Repentance papale (une de plus)

En Bolivie, le pape a demandé pardon pour les fautes commises par les catholiques durant l'évangélisation du continent américain. Un article d'un blog espagnol, traduit par Carlota ; et un rappel de la réprobation qui, sur ce thème, avait accueilli Benoît XVI au Brésil en 2007.

>>> Image du film de Mel Gibson, Apocalypto.
J’avais consacré un article à ce film extraordinaire, en lien avec la polémique qui avait entouré le voyage du saint-Père à l'époque : benoit-et-moi.fr/2007

 

On se souvient sans doute de la toute récente (et discutable) demande de pardon du Pape aux Vaudois pour les « crimes » commis contre eux, au fil des siècles, par les méchants catholiques, oubliant les fautes que les vaudois eux-mêmes auraient pu avoir à se reprocher envers leurs « frères » catholiques (cf. benoit-et-moi.fr/2015-II/actualite/franois-les-vaudois-et-la-franc-maonnerie)

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour assister à une nouvelle repentance du Pape. Cela s’est passé durant son bref séjour en Bolivie:

Lors de la conclusion de la Rencontre des mouvements populaires du monde, en présence du président bolivien Evo Morales jeudi 9 juillet, le pape François a demandé pardon aux peuples indigènes du continent américain pour le mal commis par l'Église pendant sa mission d'évangélisation. «De nombreux et de graves péchés ont été commis contre les peuples originaires de l'Amérique au nom de Dieu, a reconnu François, comme ses prédecesseurs. Je demande humblement un pardon, non seulement pour les offenses de l’Église même, mais pour les crimes contre les peuples autochtones durant ce que l’on appelle la conquête de l’Amérique».
François a tout de même (!!!) tenu à faire mémoire de tous ces prêtres, évêques, sœurs et religieux, «qui se sont opposés à la logique de l'épée avec la force de la croix», prenant la défense des peuples indigènes.
(Radio Vatican)



Il est intéressant (et édifiant!) de revenir 8 ans en arrière, et d’évoquer la visite de Benoît XVI au Brésil.
Le 13 mai 2007, dans le discours d'ouverture du CELAM à Aparecida, Benoît XVI avait dit:

Mais, qu'a signifié l'acceptation de la foi chrétienne pour les pays de l'Amérique latine et des Caraïbes?
Pour eux, cela a signifié connaître et accueillir le Christ, le Dieu inconnu que leurs ancêtres, sans le savoir, cherchaient dans leurs riches traditions religieuses. Le Christ était le Sauveur auquel ils aspiraient silencieusement. Cela a également signifié qu'ils ont reçu, avec les eaux du Baptême, la vie divine qui a fait d'eux les fils de Dieu par adoption; qu'ils ont reçu, en outre, l'Esprit Saint qui est venu féconder leurs cultures, en les purifiant et en développant les nombreux germes et semences que le Verbe incarné avait déposés en elles, en les orientant ainsi vers les routes de l'Evangile.
En effet, à aucun moment l'annonce de Jésus et de son Evangile ne comporta une aliénation des cultures précolombiennes, ni ne fut une imposition d'une culture étrangère.
Les cultures authentiques ne sont pas fermées sur elles-mêmes ni pétrifiées à un moment déterminé de l'histoire, mais elles sont ouvertes, plus encore, elles cherchent la rencontre avec les autres cultures, elles espèrent atteindre l'universalité dans la rencontre et dans le dialogue avec les autres formes de vie et avec les éléments qui peuvent conduire à une nouvelle synthèse dans laquelle soit toujours respectée la diversité des expressions et de leur réalisation culturelle concrète.



Qu'avait-il osé dire là!!!
Il s'en était suivi une immédiate levée de bouclier de la part d'associations de militants pour les droits des minorités autochtones, bien cornaquées par la nébuleuse gauchiste mondiale et abondamment relayée par les médias, comme en témoigne cet article de LA CROIX, sous le titre :" Les peuples indigènes d'Amérique latine indignés par les propos du pape.

