Mais qui est-ce, Scalfari?

... au moins pour ceux qui, comme moi, ont défendu Benoît XVI avec passion contre toutes les attaques durant les huit années de son Pontificat. Rappel de 2009

>>> Scalfari ne ment pas

>>> La figure du Pontifiant personnage est assez bien résumée dans cette image-caricature



Certains pourraient s'étonner qu'un blog consacré à Benoît XVI (et désormais à son successeur, mais pas pour les mêmes raisons!) accorde autant de place à un individu somme toute peu intéressant, un lumignon palôt plutôt qu'une lumière, et de toute façon, pratiquement inconnu en France (et même totalement inconnu, jusqu'au moment où il a rendu public, en octobre 2013, un échange de courrier qu'il avait eu avec le pape François). Toute gloire terrestre est relative, dans le temps et l'espace, et celle de Scalfari n'avait pas franchi les Alpes.
L'ultime réponse à la question est peut-être que Scalfari est comme un miroir qui permet de comprendre le pape.

L'autre réponse, plus immédiate, est que je suis rancunière, ce qui est sans doute un vilain défaut, et bien peu chrétien, mais j'ai beaucoup de mal à m'en corriger.
Je n'ai jamais oublié que Scalfari, en octobre 2009 (et sans doute en de nombreuses autres occasions qui m'ont échappée) avait pesamment insulté Benoît XVI, qu'il détestait autant qu'il adore François aujourd'hui (cherchez l'erreur...), en le traitant de "médiocre théologien".
Le contexte est développé ici: benoit-et-moi.fr/2009.
Pour résumer, le gouvernement Berlusconi avait proposé d'introduire dans les écoles publiques et privées une heure de religion musulmane, facultative et alternative à l'heure de religion catholique, soi-disant pour éviter de laisser les élèves muslmans "dans les ghettos des écoles islamiques intégristes". L'Eglise, par la voix du cardinal Bagnasco, président de la CEI, avait exprimé son opposition, à travers une grande interview au principal quotidien italien, Il Corriere della sera (et non pas La Repubblica..).

On relira ICI ma traduction de l'époque d'un article d'Antonio Socci (que je ne connaissais pas non plus à ce moment), réagissant avec la fougue qui nous est désormais familière à cette provocation du prétentieux barbon.
J'ai retrouvé, grâce aux archives de mon site (et à Raffaella) l'article de ce dernier, en date du 22 octobre 2009 (espresso.repubblica.it).
Je ne l'avais pas traduit à l'époque, l'ayant jugé - à tort - d'un intérêt médiocre.
Je le fais maintenant, car je le comprends bien mieux, à la lumière des évènement récents. Et de son côté, il nous aide à comprendre beaucoup de choses.

Le changement de ton par rapport à l'éditorial de dimanche dernier justifie en effet toutes les inquiétudes que peut suggérer cette "étrange amitié" avec le Pape actuel.
On voit ce que Scalfari (et ceux qu'il représente) attendait d'un pape. On comprend qu'avec François, il a trouvé enfin le "grand" pape qu'il appelait de ses voeux: celui qui a coupé le cordon ombilical entre l'Eglise et le pouvoir politique (lire: qui a tout lâché, c'est sans doute ce qu'il entendait par "démondanisation"), notamment sur les questions de société et de bioéthique; qui a définitivement soldé le contentieux entre l'Eglise et l'Etat laïc (en particulier l'Italie née du Risorgimento); celui qui, en un mot, a résolu, au profit de Scalfari et de ses amis, la "dyscrasie insurmontable entre la direction d'une organisation de pouvoir et ceux qui se soucient seulement du soin des âmes".

L'indisponible
Le cardinal Bagnasco prétend qu'à l'école publique ne soit enseignée que la religion catholique


Eugenio Scalfari
La Repubblica, 22 octobre 2009

* * *

Dimanche 18 octobre (2009), le cardinal Angelo Bagnasco a donné une interview au «Corriere della Sera». Ample. Douce. Œcuménique (dans le sens qu'il ouvre les bras à tout le monde). Mielleuse (dans le sens qu'il aime tout le monde). Du reste, l'Eglise catholique a toujours voulu apparaître ainsi; même si elle ne l'a presque jamais été. Elle a toujours voulu répandre des odeurs de lys. De camomille. De valériane, de tisane à la verveine. Pas les grands papes: ils parlaient comme parlent les souverains et Dieu sait qu'ils l'étaient, seigneurs de l'esprit et des corps, hissant l'emblème des clés qui ouvrent les portes du ciel et celles de la terre.
Tel était le ton de leur langage. Ils réduisaient leurs adversaires, excommuniaient leurs ennemis, conduisaient des croisades, combattaient des guerres, et pas seulement de religion mais de pouvoir. Ainsi furent les Papes dont l'histoire se souvient, de Grégoire le Grand à Hildebrand de Soana (Grégoire VII), de Boniface VIII aux trois Innocent (I, II et III), et ensuite le pape Borgia, le pape della Rovere, les deux papes Medicis, le pape de la famille Borghese, le pape Farnese, le pape Barberini et ainsi de suite à travers les siècles et à travers les schismes, les hérésies, les guerres de religion, les bûchers de l'Inquisition.

