Qui étaient les loups?

Antonio Socci réagit aux révélations posthumes du père Fausti, le jésuite confident et confesseur de feu le cardinal Martini, qui attribue à ce dernier un rôle décisif (mais peu vraisemblable) tant dans l'élection que dans la renonciation de Benoît XVI. Mise à jour le 20 juillet.

 

Il y a tout juste quatre jours, le vaticaniste du Corriere della Sera, Gian Guido Vecchi, sortait un mini-scoop, avec ce titre:
LE CONFESSEUR DU CARDINAL: «QUAND MARTINI DIT À RATZINGER: LA CURIE NE CHANGE PAS, TU DOIS PARTIR» (cf. www.corriere.it)
Le scoop s'appuyait sur une video (ICI) où le confesseur du cardinal Martini, le Père Silvano Fausti, SJ, se confiait à des membres de son entourage, trois mois avant de mourir.

Rien de bien nouveau dans tout cela, en vérité, et ma première réaction a été double: 1. Voilà qu'on fait parler les morts! - 2. Ce religieux livre au public des faits qui auraient dû rester secrets, si tant est qu'ils soient vrais (le déroulement des conclaves, et des confidences peut-être reçues sous le sceau du secret de la confession).

Mais la réflexion qu'elles inspirent à Antonio Socci est bien plus intéressantes que les "révélations" elles-mêmes (qui sont par ailleurs truffées d'approximations et d'inexactitudes).

Le thriller de la "renonciation" de Benoît XVI se poursuit

www.antoniosocci.com
19 juillet 2015
(ma traduction)
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Il y a dans l'Église un passionnant thriller ("giallo"). Il enveloppe les deux derniers conclaves, en premier lieu celui dont Joseph Ratzinger est sorti élu, en 2005.
Ensuite, le conclave de 2013, parce que - au-delà de la régularité du vote qui pourrait conduire à sa nullité - il n'aurait pas eu lieu si Benoît XVI, le 11 Février 2013, n'avait pas fait le geste inouï de renonciation à la papauté, à ce jour encore inexpliqué.
Renonciation controversée puisque Benoît XVI, unique dans l'histoire, a décidé néanmoins de rester pape émérite et de conserver l'habit blanc, le titre et même les insignes pontificaux, continuant à vivre «dans l'enclos de Pierre».
La question sur la démission de Benoît XVI, posée dans mon livre «Non è Francesco», s'est à nouveau proposée avec la publication d'une interview du Père Silvano Fausti, qui a été pendant de nombreuses années le confesseur du cardinal Martini.

RÉVÉLATIONS
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Dans cette conversation enregistrée en avril dernier par des personnes de sa communauté, le père Fausti, décédé il y a presque un mois (le 24 juin), dit une phrase étonnante (à 10'51" de la vidéo): «La démission de Ratzinger était déjà programmée». Puis, après quelques secondes, il ajoute: «à son élection avec (ndt: grâce à?) Martini» (“alla sua elezione con Martini”).
C'est la «révélation» la plus importante. Fausti - pour l'expliquer - parle du conclave de 2005 (mais n'y avait-il pas le secret? D'où viennent ces informations?).
Selon Fausti, en 2005 Ratzinger et Martini étaient les deux candidats adverses et Martini avait le plus de voix. Mais quelqu'un voulait griller les deux candidats pour élire «un de la Curie, très sournois, et ça n'a pas réussi».
Ainsi, «ayant découvert la manoeuvre», dit Fausti «Martini est allé chez Ratzinger dans la soirée et lui a dit: accepte demain de devenir pape avec mes voix ... accepte, toi, qui es à la Curie depuis trente ans et qui es intelligent et honnête: si tu réussis à réformer la Curie, ça va, sinon tu t'en vas».