L'Organisation nationale indigène de Colombie (ONIC) a exprimé lundi l'émoi des Indiens d'Amérique après les propos du pape Benoît XVI selon lequel le catholicisme n'avait pas été imposé sur le nouveau continent.
"Nier que l'imposition de la religion catholique a été utilisé comme un mécanisme de domination sur les peuples indigènes, c'est vouloir occulter l'histoire", a déclaré à l'AFP Luis Evelis Andrade, directeur de l'ONIC.
"En tant que peuples indigènes, si nous sommes bien croyants, nous ne pouvons accepter que l'Eglise nie sa responsabilité dans l'anéantissement de notre identité et notre culture", a-t-il ajouté.
Après une visite de cinq jours au Brésil et peu avant son retour à Rome dimanche, le pape avait nié la responsabilité de l'Eglise dans la destruction des civilisations précolombiennes.
Les propos de Benoît XVI ont tranché avec la position de son prédécesseur Jean-Paul II qui s'était excusé auprès des peuples indigènes pour la participation des chrétiens dans la conquête de l'Amérique."



La polémique avait enflé, au point que lors de l'audience du 23 mai suivant, alors qu'il faisait selon son habitude le bilan du voyage (www.vatican.va), Benoit XVI, animé par le souci vraiment pastoral de ne pas envenimer les choses et peut-être pressé par son entourage, avait apporté quelques nuances à ses propos.

Les propos de François, en revanche, n'ont pas pris le risque d'une polémique issue de l'extérieur, et ils ont été salués par une approbation presque unanime.
Je dis "presque", car dans la blogosphère espagnole, quelques voix discordantes se sont fait entendre: au-delà des Pyrennées, certains n'ont pas vraiment apprécié que l'on malmène ainsi un passé qui leur appartient en priorité, au nom d'un politiquement correct qui s'appuie sur l'ignorance des gens pour récrire LEUR histoire.
C'est ce dont témoigne cette réflexion du juriste et journaliste espagnol Luis Antequera, qui consacre au dernier « mea culpa » papal cette réflexion sur son blog hébergé par le portail <Religion en Libertad>.

Traduction et présentation de Carlota.

(Carlota)
Si la croix moralésienne en a choqué plus d’un, le mea culpa du Pape François sur la poitrine des autres a été aussi très mal ressenti, car beaucoup ici ou ailleurs commencent à être plus qu’échaudés par ce procédé démagogique de repentance dont nos politiques nous abreuvent depuis déjà plusieurs décennies pour mieux nous étouffer.
Ceux qui en effet connaissent la réalité d’aujourd’hui et l’Histoire d’hier avec un petit h et un grand H, et en particulier celle de l’Amérique hispanique, savent que cette réalité et cette histoire, tant à titre individuel et charnel que collectif, sont particulièrement complexes et ne correspondent pas au « politiquement correct » idéologique sciemment conçu sans nuances.
Bien sûr la vérité rend libre et il n’est pas question de vouloir cacher les douloureuses et tragiques imperfections humaines qui ont fait l’Histoire. Mais ce maxima culpa du Pape me paraît empêcher ceux qui ne savent pas de connaître raisonnablement, rationnellement et équitablement, le passé de leurs ancêtres qu’ils soient Améridiens et/ou Européens.

Des paroles de demande de pardon qui, loin d’apaiser risquent encore de mettre le feu aux poudres, et sûrement pas de rapprocher de Rome les Américains de l’Hispanité dont on meurtrit a posteriori une partie importante sinon essentielle de leurs racines, quoi que puissent en penser les donneurs de leçon. L’enfer est pavé de bonnes intentions.

Et les Aztèques et les Incas, quand demanderont-ils pardon ?

Luis Antequera
www.religionenlibertad

Demander pardon est un exercice salutaire qui en plus d’améliorer la relation entre les personnes produit habituellement chez l’individu qui fait lui-même cette demande une détente, un réconfort difficilement explicable et très satisfaisant.

Le Pape a demandé pardon pour les excès commis par des gens d’Église, bien sûr espagnols dans leur très grande majorité, lors de l’évangélisation de l’Amérique. Ce n’est pas le premier à le faire. Nous avons déjà eu l’occasion de gloser sur la générosité à demander pardon d’un Pape nommé saint Jean-Paul II, qui l’a fait au moins une fois, le 22 novembre 2001, dans son exhortation apostolique post-synodale « Ecclesia in Oceania » (w2.vatican.va).

Cela dit, comme nous le voyons, ces demandes de pardon, et même de pardon à répétition, qui proviennent d’instances et d’institutions bien spécifiques et qui ne sont jamais accompagnées de celles qui devraient provenir d’autres instances et institutions, - conséquence de ce que nous pourrions nommer l’asymétrie qui domine dans le discours du XXIe siècle - ont un effet pervers et indésirable, qui est celui de dénaturer l’histoire jusqu’à des niveaux inadmissibles, en la réduisant à un récit insupportable de bons et de méchants, d’agresseurs et de victimes, de justes et d’injustes, qui ne correspond pas à la vérité historique.

