Beaucoup de confusion au Vatican

Un billet du célèbre chroniqueur anglais William Oddie, catholique converti de l'anglicanisme, qui avoue son désarroi, surtout après la publication de l'encyclique écologique

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Articles reliés (National Geographic)

William Oddie (voir ici une liste de billets récents de sa plume), ex-directeur et actuellement chroniqueur du Catholic Herald - l'hebdomadaire catholique britannique "conservateur", par opposition à The Tablet qui suit grosso modo la ligne de La Croix - , réagit à son tour à l'article de National Geographic , où le Père Lombardi (qui s'est ensuite prudemment démarqué des propos qui lui avaient été prêtés) dressait un portrait du Pape tranchant avec la langue de bois, proche de l'hagiographie, et habituelle lorsqu'il est question de François.

Au lendemain de la renonciation de Benoît XVI, William Oddie avait écrit un billet intitulé "Les pères ne démissionnent pas", puis, un an après, à propos de François: "Un sentiment croissant d'incertitude".
Ceci pour le situer.
Il n'est pas un anti-bergoglien "primaire", ayant été au début, au moins publiquement, un soutien convaincu de François, et son témoignage n'en a que plus de force.

Par ailleurs, l'article reflète bien l'impact plutôt négatif que l'Encyclique écologique a eu dans la sphère "libérale" anglo-saxonne... un facteur avec lequel François devra compter à l'occasion de son prochain voyage aux Etats-Unis.

Ce pape ne «fait» pas de doctrine.
Sa vocation particulière comme Souverain Pontife n'apparaîtra pas avant de nombreuses années

www.catholicherald.co.uk
(Ma traduction)

* * *

Si vous êtes perplexe, et même désorienté par la façon dont le Saint-Père conduit son pontificat (et je souligne d'emblée que ce qui suit n'entend pas être une attaque contre ledit pontificat), vous pouvez être rassurés par un article du National Geographic de ce mois-ci, qui contient quelques remarques éventuellement indiscrètes du porte-parole du pape, le père Federico Lombardi, indiquant que vous n'êtes pas le seul. Je dis «éventuellement», car, comme il est le directeur de la communication du Pape, celui-ci ne tient peut-être pas à ce que nous en ayons connaissance.

Il s'agit d'une conversation entre Federico Wals, porte-parole du Pape quand il était archevêque de Buenos Aires, et le P. Lombardi.
«Alors, mon Père», a demandé l'Argentin, «comment vous sentez-vous, au sujet de mon ancien patron?». Réussissant à sourire, le père Lombardi a répondu: «Désorienté».

[Suit le passage de l'interview qu'Anna a traduit ici: Le Pape qui va changer l'Eglise ]

Au Vatican, il y a une grande confusion sur l'imprévisibilité apparente du pape. «Totalement spontané», dit le Père Lombardi du geste très commenté de François lors de sa récente visite au Moyen-Orient - notamment son accolade avec un imam, Omar Abboud, et un rabbin, son ami argentin Abraham Skorka, après avoir prié avec eux au Mur occidental. Mais en réalité, Skorka a dit, «j'en avais discuté avec lui avant de partir pour la Terre Sainte - Je lui ai dit: "C'est mon rêve, vous embrasser devant le mur, vous et Omar".»

Peut-être son imprévisibilité est-elle plus calculée que nous ne l'avons supposé? Peut-être cela fait-il partie de sa campagne pour réformer la Curie romaine, qui était clairement devenue corrompue et trop puissante (1). Tout le monde se souvient encore de sa diatribe de Noël 2014 aux plus hauts responsables de l'Eglise, y compris une liste de 15 "maux" dont il a dit que la bureaucratie du Vatican était la proie. Il dépeignait une hiérarchie de l'Eglise qui avait à certains moments perdu son humanité, un organisme consummé par le narcissisme, où des hommes destinés à servir Dieu avec optimisme présentait au contraire au monde un visage durci, stérile. Il dénonçait la «pathologie du pouvoir», et l' «Alzheimer spirituel» qui avait fait oublier la joie aux dirigeants de l'Église catholique.

