Noël à Bethléem, 1943

A quelques jours de Noël, on lit avec émotion ce beau récit, témoignage d'une époque révolue, tiré du journal de guerre d'un GI, en pélerinage à la Basilique de la Nativité

Le GI est Walter Matt, le père du directeur du site "The Remnant", Michael J. Matt. Anna avait déjà traduit l'année dernière un autre récit tiré de son journal de guerre: benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/conte-de-nol-une-messe-dans-le-desert

>>> Ci-contre, l'entée de la grotte de la Nativité (1)

 

Noël à Bethléem, 1943

The Remnant
Traduction d'Anna

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Puer natus est nobis, et filius datus est nobis (2)

Tandis que les ennemis du Christ Roi continuent de mener l’antique et fol assaut d'Hérode contre tout ce qui dans ce monde est innocent et semblable au Christ, jusqu'à Noël lui-même, constater qu'en dépit des meilleurs efforts de leur machine de guerre mondiale anti-Chrétienne, un petit Enfant continue de les vaincre siècle après siècle, doit certainement être pour eux une source d'agacement. Pendant 2000 ans ils s'y sont employés, et Il continue de régner, encore aujourd'hui, et partout dans le monde, dans les cœurs des innombrables millions de gens qui croient toujours en la vraie signification du Noël. L'antique Foi ne mourra jamais et les légions d'Hérode continueront de s'affairer à terroriser les enfants mais toujours et à jamais ils échoueront dans leur lutte pour détruire l'unique petit Enfant.

Le récit qui suit, de la visite de mon défunt père Walter L. Matt à Bethléem, est tiré de son journal de guerre. Il a servi dans l'Armée américaine en Afrique, en Libye, en Italie et dans d’autres endroits pendant la Deuxième Guerre Mondiale, comme traducteur de l'allemand et correspondant de guerre. Cet article est reproduit ici parce qu’il nous laisse entrevoir combien notre monde a changé depuis ces jours lointains et pourtant combien, alors comme aujourd'hui, la paix et la grâce de Noël continuent de l’emporter sur tous les maux, même lorsque le monde entier est en guerre. Mon père avait 28 ans lorsqu'il a écrit ce qui suit.

Ce récit me rappelle que quel que soit le nombre des guerres qui déchirent les villes du monde, à la fin ceux qui aiment l'Enfant de Bethléem survivront aussi longtemps que nous continuerons à croire et aussi longtemps que nous ne perdrons pas espoir.
(Michael J. Matt)

 

Page de Journal, Noël 1943, par Walter L. Matt, RIP
(publié la première fois dans The Remnant le 15 décembre 1968)


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La Basilique de la Nativité

Je me souviens du sentiment d'extase qui me submergea un jour, dans la chorale du collège, en entendant une centaine de voix exploser dans les notes triomphantes du Messie de Haendel. Un sentiment analogue de septième ciel m'a envahi lorsque je suis arrivé à Bethléem l'autre jour avec mes compagnons! C'est une ville féérique, un petit endroit paisible niché dans le creux d'une pente fleurie.

Toutes les cloches de Noël que vous ayez jamais entendues semblent concentrées dans l'ombre de ces collines verdoyantes et le cœur bondit en approchant de l'endroit où "les bergers ont veillé" et où l'annonce a résonné du ciel à la terre: "Un Sauveur vous est né aujourd'hui qui est le Christ Seigneur!"

On voudrait alors renverser l'horloge des siècles et entrer ici de nuit, saisi de stupeur, en compagnie de simples bergers. Au lieu de cela, on marche sur la colline avec un chœur rauque de garçons arabes qui vous talonnent et vous amènent contre votre volonté dans de minuscules boutiques de curiosités d'antan, d'où vous ressortez avec des rosaires en nacre, des pierres de la Mer Morte, des plateaux en bois d'olivier, des coquillages de la Mer de Galilée ou tout autre chose qui attire vos envies.

A Bethléem, un morceau intact de Chrétienté saute aux yeux. Il est caractérisé par l'absence de muezzins et aussi par la prévalence d'églises et de cloches chantantes. Mais comme la petite grotte sombre en dessous de l'Église de la Nativité est différente de la mangeoire et de l'étable de nos rêves d'enfants !

Tandis que nous nous approchions je pensais aux jours où j’observais avec des yeux émerveillés, sous le grand arbre de Noël scintillant, la petite crèche pittoresque que mon frère avait faite. Je me souvenais du petit toit de chaume, de ses parois comme dans les étables, avec des bacs à foin et plein de paille sur laquelle les Rois Mages s'agenouillaient pour adorer "l'Enfant nouveau-né". Je regardais autour de moi la foule pressée qui avait comme moi fait le pèlerinage vers ce magnifique sanctuaire construit par Constantin, et il me semblait entendre des voix d'enfants chanter dans une nuit feutrée d'hiver: Venez ô fidèles, joyeux et triomphants, venez, venez à Bethléem!

 

Fillettes en costume traditionnel (*)

Dans cette grande église, un service était en cours, des gens de près et de loin étaient agenouillés, et nous entrâmes à plusieurs GI's. Je crus que le chœur était rempli de Sœurs mais il s'avéra que c’étaient des femmes de Bethléem, avec leur haute coiffe voilée qui est traditionnelle dans ces régions.