En ce qui concerne l’évangélisation américaine (*), c’est un cas d’école. Le « Manuel d’Histoire pour néo-progressistes », également connu comme « Apprends l’histoire en moins de temps que Zapatero (**) l’économie » met le paquet pour nous présenter une société américaine préhispanique idyllique, magique, paradisiaque, où des indigènes béjaunes et innocents, bons jusqu’à l’ingénuité, unis dans un commune aspiration à la convivialité et à la bonhommie, voient d’un coup leur existence tronquée par l’irruption, dans ce paradis construit avec un grand effort durant des siècles, de quelques étrangers barbus et ambitieux, scélérats à l’extrême, armés d’épées et avec elles, de croix qui sont, en réalité, la pire des armes, parce qu’elles n’ont pas d’autre finalité que de cacher le fil des épées.

Eh bien, la réalité américaine pré-évangélique, ce qui revient à dire pré-hispanique, non seulement est pire que la réalité américaine évangélique ou hispanique, mais est …infiniment pire. Le niveau d’atrocité et de cruauté atteint par les indigènes américains avant 1492 et encore après, tant qu’ils le purent, trouve peu de précédents dans l’histoire de l’Humanité. Au-delà de la culture très rudimentaire des différentes tribus américaines, - seulement comme exemple, en aucun endroit d’Amérique, on ne connaissait la roue, lire et écrire, n’en parlons pas -, les tribus américaines préchrétiennes pratiquaient avec un penchant inédit l’anthropophagie, tandis que les dieux américains préchrétiens s’alimentaient du sang non seulement des prisonniers en temps de guerre, ce qui serait déjà suffisamment mal, mais aussi de celui des belles jeunes filles de leur propre tribu en temps de paix. Le caractère belliqueux des différentes communautés américaines préhispaniques atteignait des hauteurs inimaginables, et la guerre ne connaissait pas de lois, culminant au cours de chaque bataille dans les pires boucheries imaginables. (…).

[Ici, l’auteur met un extrait video du film de Mel Gibson Apocalypto]

Quand est venu le moment de demander pardon, ç'aurait été aussi pour les indiens d’Amérique le moment opportun de se demander mutuellement pardon pour les terribles atrocités commises entre eux pendant des siècles, et qu’ils auraient continué à commettre en toute impunité s’il n’y avait pas eu un beau jour de l’année 1492 quelques personnages barbus venant de l’autre côté des mers. Et, en passant, pour tout le mal que beaucoup d’entres eux infligèrent à des missionnaires bien intentionnés et déterminés, qui ne virent dans l’aventure américaine que l’occasion de gagner de nouvelles volontés au Christ ; tout en apprenant à un peuple totalement primitif et rudimentaire les bases de la civilisation qui rend possible le bien-être et la convivialité et tandis qu’ils fondaient des villes et des universités, beaucoup d’entre eux finirent crucifiés, empalés, découpés en morceaux, quand ils n’étaient pas digérés dans les estomacs des bienveillants et candides indigènes supposés incapables de tout mal

Nous pouvons opter pour quelque chose de ce genre - que chacun demande pardon pour les fautes de ses supposés ancêtres… c’est une solution. Nous pouvons aussi opter pour que personne ne demande pardon pour les fautes qui ont été commises par des gens avec qui nous sommes seulement unis par un arbre généalogique (et parfois même aucun) et nous consacrer à l’acceptation de l’histoire, en oubliant les offenses qui ont été faites par d’autres qui ne sont pas nous et en regardant devant nous.
Mais que ce soit toujours les mêmes qui demandent pardon et les mêmes qui ne demandent jamais pardon, ce n’est pas la solution. Cela ne fait qu’aggraver le problème…s’il existe, et si nous ne sommes pas en train de le créer à force de demander tellement pardon !

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Notes de traduction
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(*) Amérique et américain n’ont évidemment pas en espagnol et dans le monde hispanophone le sens actuellement restrictif français pour Etats-Unis et étatsunien.
(**) Référence au précédent et très décrié chef socialiste du gouvernement espagnol et qui pourrait montrer ce que l’auteur pense de cette demande de pardon !