L'ensemble de cette version est discutable. En effet Martini n'a pas réellement joué un rôle important en 2005: il a eu très peu de voix, il était déjà malade et il a appuyé la candidature de Bergoglio, le véritable adversaire de Ratzinger.
Mais le détail intéressant est quand Fausti soutient que Martini aurait prévu dès ce moment la démission de Ratzinger.
Fausti, tout de suite après, dit à propos de Benoît XVI: «et le premier geste qu'il a fait, il est allé à L'Aquila pour poser son étole, son pallium sur la tombe de Célestin V dès le début du pontificat».
Fausti semble nous présenter une communauté d'idées entre Martini et Ratzinger, qui pourtant est objectivement invraisemblable (ils ont toujours représenté les pôles opposés).
En outre, Fausti suggère également qu'il y a eu un accord entre les deux prélats sur la future démission, en raison de l'impossibilité de réformer la Curie. Au point qu'il cite l'épisode lié à Célestin V (le pape qui a démissionné en 1200), même si, en réalité, la visite de Benoît XVI n'est pas du tout advenue au début du pontificat, comme le dit Fausti («dès le début de la papauté »), mais en avril 2009 (1).
Nous devons donc nous poser la question: est-il vrai que planait sur ce Conclave le thème de la «papauté à durée limitée»?

MYSTÈRES ET ÉQUIVOQUES
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Deux vaticanistes, Paolo Rodari et Tornielli Andrea, dans leur livre de 2010 “Attacco a Ratzinger” (2), alors que s'était désormais déchaînée sur Benoît XVI une attaque concentrique jamais vue auparavant rapportaient une «confidence», recueillie de la bouche d'un «prélat autorisé» du Vatican: «Je me souviens encore, comme si c'était aujourd'hui, les mots que j'entendis d'un cardinal italien, alors très puissant dans la Curie romaine, au lendemain de l'élection de Benoît XVI. "Deux à trois ans, il ne durera que deux à trois ans ...". Il disait cela en accompagnant ses paroles d'un geste de la main, comme pour minimiser».
Que signifiaient ces mots? Que le nouveau pape était d'un âge avancé, ou bien autre chose?
J'ajoute un témoignage personnel. Quand moi, dans ces colonnes, en Septembre 2011, je lançai le scoop qui me valut la colère bien sentie des vaticanistes, une nouvelle qui à cette époque semblait folle et fausse, celle de la démission de Benoît XVI, je pus le faire parce que ma source était une importante personnalité ecclésiastique de la Curie, absolument fiable (3).
Ce qui me frappa le plus, c'est la certitude avec laquelle lui, personne sérieuse et de peu de mots, me «servit» l'information comme un fait absolument sûr, au point qu'il ajouta même la date: à 85 ans accomplis.
C'est exactement ce qui s'est passé (en effet, en Février 2013, Ratzinger n'avait pas encore atteint 86 ans).
C'est pourquoi les «révélations» du père Fausti - quoique dans un cadre historique discutable - confirment l'idée que cette «renonciation» n'a pas été une initiative improvisée et personnelle: selon lui, elle a des racines dans le conclave de 2005.
Le père Fausti ajoute même un autre fait qui est arrivé - dit-il - «au bout de dix ans». Selon les journaux, il se référait au 2 juin 2012 (ndt: donc au bout de sept ans... le père Fausti avait un problème avec les dates!), quand Benoît XVI s'était rendu à Milan pour la Rencontre Mondiale des Familles et, entre autres, dans l'après-midi, avait également reçu le cardinal Martini, désormais très malade (il devait mourir trois mois plus tard).
Eh bien, dans cette circonstance, raconte le père Fausti, l'ex-archevêque de Milan avait dit à Benoît XVI, «c'est le moment, ici on ne peut rien faire».
À mon avis, s'il a effectivement prononcé ces mots exacts, Martini faisait allusion à son état de santé, désormais grave. Toutefois, le père Fausti semble donner une interprétation différente, de sorte que le «Corriere della Sera» a titré: «Quand Martini dit à Ratzinger: la Curie ne change pas, tu dois partir».
Mais où sont les guillemets?
En outre, le père Fausti considère que ces mots exprimaient la proximité de Martini au Pape. Mais il y aurait bien peu de consonance dans un tel appel à démissionner. En outre, c'était l'époque où le cardinal Martini tonnait contre «une Eglise restée 200 ans en arrière» (4). Bien loin d'une consonance ... Martini et Benoît XVI ont toujours été sur des pôles opposés.
Cela dit, je ne crois absolument pas qu'à ce moment, Martini ait appelé le pape à démissionner (même s'il pouvait le penser). Cela n'aurait pas été respectueux envers le pontife. Je dis cela pour sa défense.
Tout comme il est totalement inimaginable que Ratzinger, au Conclave, ait donné son consentement à un pacte ou à la simple perspective plus ou moins tacite d'une renonciation future. Une sorte de "gentlemen agreement" qui aurait eu pour toile de fond le jugement sévère commun sur la Curie romaine n'est pas davantage pensable.
Du reste, contrairement à ce qu'avait annoncé le cardinal anonyme cité par Rodari et Tornielli, qui espérait qu'il ne durerait que deux ou trois ans, le pontificat de Benoît XVI a duré près de huit ans.
Et puis - même si la question de la renonciation était dans l'air et qu'il l'avait lui-même pré-annoncée à ses collaborateurs en Juin 2012 - la décision a été prise ensuite avec une certaine précipitation.

