Pastorale contre doctrine: témoignage d'un prêtre

Sandro Magister publie sur Settimo Cielo la lettre que lui a adressée un "homme d'Eglise non italien" 24/11/2015)

 

Lettres de la périphérie.
D'abord le schisme pastoral, puis celui doctrinal

Settimo Cielo
23 novembre 2015
Ma traduction

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Je reçois cette réflexion d'un homme d'Église, qui n'est pas italien, et qui a demandé une juste réserve sur son nom. Et qui projette d'écrire encore d'autres "lettres de la périphérie" (SM)

PASTORALE AU CAS PAR CAS À LA PLACE DE L'ANNONCE. UN JEU RISQUÉ
par ****
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Après le synode, certains évêques et cardinaux ont déclaré que l'Eglise doit "être prudente", "discerner" et "accompagner" avec plus d'attention. Il faut aller à la recherche de "l'art de prendre soin des âmes" et de "l'inclusion", avec une tournure pastorale qui imprègne non seulement le document final du Synode, mais aussi beaucoup d'interventions de personnes du monde ecclésial.

Bien sûr, nous sommes à la recherche d'une approche sensible aux gens d'aujourd'hui. Personnellement, je suis heureux que le prêtre dans le confessionnal, au lieu de me donner des claques à coups de catéchisme, aille à ma rencontre avec sensibilité, essayant de comprendre ma situation particulière. Mais cette approche est-elle également adaptée pour les médias? Que se passe-t-il si la communication publique est dominée par une mentalité de "cas par cas"? Parler de la préoccupation pour l'individu pourrait-il remplacer l'annonce? La tension de fond entre les libéraux et les conservateurs aurait-elle quelque chose à voir avec la menace que l'annonce de l'enseignement disparaisse de plus en plus?

Le système médiatique d'aujourd'hui, avec ses nombreux réseaux numériques, est un grand défi. La mondialisation de la communication par l'intermédiaire de plates-formes interactives modifie le processus de formation de l'opinion publique. L'attitude de l'Eglise face à cette réalité exige un raisonnement différent de celui de la pastorale locale.

Si un très bon pasteur d'âmes, qui aime les personne, dit à un homosexuel qu'il ne veut pas le condamner, c'est une bonne chose. Si, toutefois, cas purement hypothétique (!!), le très bon pasteur d'âmes est dans un avion et dit la même chose à des journalistes, à ce point ses paroles s'insèrent dans l'espace commercial et politique de l'exploitation médiatique.

Presque tous les médias occidentaux sont d'empreinte laïque ou agnostique et interprètent les thèmes ecclésiaux au niveau horizontal, c'est-à-dire politique, historique, sociologique, et non pas au niveau vertical, dans la direction de Dieu. Et la dimension transcendante d'un message? Le péché originel? Non, ce qui compte, c'est seulement le scoop. Le lecteur et le spectateur veulent juste une histoire qui fasse les titres «L'Eglise ne juge plus les homosexuels». Cela, oui, c'est une nouvelle. Et le prochain chapitre? «L'Eglise change la morale sexuelle». Et après: «La validité des Dix Commandements dépend de la décision de sa propre conscience». Si le discours pastoral remplace l'enseignement de la doctrine, c'est le résultat de la représentation médiatique de l'Eglise.

Mais peut-être certains pasteurs comprennent-ils très bien ces mécanismes. Peut-être comprennent-ils également la différence entre la communication dans le soin des âmes et la communication dans les médias. Peut-être ont-ils juste peur des médias. Ils ont peur du 'mobbing' (intimidation) numérique, du martyre dans le cirque de l'opinion publique. Mieux vaut être un pasteur 'soft', qui ne juge jamais personne. On peut même arriver à une forme de coquetterie avec la presse ou la télévision, voire au "syndrome de Stockholm": autrement dit s'allier avec son propre ravisseur. En fin de compte, n'est-ce pas le désir d'une Église qui trouve un large consensus, une Eglise privilégiée?

Quelles que soient les causes: la proclamation de la doctrine est actuellement passée au second plan. On n'explique plus ce que l'Église déclare être toujours vrai et bon, ou faux et mauvais. On se limite en revanche à expliquer pourquoi tous les cas ne sont pas égaux. Quelles en seront les conséquences? Qu'est-ce que cela impliquera pour l'unité de l'Église et la pratique pastorale? Et pour l'évangélisation? Parmi ceux qui sont fidèles à la doctrine, tout cela apporte la confusion et le mécontentement, on peut déjà le constater dans de nombreux pays. En attendant, les milieux progressistes exploitent l'absence d'une annonce contraignante pour relativiser l'enseignement et réclamer une adaptation à l'époque. C'est un jeu dangereux. Il peut conduire à un schisme dans l'Eglise: d'abord dans la pratique pastorale et ensuite, également dans la doctrine.

Que ferait saint Paul? En son temps, devant l'Aréopage, il n'a pas parlé aux païens d'un soin des âmes adapté à la situation. Il n'a même pas parlé immédiatement du Christ, mais avant, de la culture qu'il avait rencontré là. Il leur a montré qu'il avait vu les dieux et les sanctuaires à Athènes, et qu'il comprenait leur monde. Il savait que mieux il comprendrait, mieux il serait entendu.

Sans doute, aujourd'hui aussi, devons-nous à nouveau montrer que nous comprenons les idoles du XXIe siècle, comme par exemple le culte de l'optimisation, de l'hédonisme ou de la technologisation, pour montrer que nous avons quelque chose de mieux à offrir. Mais d'abord, nous devons reconnaître que nous ne pouvons pas le faire seulement au moyen d'une pastorale du cas par cas. Pour ce faire, nous devons proclamer l'enseignement de l'Eglise. Adapté pour les médias, mais pas adapté aux médias. Fidèle à la foi, mais pas vieux jeu.

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Commentaire de Sandro Magister

On peut rapprocher la réflexion de *** de ce qu'a dit - dans une interview à Aleteia le jésuite Antonio Spadaro, directeur de le "Civiltà Cattolica", sur le style de communication de François.

A la question: «Y a-t-il le risque d'être incompris? Certains curés se plaignent de faire figure de "méchants" envers les fidèles qui réclament d'accéder à la communion, même s'ils sont divorcés parce que le pape a dit ...», le père Spadaro a répondu:

«Le risque de malentendu sur les mots du pape existe et fait partie de leur capacité communicative. La communication, si elle est réelle, est ambiguë. Si au contraire elle est faite de communiqués de presse, de formules ou de 'leçons', la parole est claire, mais elle ne communique pas. Le pape a fait un choix précis: privilégier la pastorale et parler aux gens. Bien sûr, il se prête à des malentendu possibles, mais dans le même temps, il fait bouger le peuple de Dieu qui fait appel à ses pasteurs. Les pasteurs sont alors appelés aujourd'hui à relire l'Evangile pour pouvoir mieux l'expliquer aux gens qui sont secoués par les paroles de François. La parole du pape n'est pas la dernière, celle définitive qui produit des sentences, mais c'est la parole capable de secouer le peuple de Dieu et d'ouvrir des processus, ce qui est une autre clé pour comprendre Bergoglio.
Ce n'est pas un pape qui «fait des choses», mais un pape qui «ouvre des processus».