Qui l'a emporté au Synode?

Une autre analyse très pertinente de Ross Douthat (qui écrit toujours dans le NYT). Où l'on comprend pourquoi les "libéraux" veulent sa peau...

>>> Cf. Chasse aux sorcières dans l'Eglise miséricordieuse

 

Qui l'a emporté au Synode?

Ross Douthat
26 octobre 2015
douthat.blogs.nytimes.com
Traduction par Anna


Personne, bien sûr, car il n'y avait pas deux "côtés", ou camps ou (Dieu nous en garde) factions ou quoi que ce soit d'aussi fâcheux. C'était entièrement un dialogue, un moment de rencontre et de discernement, une ouverture à l'Esprit Saint qui a permis à l'Église Catholique Romaine d'être église d'une manière nouvelle pour le troisième millénaire. C'était un début, une ouverture, le premier chapitre d'un histoire sans fin, le premier pas d'un voyage perpétuel, car nous sommes tous ensemble de passage. Ainsi, personne n'a gagné, car réellemnt, tout le monde a gagné.

Comme le dirait Saint Athanase, LOL (Laught Out Loud, en français "mort de rire" - en jargon internet)

Non, voyez-vous, ce qui s'est réellement passé, c'est que les conservateurs ont obtenu ce qui était la chose la plus proche de la victoire qu'ils pouvaient espérer, étant donné que 1°/ le pape était contre eux, 2°/ le pape a empilé les commissions de gouvernement et de rédaction, et je l'ai déjà souligné 3°/ le pape était contre eux (les gens qui soutiennent encore que le Pape François était soigneusement neutre, qu'il voulait juste du dialogue, que ses idées sont impossibles à connaître, doivent s'asseoir et lire l'engueulade qu'il a adressée aux conservateurs dans son discours de clôture et la comparer avec la façon bien plus impartiale par laquelle il a conclu le synode de l'automne dernier, quand la résistance des conservateurs à la direction planifiée pour le synode était beaucoup plus désorganisée). C'est à dire que [les Pères conservateurs] ont validé un document utilisant des mots démodés comme "indissoluble" pour parler du mariage, évité le plus possible le sujet de l'homosexualité, et produit quelques paragraphes denses, parfois ambigus, quelque peu impénétrables, sur l'accueil et l'accompagnement des Catholiques divorcés et remariés, SANS offrir de voie vers la communion en l'absence d'annulation, ni proposer de déléguer cette question aux conférences nationales des évêques, comme le voulaient manifestement les évêques allemands et les autres groupes progressistes au synode.

Les journalistes qui ont parlé du document du synode comme d'un revers pour les novateurs (et, parce qu'il les a soutenus, pour le Pontife) ont en grande partie raison (...). La même chose vaut, dans une certaine mesure, pour les journalistes qui en parlent comme d'une sorte de brèche vers l'innovation, car les conservateurs n'ont pas eu les votes, ou le pouvoir, pour éviter toutes les ambiguïtés.
La première lecture, et la plus simple, du texte synodal soutient la première interprétation [...]: il n'y a pas eu d'abrogation de l'ancienne interdiction sur la communion aux remariés, et il y a de nombreuses expressions indiquant que cette interdiction est toujours en vigueur. Mais en même temps [...] le texte n'est pas aussi clair que le document de Jean-Paul II qu'il cite, Familiaris Consortio, et il consacre tellement de temps à parler de discernement et de cas individuels qu'il semble parfois arriver "à la limite" de la communion pour les remariés, sans franchir le pas, parmi un flot de paroles.

L'interprétation de cette démarche "sur la pointe des pieds" dépend par ailleurs de la façon dont vous VOULEZ l'interpréter.
Si vous voulez le lire en continuité avec le passé catholique et interpréter le document synodal à la lumière des enseignements antérieurs qu'il cite, vous aboutirez à une lecture, disons, conservatrice fondée sur la continuité. Mais si vous le lisez dans le sens de la rupture, vous mettrez l'accent sur le sens du mouvement, le fait que le nouveau texte est en quelque sorte moins clair et plus ambigu que les textes précédents, et suggère que même un changement modeste, par sa nature, ouvre la porte à des changement ultérieurs. C'est en gros la manière dont de nombreux documents de Vatican II ont fini par être lus par les catholiques libéraux, comme le souligne Joseph Shaw, le champion de la messe en latin version anglaise; les interprétations selon l'"esprit de Vatican II" du chemin que devait suivre l'Eglise après le concile:

