L'Église entre immigration et Europe

Une interview tous azimuts d'Ettore Gotti-Tedeschi dans la revue en ligne <Formiche.net>

>>> Voir aussi:
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Le cri d'alarme d'Ettore Gotti-Tedeschi (Tribune d'EGT dans La Bussola du 1er/9)
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La lettre de François (Présentation de l'interview par Sandro Magister)

 

Subtilement critique mais d'une impressionnante lucidité, cette interview éclaire et complète la tribune publiée la veille dans la Bussola.
C'est vraiment une voix hors du choeur...

En passant, on retrouve l'idée déjà développée ici (cf. L'Occident n'a plus ni guides, ni défenseurs) que l'Europe a besoin d'un guide moral.
Si le but des pouvoirs forts est bien l'effacement de l'Europe, on comprend mieux l'intérêt d'éliminer celui qui pouvait plus que tout autre en tenir lieu. Mais ceci est une autre histoire.

L'Église entre immigration et Europe.
La version de Gotti Tedeschi.

L'Europe, l'immigration, l'Église, une conversation avec Ettore Gotti Tedeschi, économiste et ancien président de l'IOR.
www.formiche.net
Traduction par Anna.

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De nombreux observateurs, y compris sur <Formiche.net>, ont critiqué la déconcertante incapacité de décision au niveau européen. Quelles sont d'après vous les cause de cette inaction?

- Etudiant depuis plus de 25 ans le problème démographique et ses conséquences économiques, je me demande ce que pensent ceux qui déterminent les choix des gouvernement européens.

Et avez-vous aussi la réponse?

- Ce que j'ai vu jusqu'à hier est une Europe indifférente, et même inconsciente, à l'égard du problème démographique. Aujourd'hui je vois une Europe "contrainte" d'accepter la solution immigration, nécessaire pour compenser le déficit (gap) démographique et les effets économique inéluctables après la crise économique insoluble.

Où le Vieux Continent s'est-il trompé?

- L'Europe a refusé de diagnostiquer les vraies raisons de la crise économique et dans les sept dernières années, elle a fait des diagnostics erronés et recherché des solutions pour la reprise qui n'étaient pas soutenables, et même contradictoires et conflictuelles en son sein même. Il y a une partie de l'Europe qui semble avoir une conscience arrogante de son leadership et une partie de l'Europe qui est au contraire de plus en plus démoralisée et pessimiste vis-à-vis des capacités de sa propre classe dirigeante de dépasser des promesses intenables et même offensantes pour l'intelligence des gouvernés, lesquels se sentent désormais expropriés de tout pouvoir et opprimés par des décisions économiques et morales qu'ils ne reconnaissent pas et ne comprennent pas non plus.

À quelles décisions faites-vous référence?

- La classe dirigeante semble de plus en plus "cooptée", en tant que garante de politiques assurant le contrôle économique et l'uniformité de lois morales, plus que le bien commun. On peut soupçonner que les dirigeants européens, auparavant plutôt cyniques et maintenant (comme par enchantement) "solidaires et humanitaires" envers le phénomène immigration, se sont convaincus de résoudre la crise en faisant croître la population, sans faire d'enfants, mais en les "important".

Certains imputent ces choix à l'absence d'une Europe politique.

- Certes l'Europe n'a pas un guide qui témoigne d'une recherche du bien commun européen, mais au contraire de la recherche d'une affirmation de leadership en soi, si bien qu'on commence même à avoir des doutes sur la réelle indépendance de ce leadership vis-à-vis d'autres [leaderships] bien supérieurs et puissants. Mais cela ne vaut pas uniquement en matière économique, mais aussi en matière politique et morale surtout. Je crois que l'Europe ne peut pas se réaliser sans un guide moral. J'entends déjà les rires ironiques.

Restons dans l'économie. Y a-t-il trop de dirigisme en Europe?

- Se limiter à essayer de résoudre les problèmes au niveau central non seulement ne suffît pas, mais finira par produire d'autres problèmes. Les économies des Pays européens ne sont pas homogènes, elles sont différentes et ont été agressées par la crise de façons différentes. Les solutions sont subjectives et liées à la possibilité et à la capacité de gérer ses propres avantages compétitifs, différents d'un Pays à l'autre.

Que faire alors?

- Il me semble évident que si un Pays en crise n'est pas mis en condition d'opérer sur ses propres avantages de manière adéquate, mais est contraint par des critères rigides qui limitent cet exercice, il ne résoudra pas la crise. Les "engagements", qui étaient corrects il y a vingt ans, sont contraignants aujourd'hui, et doivent être adaptés aux temps. S'il advenait de plus en plus, et dans de plus en plus d'endroits, que ce ne soit pas le cas, l'impression serait confirmée que l'euro a été conçu comme un prétexte pour centraliser le pouvoir en Europe et la crise non résolue qui est en cours pourrait accélérer encore davantage cette solution, grâce aussi aux dirigeants cooptés et garants. Il est évident que la crise a modifié tout présupposé de valorisation de l'Europe dans son ensemble.