LES TEMPS
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Il est étonnant, en effet, connaissant la mentalité germanique (??) de l'homme Ratzinger, qu'il ait laissé à la moitié l'encyclique sur la foi (la plus important de son pontificat) et aussi l'«Année de la foi» proclamée par lui.
Il est notoire que ceux qui l'avaient rencontré dans les jours précédents n'avaient absolument pas eu la sensation de parler à un homme qui devait démissionner quelques heures après.
Et aujourd'hui, nous pouvons dire que le temps a également démenti toutes les rumeurs sur sa santé puisque, deux ans après la renonciation, le pape Benoît va bien et sa parfaite santé intellectuelle lui permet de faire de très beaux discours publics comme celui récent à Castelgandolfo.
Qu'y avait-il alors de si urgent pour le conduire à une renonciation aussi précipitée? Il me semble que cela reste à comprendre.
Ainsi le thriller continue et les déclarations du père Fausti l'enrichissent d'interrogations.

Par ailleurs, ce fut Benoît XVI lui-même qui montra tout le caractère dramatique du présent. Juste au moment le plus solennel, dans l'homélie [de la messe] d'inauguration, il prononça en effet cette phrase inimaginable sur les lèvres d'un pape, mais qui disait la dureté des temps que l'Église est en train de vivre: «Priez pour moi, pour que je ne fuie par peur devant les loups».

 

NDT

(1) Voir ici: benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/le-pallium-de-benoit-xvi-pour-st-pierre-celestin
(2) Traduit en français sous le titre "Un pontificat sous les attaques". Dossier ici: benoit-et-moi.fr/2011-III
(3) Je suis obligée d'admettre que je m'étais moi aussi totalement trompée... et je n'en suis pas fière (voir ici: benoit-et-moi.fr/ete2011). A ma décharge, c'était à l'époque vraiment et totalement INIMAGINABLE.
(4) benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/document-le-testament-du-cardinal-martini

Mise à jour

Je reçois ce commentaire de mon amie Luisa, que je partage entièrement:

[J'ai été agacée] que l`on fasse de Benoît une pauvre marionnette dans les mains de Martini qui aurait décidé et de son élection et de son départ.
Comme si Benoît XVI avait démontré dans sa vie qu'il était une personne susceptible de se laisser influencer, comme s'il avait eu besoin de Martini pour mûrir une décision dont lui seul sait, dans son intime, quand elle a pris son origine.

Je me refuse de donner crédit aux paroles d'une personne définie parmi les figures les plus significatives du catholicisme progressiste post-conciliaire, très proche du cardinal Martini - lequel n'appréciait pas le gouvernement, les choix, les décisions de Benoît et ne s`est pas privé de le dire - et qui en plus semble avoir trahi sa confiance, en révélant des détails reçus en confidence, sinon en confession; et que rien ni personne ne peut confirmer, vu que Martini lui-même est mort.

Alors que Benoît LUI est bien vivant et qu`on lui manque encore une fois de respect.