Eh bien, ils n'ont pas beaucoup apprécié: la question est 'avait-il raison?'. La «confusion» encore ressentie au Vatican, et rapportée par le P. Lombardi, pourrait bien faire partie d'une tactique pour prendre le dessus sur la Curie romaine: qui sait?

Mais qu'en est-il du reste d'entre nous?
Je suis dérouté, moi aussi: après la publication de Laudato Si, j'étais même en colère, du moins au début (cf. www.catholicherald.co.uk).

Il se pourrait, qui sait, que j'attende trop de mon pape.
Quand je suis devenu catholique, Jean-Paul II était le pontife régnant. Contrairement à François, qui laisse la doctrine à la CDF (rendons grâce à Dieu au moins de cela), le Pape Jean-Paul voyait la doctrine comme sa plus grande priorité: étant donné le chaos doctrinal qui régnait dans l'Eglise, c'était une nécessité.
Sa plus grande réalisation, en réalité, a été de faire plus que tout pape du siècle dernier pour rétablir l'autorité du Magistère, pour réaffirmer avec certitude le caractère stable et objectif de l'enseignement catholique. Il a discrédité le «magistère alternatif», non pas en bannissant les individus (bien que le Père Küng, par exemple, se soit vu enlever son permis d'enseigner la doctrine catholique), mais par un enseignement clair et sans ambigüité. En conséquence de quoi il a rendu possible pour des centaines de milliers de non-catholiques comme moi d'entrer en pleine communion avec le Saint-Siège. Nous avions enfin pu retourner à la maison, échapper aux communautés ecclésiales où il n'y avait aucun moyen d'arriver à avoir les idées claires sur le moindre sujet.
Benoît, avec son herméneutique de la continuité, sa restauration de l'Usus antiquior, et tant d'autres choses par ailleurs, a poursuivi le grand projet de Jean-Paul (dont, bien sûr, il avait été l'un des principaux architectes).
Ils étaient les seuls papes que j'ai connus en tant que catholique.
Je pensais que c'était pour cela que les papes étaient là: défendre et structurer le Magistère.

Un dimanche matin, après la messe, juste après avoir écrit mon article sur Laudato Si' (réellement dans une certaine détresse: je n'aime pas critiquer le Pape: ce Pape, tout Pape ) je répondis à un prêtre qui me demandait comment j'allais. «Dérouté et bouleversé» ai-je dit. «Pourquoi donc?» «Eh bien, à cause du Pape. Surtout à cause de cette encyclique».
«Ah!» a-t-il dit. «L'encyclique. Je ne l'ai pas lue, et je ne pense pas que je le ferai. Nous ne sommes pas obligés, vous savez. Et ne soyez pas bouleversé par le Pape. Les Papes viennent et les Papes s'en vont. Un grand Pape est un merveilleux bonus: nous en avons juste eu deux d'affilée. Mais c'est de l'Église, que nous dépendons».

Ce pape pourrait bien avoir sa vocation particulière, lui aussi: mais il est probable que nous ne la connaîtrons que dans de nombreuses années: il se pourrait que nous ne vivions pas assez pour le comprendre, et même lui non plus.
Donc, je laisse tomber. Dérouté? Ne le soyez pas: il y a tellement de choses dont nous pouvons être certains. C'est ce qui va nous sauver, en fin de compte. Que dire d'autre?

* * *

NDT:
(1) C'est une vision mythifiée de la "Curie", un peu trop facile, et qui a cours plutôt dans les milieux progressistes. La Curie, comme nous l'avons illustré à de multiples reprises, recouvre des réalités très différentes, et en outre les principales menaces qui pèsent actuellement sur l'Eglise sont bien loin de venir exclusivement de la Curie.