et donc sa "créature") est une figure nettement moins consensuelle, dont le héros en soutane n'est pas connu uniquement à travers la figure popularisée par Fernandel dans la série des "don Camillo".
Antonio Socci, Alessandro Gnocchi (qui est un grand spécialiste de Guarescchi) lui ont chacun consacré un article très critique, et le Pape n'est pas épargné! J'y reviendrai sans doute.

Voici, en attendant, une bonne analyse sur la Bussola (on notera toutefois que le pape y est épargné!):

Don Camillo est de retour.
Mais est-ce le vrai?

Paolo Gulisano
13/11/2015
www.lanuovabq.it/
Ma traduction


Il est de retour, don Camillo. De la façon dont on l'attendait le moins. Il a été proposé comme modèle de prêtre rien moins que par le pape François, au Congrès de l'Eglise italienne. Lui, le "pretone" (1) de la "Bassa" (la vallée du Pô) sorti de la plume talentueuse de Giovanni Guareschi, l'écrivain italien le plus lu et le plus traduit au monde, mais aussi le plus censuré dans son pays, raillé comme réactionnaire. Avec une périodicité presque saisonnière, la télévision repropose année après année les films du cycle de don Camillo, librement, peut-être trop, inspirés des histoires de Guareschi.

La faveur auprès du public, ou, si vous préférez, l'audience, est toujours d'un niveau élevé, et cela a permis d'une part la perpétuation de la popularité des "masques" de don Camillo et Peppone auprès des générations, mais en ne rendant pas toujours pleinement mérite à leur créateur, étant donné que l'adaptation cinématographique a largement trahi l'esprit originel des contes - au point de susciter en son temps les protestations de Guareschi en personne auprès des réalisateurs et des scénaristes -, dissolvant souvent dans un irénisme tiède ce qui était une confrontation honnête, loyale, mais aussi dure et âpre, entre les raisons du christianisme et celles de l'idéologie qui a empoisonné (et empoisonne) les cœurs et les esprits.

Le préjugé qui a pesé sur Guareschi pendant quarante ans était motivé par le fait qu'il était un auteur "engagé", et "mal engagé" aux yeux de la culture dominante. Un réactionnaire, un adepte aussi du trinôme "Dieu, Patrie et Famille".
La sortie de François peut donc surprendre, et on aimerait bien savoir ce que pensent de cette indication papale les catholiques kasperiens, les libéraux, les "aperturisti". Don Camillo, en effet, est un prêtre qui porte l'habit sacerdotal, qui ne transige jamais sur les principes, qui ne "dialogue" pas avec les "lointains", mais s'exprime très franchement avec tout le monde, avec Peppone, avec les communistes, afin de proclamer la vérité, et d'administrer la juste miséricorde chrétienne. Que diront-ils de cette indication, ceux qui veulent enrôler le pape dans leurs rangs, les Scalfari, mais aussi ces théologiens "prêt-à-porter" (en français dans le texte) qui veulent "rajeunir" l'Eglise, et l'adapter à la mode du monde?

Don Camillo n'a pas eu beaucoup de doutes à ce sujet: l'histoire est une lutte entre l'Eglise qui rend le Christ présent dans la vie quotidienne, et le monde qui le rejette. Don Camillo, peu avant sa mort avec son auteur, Guareschi, en 1968, a eu l'occasion d'exprimer sa perplexité à l'égard du monde moderne et aussi de l'Église moderne, celle qui vivait la tempête de la période post-conciliaire, et des interprètes du soi-disant "esprit du Concile", ces "don Chichi", qu'il décrivit dans sa dernière oeuvre, presque un testament spirituel.
Guareschi était un écrivain qui a témoigné et démontré que ce qui correspond au dessein de Dieu correspond pour cela même à la vraie nature des choses. Guareschi a écouté et a accueilli la bonne réponse de Jésus: «La vérité vous rendra libres».
Il l'a accueillie et traduite encore et encore dans les paraboles du "Petit Monde" et de toutes ses histoires. Cela vaut donc la peine de le rappeler à ceux qui, aujourd'hui, face aux propos de François, penseraient qu'au fond, don Camillo est seulement une "macchietta" (en gros un personnage comique), à ne pas prendre trop au sérieux. Don Camillo est au contraire le genre de prêtre que chaque chrétien devrait souhaiter rencontrer, dans la paroisse, au confessionnal, voire même dans les sièges épiscopaux.

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NDT:
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(1) "prete" = prêtre + le suffixe augmentatif "one", j'hésite à traduire par "gros prêtre".
Par opposition, don Chicchi est qualifié de "pretino"