Ross Douthat s'explique

Le journaliste américain catholique "conservateur" répond avec brio aux aux influents théologiens progressistes qui ont écrit à son patron, le directeur du NYT, pour lui demander de le licencier

>>> Voir à ce sujet:
Chasse aux sorcières dans l'Eglise miséricordieuse

 

Bienvenue sur le champ de bataile...

Chers professeurs!


Ross Douthat
31 octobre 2015
www.nytimes.com
(Ma traduction)

* * *

J'ai lu avec intérêt la lettre largement médiatisée que vous avez adressée à mes éditeurs (du NYT) cette semaine, dans laquelle vous formuliez des objections à ma récente couverture des controverses catholiques, vous plaignant que je lançais des accusations infondées d'hérésie (à la fois «subtilement» et «ouvertement»!), et déplorant la volonté de ce journal de laisser quelqu'un manquant références théologiques donner son opinion sur les débats au sein de notre église. J'ai été à juste titre impressionné par les dizaines de noms d'universitaires qui ont signé la lettre sur le site Daily Theology, et les institutions prestigieuses (Georgetown, Boston College, Villanova) représentées sur la liste.

J'ai beaucoup de respect pour votre vocation. Permettez-moi d'essayer d'expliquer la mienne.

Un chroniqueur a deux tâches: expliquer et provoquer.
La première requiert de donner aux lecteurs une idée des enjeux dans une controverse donnée, et pourquoi cela pourrait mériter un moment de leur capacité d'attention fragmentée.
La seconde nécessite de prendre une position claire sur cette controverse, la meilleure pour susciter les sentiments (solidarité, stimulation, rage aveuglante) qui puisse persuader les gens de lire, revenir, et se réabonner.

J'espère que nous pouvons convenir que les controverses actuelles au sein du catholicisme romain réclament une explication. Et pas seulement pour les catholiques: Le monde est fasciné - comme il se doit - par les efforts de François pour remodeler notre église. Mais les principaux partis, dans les controverses ecclésiales, ont tendance à minimiser les enjeux. Les catholiques conservateurs ne veulent pas admettre que des changements perturbants sont même possibles. Les catholiques libéraux ne veulent pas admettre que le pape pourrait conduire l'église vers une crise.

Donc, dans mon article, j'ai essayé de couper à travers ces faux-fuyants vers ce qui semble être la vérité de base. Il y a vraiment une division, dont les enjeux sont élevés, aux plus hauts niveaux de l'église, sur l'opportunité d'admettre les catholiques divorcés remariés à la communion et sur ce que ce changement signifierait. Dans cette division, le pape penche clairement vers les vues libérales, et il a invariablement manœuvré pour les faire avancer. Au récent synode, il a subi un revers modeste mais réel de la part des conservateurs.

Et puis, à cette description, j'ai ajouté mon propre point de vue provocateur: dans le cadre de la tradition catholique, les conservateurs ont de loin le meilleur argument.

D'abord, parce que si l'église admet les remariés à la communion sans annulation - tout en instituant un processus sans faute accéléré pour obtenir une annulation, comme le pape est prêt à le faire - l'antique enseignement catholique selon lequel le mariage est «indissoluble» deviendrait vide de signification.

Deuxièmement, parce que changer l'enseignement de l'Eglise sur le mariage de cette manière "détricoterait" la perspective catholique plus large sur la sexualité, le péché et les sacrements - rompant la relation de la confession à la communion, et accordant à la cohabitation, aux unions de même sexe et à la polygamie la revendication tout à fait raisonnable d'être acceptées par l'église.

Maintenant, il s'agit simplement, comme vous le notez, de l'opinion d'un chroniqueur. Donc, j'ai écouté attentivement des théologiens accrédités argumenter sur le libéralisme. Ce que j'ai entendu, ce sont trois affirmations principales. La première est que les changements débattus seraient simplement «pastoraux» plutôt que «doctrinaux», et que tant que l'église continuera à dire que le mariage est indissoluble, rien de révolutionnaire n'aura transpiré.

Mais c'est comme prétendre que la Chine n'a pas, en fait, connu une révolution [vers l'économie] de marché, parce qu'elle est toujours gouvernée par des marxistes auto-proclamés. Non: En politique, tout comme en matière de religion, une doctrine vidée dans la pratique est réellement vidée, quoi que suggère la rhétorique officielle.

Quand ce point est soulevé, les réformateurs pivotent vers l'idée que, eh bien, peut-être les changements proposés sont-ils vraiment doctrinaux, mais touts les questions doctrinales n'ont pas la même importance, et la doctrine catholique de toute façon peut se développer au fil du temps.

Mais le développement de la doctrine est censé approfondir l'enseignement de l'église, pas l'inverser ou le contredire. Cette distinction permet, de l'aveu général, de nombreuses zones d'ombre. Effacer les propres paroles de Jésus sur les sujets pas-exactement-mineurs de mariage et de sexualité ressemble certes davantage à un renversement majeur qu'à un changement organique d'approfondissement doctrinal.

A ce point, nous en arrivons au troisième argument, qui fait une apparition dans votre lettre: "Vous ne comprenez pas, vous n'êtes pas un théologien". En effet, je ne le suis pas. Mais le catholicisme n'est pas non plus censé être une religion ésotérique, ni ses enseignements accessibles aux seuls universitaires initiés. Et l'impression laissée par cette cible en mouvement, je le crains, c'est que certains réformateurs minimisent leur position réelle dans l'espoir d'y amener progressivement les conservateurs.

Quelle est cette position réelle? Que presque tout ce qui est catholique peut changer lorsque les temps l'exigent, et "développer" le doctrine signifie simplement suivre l'Histoire avec un H majuscule, peu importe ce qu'on abandonne du Nouveau Testament.

Comme je l'ai mentionné précédemment, la tâche du chroniqueur est d'être un provocateur. Donc, je dois vous dire, ouvertement et non subtilement, que ce point de vue sonne comme une hérésie pour toute définition raisonnable de ce mot.

Maintenant, il se peut que les hérétiques d'aujourd'hui sont des prophètes, l'église sera vraiment révolutionnée, et mes objections seront enterrées avec le reste du catholicisme conservateur. Mais si cela arrive, il faudra mouliner dur , des mots doux et des universitaires abusant de leur position ne suffiront pas. Il faudra une guerre civile jusqu'au bout

Et donc, mes chers professeurs: Bienvenue sur le champ de bataille.