sont venues après la promulgation de documents qui avaient été remaniés dans un sens conservateur, des documents que les évêques les plus conservateurs crurent pouvoir appuyer malgré tout, car on pouvait tout à fait les lire d'une manière cohérente avec des points de vue traditionnels. Par exemple, c'est à une phase avancée du processus qu'une phrase célèbre du document sur la liturgie, Sacrosantum Concilium, prit sa forme définitive ('il ne doit pas y avoir d'innovations à moins que le bien de l'Église ne le requière vraiment et avec certitude') avec l'ajout de "en vérité et avec certitude", vera et certa. Avec cela dans le document, que pouvait-on demander de plus?


Mais des lectures libérales postérieures des documents ont mis l'accent sur le mouvement comme la clé des intentions du concile, au-dessus et au-delà de ce que le texte disait explicitement. Ainsi, dans le cas de la réforme liturgique, les libéraux ont souligné que:

le Concile a fait bouger l'Église, de la défense (par exemple) du vêtement religieux traditionnel avec tous les ornement, ou d'une Liturgie complètement latine, vers un point où il nous est demandé d'envisager si tous les ornements sont appropriés aux conditions modernes, ou de considérer l'utilisation du vernaculaire dans certaines parties de la Messe. Ce que nous devons tirer du Concile, affirmaient les libéraux, n'est pas la position finale, affirmée du document - vêtements et Latin devraient absolument être retenus - mais la direction du mouvement. Poursuivre ce mouvement est donc une question d'obéissance au Concile: violer les paroles claires du Concile et jeter ensemble aux orties vêtements et Latin, c'est en fait obéir au Concile. Insister sur ce que le Concile a dit effectivement signifie désobéir au Concile.


En tant que traditionaliste, Shaw adopte une position hostile à cette interprétation, mais je pense que si vous reformulez cela dans leur idiome préféré, beaucoup de catholiques libéraux l'admettraient et l'adopteraient. "Ne jamais mettre un point là où Dieu a mis une virgule", affirme un refrain du protestantisme libéral, et dans la lecture des documents post-conciliaires, les catholiques libéraux se sont en général employés à 1°/ trouver tout ce qui ressemble à une virgule, et ensuite à 2°/ déclarer que cette virgule implique une clause successive (ou plusieurs), rédigée dans leur forme préférée. C'est ce qui a été déjà fait avec le document de ce synode, par le cardinal Kasper, notamment, mais par beaucoup d'autres aussi.

Mais: avoir un document qui peut être interprété comme une autorisation de la part d'évêques libéraux (et d'un Vatican qui s'abstiendra de punir et ne repoussera pas cette interprétation), ce n'est pas la même chose qu'avoir un document qui d'un point de vue conservateur enseigne activement l'erreur, ou qui, en cas de devolution ( voir ici: Synode: quelle majorité écrasante?, ndt), donne l'autorité doctrinale à cet enseignement au niveau national ou local. Dans le premier cas, la balance post-années soixante pencherait davantage vers un catholicisme libéral, mais sans annoncer une crise théologique immédiate pour les conservateurs ou une sorte de glissement (peut-être lent ou peut-être rapide) vers des scénarios de type anglican. On pourrait dire que cela remonte l'horloge à 1975, revenant sur quelques-uns des acquis que les conservateurs croyaient avoir obtenus, et change les termes de ce que Weigel a appelé "la trève de 1968" (une trève que je considère plus favorablement que lui, pour ce qu'elle vaut) pour les rendre plus favorables aux catholiques libéraux… mais Jean-Paul II et Benoît avaient changé les termes dans un sens conservateur, ce revirement n'est donc pas un 'terrain inconnu' pour l'église post-Vatican II.

Ce qui serait un terrain inconnu, ce serait si ce pape décidait d'agir sur la base de son irritation envers les conservateurs et/ou de sa vision de la décentralisation, et utilisait son exhortation post-synodale pour élargir la brèche que les libéraux voient déjà plus large, indéniable, visible à tous. Sur cette question l'heure n'est plus aux prédictions. La partie de moi qui pense qu'il ne va pas prendre de tels risques a aussi pensé que ses réformes libérales sur l'annulation [du mariage] allaient refroidir son ardeur de changement, et sincèrement je n'ai pas d'idée de ce qu'il entend risquer de plus. Pour le reste de l'automne je m'en tiendrai aux prédictions hippiques. Dieu seul peut connaître les plans du Vicaire du Christ.