La grotte où le Christ est né est en-dessous du maître-autel. On y accéde par une courte volée de marches que nous eûmes quelques difficultés à franchir lorsque plusieurs prêtres grecs survinrent dans un nuage d'encens tourbillonnant. Cinquante-trois lampes d'argent dissipent à peine la pénombre de cette grotte à la voûte basse, noircie par la fumée. J'ai vu l'étoile de bronze encastrée dans une niche au sol, avec tout autour l'inscription en latin: "Ici est né Jésus Christ de la Vierge Marie."
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Ce message ne me semblait pas vraiment ancien. J'avais le sentiment irrésistible qu'Il venait de naître depuis juste quelques instants et qu'à ce moment-là, nous nous en apercevions, et que le monde allait à nouveau avoir la paix!

On est peu enclin à parler de ces choses, puisqu’après tout elles sont si sacrées. Mais je me souviens de la prière presque inconsciente qui jaillit de moi pendant que je me tenais debout dans cet endroit saint: "Seigneur je ne suis pas digne," et comme je le croyais fermement! C'était le plus pur bonheur que j'eusse jamais connu. Cela restera un souvenir béni dans les années à venir.

De l' "étable de Betléhem", nous sommes remontés dans l'église de la Nativité, au-dessus. Une Messe y était célébrée et les gens entraient dans la nef de l'église par un ou deux, en silence, avec révérence, comme le font toutes les personnes qui viennent adorer dans le lieu où le Christ est né.

 

Femmes de Béthléem (*)

Les femmes de Bethléem sont de haute taille, droites, et gracieusement dignes. Elles portent des jupes bleues, et une coiffe particulière qui ajoute à leur grâce. Les hommes aussi sont grands, solidement bâtis, et dans la lumière des bougies de l'église ils se déplacent presque majestueusement dans leur costume oriental, comme des chevaliers barbus d'autrefois. Tous se dirigent vers l'autel à présent, ôtant leurs chaussures avant de s'agenouiller.

Les pensées devraient être concentrées sur la Messe, mais les impressions ont été si abondantes et vous ont investi avec une force si extraordinaire que l'esprit continue de revenir encore et encore à la pauvre grotte en-dessous de vous. Comme elle devait être pauvre et peu aménagée! D'une manière ou d'une autre, nous aurions certainement trouvé de "la place à l'auberge"! Nous aurions certainement aménagé un logement plus approprié que celui-ci pour le Roi nouveau-né, n’est-ce pas?

Le célébrant de la Messe lit à présent le récit de l'Évangile, raconté par Saint Jean: "Il était dans le monde, et par Lui le monde a été fait, et le monde ne l'a pas connu." Et vous vous dites que les choses en réalité ne sont pas différentes aujourd'hui, et qu'à présent non plus nous ne trouvons "pas de place" pour lui dans les auberges et les khans (Au Moyen Orient: les haltes, les auberges, ndt) de nos cœurs, bien que le monde ait été mis à feu deux fois maintenant et qu'il n'y ait pas encore la paix.

Mais le prêtre à l'autel poursuit, et dans ce qu'il lit, il y a espoir et consolation: "…Mais quant à tous ceux qui l'ont reçu, Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, qui sont nés non pas du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu".

Vous essayez de ne pas penser à la face laide du monde, ici dans ce lieu saint. Au contraire, vos pensées sont remplies d'extase, de paix et de consolation. Au Gloria in Excelsis Deo chanté solennellement par le prêtre, vous répondez avec une ferveur profonde: "et paix sur la terre," ô Mon Dieu, "paix aux hommes de bonne volonté"! Dans le fond, c’’est là le message le plus limpide qui vous revient à la crèche de Bethléem. À la fin, vous quittez l'église de la Nativité du Christ assuré que le message de Noël est la clé de voûte de votre propre paix et de votre bonheur et de ceux du monde en général et que, quoi qu'il arrive, vous serez désormais "de bonne volonté" et que vous ne douterez pas davantage que ne l'ont fait les bergers et que, comme ces hommes simples, vous "comprendrez" la vérité des choses, c'est à dire que le Verbe s'est fait chair et habite parmi nous et qu'il nous appartient d'aider à propager la bonne nouvelle du premier Noël de Bethléem jusqu'à ce qu’elle touche les cœurs des rivages les plus lointains!

Vous descendez maintenant la colline le long d'un chemin jonché de pierres, et traversez les champs d'herbe où Ruth a marché et sur lesquels l'enfant David a fait paître ses brebis. En dessous de vous s'étendent les vergers et les vignobles luxuriants et, plus loin, à l'est, les montagnes désertes de Moab.

Partout dans la vallée les cloches des couvents chantent à nouveau dans l'allégresse et pendant que vous contemplez les sommets des collines lointaines au-delà des vergers, vous vous demandez si vos oreilles ne vous trompent pas, si vous entendez bien un chœur de voix qui résonnent doucement et vous murmurent depuis l'enfance et vous rendent jeune à nouveau. "Un Sauveur vous est né aujourd'hui qui est le Christ Roi". Venez, adorons-le.

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(*) Images (à cliquer) ici: tinyurl.com/hsee3h8

 

NDR

(1) On ne peut manquer de penser à l'intense pélerinage de Benoît XVI en Terre Sainte, en mai 2009, et à sa prière au Saint-Sépulcre: beatriceweb.eu/TerreSainte

(2) Un enfant nous est né, un fils nous a été donné. Extrait de l'introït de la messe du jour de Noël, tiré du Livre d'Isaïe (9,5)