Comment, d'après vous, l'Union Européenne se comportera-t-elle face à cette crise historique?

- À ce stade, les organes centraux européens sont presque contraints d'imposer des règles, insoutenables en soi (que l'on pense au "Fiscal compact" [pacte budgétaire européen]) et pourtant défendues par ceux qui ont la responsabilité de la gestion des Pays individuels, sous peine d'expulsion du cône de lumière qui les a conduits à gouverner.

Quels sont les effets visibles les plus significatifs de cette situation?

- Je m'inquiète que le phénomène migration puisse de fait être géré (à part les déclarations de solidarité) dans cette optique économique. Le processus d'immigration visant à corriger les effets de la dénatalité européenne, sera plus difficilement gérable par les Pays n'ayant pas de passé colonial et donc moins habitués au phénomène de migration. Mais ce qui m'inquiète aussi, c'est un possible affaiblissement du rôle de l'Autorité Morale (l'Église) dont on voudrait qu'elle s'occupe moins d'évangélisation et plus de problèmes matériels, laïcisant son magistère.

Voyez-vous donc des différences entre la papauté de Bergoglio et les deux précédents?

- Je voudrais rappeler que l'Église, à travers deux Papes, Jean-Paul II et Benoît XVI, avait une stratégie à l'égard de l'Europe: la re-christianiser. Si cette stratégie ne devait pas être reconfirmée et si une vision œcuménique et de laïcisation de l'Église prévalait - avec tout le respect dû évidemment aux cultures laïques, laïcistes et aux autres religions - les effets de ce choix pourraient être dévastateurs.

Mais pourquoi cela devrait-il se produire?

- Voyez-vous, à part l'intimidation traditionnelle des milieux "laïques" (qui s'est muée ces derniers temps en suggestions non sollicitées et en approbations non justifiées), on perçoit aujourd'hui un sentiment de danger d'une troisième guerre mondiale, voulue, explique-t-on, par le terrorisme, qui implique la nécessité urgente d'éviter les fondamentalismes religieux et de se concentrer plutôt sur de fructueux dialogues œcuméniques bien plus opportuns dans des sociétés déjà multiethniques et pluralistes.

Je me trompe, ou vous n'êtes pas d'accord avec cette vision?

- Un sectarisme supposé et un fondamentalisme dogmatique supposé peuvent être considérés comme des danger supérieurs même à la laïcisation et à la sous-évaluation des effets de la confrontation avec les vrais fondamentalismes, potentiellement conflictuels, qui semblent au contraire être accueillis et encouragés. Comment peut-on penser rapprocher un groupe de peuples non-homogènes si ce n'est par le fait de partager avec eux la poursuite d'un bien commun? Et comment peut-on concilier cela sinon sur des valeurs partagées? Qu'est ce qui pourra intégrer réellement les personnes, individus avec une dignité de créatures de Dieu, si ce n'est une vision commune de ce qu'est la liberté, de ce qu'est la raison, de ce qu'est la dignité humaine? On ne peut pas réellement croire que cela peut se produire grâce à l'écologisme gnostique, n'est-ce pas?

Comment le projet Europe peut-il encore être sauvé, d'après vous?

- J'insiste dans la provocation qui suscitera de l'hilarité et peut-être même de l'indignation, mais je crois que la vraie possibilité du projet européen était dans la re-christianisation prévue par Benoît XVI, centrée sur le renforcement des valeurs communes dans le continent. Aujourd'hui, on dirait que ce projet a été mis de côté, et qu'on l'a remplacé par un projet confus d'immigration qui renforce l'exigence de multiculturalité et de multireligiosité. Je pense qu'au lieu de penser à la re-christianisation de l'Europe il est plus probable que l'on pense, par exemple, à la laïcisation de l'Afrique.

Qu'est-ce que cela peut comporter?

- De cette façon la seule valeur qui devrait rassembler le monde global serait la protection de l'environnement. Ce ne serait plus la vision anthropologique sur la dignité de l'homme, ni la vision sur le sens de la vie, ce serait un respect religieux de la mère terre. Il est évident que sans de vraies valeurs communes l'Europe risque de devenir une union d'États (du genre ex Union Soviétique) contraints de coexister. Et pourtant, une Europe qui a honte de ses propres valeurs, qui les renie ou même les combats, ne sera jamais rien. Si les valeurs communes sur lesquelles on veut unifier l'Europe sont celles des lois dites éthiques, imposées, ce sera pire.