Certes, l'Eglise n'a pas été que cela. L'Eglise catholique a été et est un dépôt millénaire de valeurs morales, d'élans mystiques, d'ascétisme, de foi, des plus hauts exemples de fraternité, de charité et d'éducation. Mais ce dépôt de valeurs religieuses a rarement pénétré dans le cercle de la Hiérarchie. Les témoins de la foi et de la charité ont toujours été une minorité, souvent utilisée pour racheter et cacher la vocation temporelle de la hiérarchie, et plus souvent encore tolérée avec agacement, voire réprimée. L'histoire de François d'Assise est très éloquente de ce point de vue, tout comme celle de Joachim de Fiore et celle de Valdo (ndt: le fondateur de l'église vaudoise.... tiens donc!), pour finir, de nos jours, par la répression des modernistes et leur expulsion des universités et des écoles, sous les auspices du gouvernement fasciste demandant en retour la légitimation du Vatican.

Je me demande si l'éducation religieuse qui est enseignée dans les écoles publiques par les enseignants indiqués par les diocèses couvre aussi l'histoire de l'Eglise, mais ma question est rhétorique: l'histoire de la religion n'est pas dans l'heure de religion, mais elle n'est pas non plus, sinon par allusion, dans l'enseignement de l'histoire. Les diplômés de l'enseigneement secondaire ignorent que l'État pontifical n'a mis fin à la peine de mort qu'en 1870, et a représenté un des obstacles majeurs à la création d'un État unifié en Italie.

Je rappelle ces vérités pour souligner que le peuple de Dieu est une chose; les ministres du culte et des âmes, une autre, et les membres de la hiérarchie encore une autre. Et les papes représentent un phénomène à part. Il y en a eu des très grands, des médiocres, des vicieux, des exemplaires. Je dirais que les derniers exemplaires furent Jean XXIII, Paul VI, et le Pape Wojtyla. L'actuel est un théologien modeste qui fait regretter ses prédécesseurs.

Le cardinal Bagnasco reflète malheureusement l'air onctueux que l'on respire dans l'église italienne, dans ses hiérarchies diocésaines, et dans celle de la Curie. Il reflète également les luttes de pouvoir en cour en vue de futures affectations. Il y a beaucoup de thèmes sur lesquels la hiérarchie et la Curie diffèrent, l'exemple le plus récent a été donné dans la proposition faite il y a quelques jours par un membre du gouvernement de la frange proche de Gianfranco Fini sur l'établissement d'une heure de religion islamique. Les réactions de l'Eglise vont de ceux qui ont accueilli très favorablement la proposition, à ceux qui l'ont déclarée possible seulement dans un avenir lointain, et ceux qui - justement comme Bagnasco - la jugent inacceptable (ndt: rien de nouveau sous le soleil!! sauf qu'aujourd'hui, le "sommet" penche du côté de Scalfari).
Mais la même diversité s'est vue sur des problèmes encore davantage perçus par notre sensibilité de citoyens italiens. Par exemple, dans le vaste domaine des questions de bioéthique, sur la fécondation assistée, le testament biologique.

Bagnasco soutient que l'Église désire seulement avoir la liberté d'expression, mais ne veut rien imposer à personne. Peut-être ne se souvient-il pas que la hiérarchie et aussi la Conférence épiscopale qu'il préside en ce moment, lance d'authentiques 'oukases' envers les parlementaires catholiques, leur enjoignant de se comporter comme le veulent les évêques et la Curie, et indiquant certaines matières comme 'indisponibles' (ndt: autrement dit les "valeurs non négociables"). Le cardinal Bagnasco conviendra que l'indisponibilité d'une matière équivaut à réclamer une obéissance que l'on peut qualifier de 'perinde ac cadaver' (à la manière d'un cadavre...) et qui va bien au-delà de la présence de la religion dans l'espace public.
Mais un autre exemple d'incohérence réside dans la prétention qu'à l'école publique soit enseignée seulement la religion catholique. L'Eglise considère la liberté religieuse comme un principe de base de la société civile. Les laïcs, dans le monde entier, le pensent aussi; ils pensent même que la liberté religieuse est la mère de toutes les libertés. Mais il se trouve que la liberté religieuse s'applique dans tout l'Occident, sauf en Italie, le jardin du Pape.

Je devrais poser au cardinal Bagnasco la question du pourquoi de cette différence profonde. Je l'ai demandé il y a longtemps au cardinal Martini, mais lui, comme Bagnasco le sait, pense de manière radicalement différente de la hiérarchie. Il représente cette Eglise que la hiérarchie tolère avec agacement. Il existe en effet une dyscrasie (ndt: au sens de déséquilibre?) insurmontable entre la direction d'une organisation de pouvoir et ceux qui se soucient seulement du soin des âmes. Cette dyscrasie ne sera jamais résolue, et l'histoire et la prédication de Jésus de Nazareth en donnent amplement la preuve.