Synode: il n'y a pas de vainqueur

C'est ce que pense le Professeur de Mattei, qui nous apprend par ailleurs des détails inédits sur le déroulement des débats, et notamment la genèse de la fameuse Relation Finale

>>> Précédents article du Prof. de Mattei:
¤ Une blessure au mariage chrétien
¤ Peut-on discuter les actes du gouvernement du Pape
¤ Quand le sens du péché vient à manquer
¤ La décentralisation de l'Eglise voulue par le Pape

>>> Voir aussi: Synode, relatio finale: les passages controversés

 

Ce texte dont le Pof. de Mattei vient de m'adresser la version originale en italien sera publié aujourd'hui sur "Corrispondenza Romana".

La conclusion est que nous nous trouvons face à un document ambigu et contradictoire qui permet à chacun de chanter victoire; même si personne n'a gagné. Tous ont été défaits, à commencer par la morale catholique qui sort profondément humiliée par le Synode sur la famille qui s'est conclu le 24 octobre

L'échec du Synode: tous vaincus, à commencer par la morale catholique


Au lendemain du XIVe Synode sur la famille, tout le monde semble avoir gagné. Le Pape François a gagné, parce qu'il a réussi à trouver un texte de compromis entre des positions opposées; les progressistes ont gagné parce que le texte approuvé admet à l'Eucharistie les divorcés remariés; les conservateurs ont gagné, parce que le document ne contient pas de référence explicite à la communion pour les divorcés et rejette le «mariage gay» et la théorie du gender.

Pour mieux comprendre comment les choses se sont vraiment passées, il faut partir de la soirée du 22 Octobre, quand les Pères synodaux se sont vus remettre le rapport final préparé par un comité ad hoc sur la base des amendements (modi) à l'Instrumentum laboris, proposés par les groupes travail divisés par langues (circuli minores).
À la grande surprise des Pères du Synode, le texte qui leur a été remis jeudi soir était uniquement en italien, avec interdiction absolue de le communiquer non seulement à la presse, mais aussi aux 51 auditeurs et aux autres participants à l'assemblée. Le texte ne tenait aucun compte des 1355 amendements proposés au cours des trois semaines précédentes et reprenait en substance l'implantation de l'Instrumentum laboris, y compris les paragraphes qui avaient suscité dans la salle les plus fortes critiques: ceux sur l'homosexualité et sur les divorcés remariés. La discussion était prévue pour le lendemain matin, avec la possibilité de préparer de nouveaux amendements en seulement une nuit, sur un texte présenté dans une langue maîtrisée par une partie seulement des Pères.
Mais le matin du 23 Octobre, le Pape François, qui a toujours suivi les travaux avec attention, s'est trouvé confronté à un refus inattendu du document élaboré par la Commission. Au moins 51 Pères synodaux intervenaient dans le débat, dont la plupart étaient opposés au texte approuvé par le Saint-Père. Parmi ceux-ci, les cardinaux Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques; Joseph Edward Kurtz, Président de la Conférence des évêques américains; Angelo Bagnasco, président de la Conférence épiscopale italienne; Jorge Urosa, archevêque de Caracas; Carlo Caffara, archevêque de Bologne; et les évêques Zbignevs Gadecki, Président de la Conférence épiscopale polonaise; Henryk Hoser, Archevêque-Évêque de Varsovie-Prague; Ignace Stankevics, archevêque de Riga; Tadeusz Kondrusiewicz de Minsk-Mohilev; Stanislaw Bessi Dogbo, évêque de Katiola (Côte-d'Ivoire); Hlib Borys Sviatoslav Lonchyna, évêque de Holy Family of London, des Ukrainiens Byzantins, et beaucoup d'autres, tout en exprimant, avec des tons différents, leur désaccord du texte.
Le document ne pouvait certes pas être présenté à nouveau le lendemain dans la salle, avec le risque d'être mis en minorité et de produire un scission. La solution de compromis a été trouvée en suivant la voie tracée par les théologiens du "Gemanicus", le cercle qui comprenait le cardinal Kasper, l'icône du progressisme, et le cardinal Müller, Préfet de la Congrégation de la Foi. La commission, entre le vendredi après-midi et le samedi matin élaborait un nouveau texte, qui était lu dans la salle le matin du samedi 24 et ensuite soumis au vote dans l'après-midi, obtenant pour chacun des 94 points la majorité qualifiée des deux tiers, ce qui sur les 265 Pères synodaux présents, représentait 177 votes.

Dans le briefing de samedi, le cardinal Schönborn en avait prévu la conclusion en ce qui concerne le point le plus discuté, celui sur les divorcés remariés:
«On en parle, on en parle avec une grande attention, mais le mot clé est "discernement", et je vous invite tous à penser qu'il n'y a pas le noir ou le blanc, un simple oui ou non, il s'agit de discerner, et c'est justement la parole de saint Jean-Paul II dans Familiaris Consortio: l'obligation d'exercer le discernement parce que les situations sont différentes et l'exigence de ce discernement, François, en bon jésuite, l'a apprise jeune: le discernement, c'est essayer de comprendre quelle est la situation de tel couple ou de telle personne».
"Discernement et intégration" est le titre des numéros 84, 85 et 86. Le paragraphe le plus controversé, le §85, qui fonde l'ouverture vers les divorcés remariés, et la possibilité pour eux de recevoir les sacrements - mais sans mentionner explicitement la communion - a été approuvé avec 178 voix pour, 80 contre et 7 abstentions. Une seule voix de plus que le quorum des deux tiers.

L'image de François n'en sort pas renforcée, mais brouillée et affaiblie, au terme de l'assemblée des évêques. Le document qu'il avait approuvé a été en effet ouvertement rejeté par la majorité des Pères synodaux, le matin du 23, qui a été son "jour noir". Le discours de clôture du pape Bergoglio n'a exprimé aucun enthousiasme pour la Relatio finale, mais une réprobation répétée contre les Pères synodaux qui avaient défendu les positions traditionnelles. C'est pourquoi, a dit entre autre le pape samedi soir, conclure ce Synode «signifie encore avoir mis à nu les cœurs fermés qui souvent se cachent jusque derrière les enseignements de l’Église ou derrière les bonnes intentions pour s’asseoir sur la cathèdre de Moïse et juger, quelquefois avec supériorité et superficialité, les cas difficiles et les familles blessées. (...) Cela signifie avoir cherché à ouvrir les horizons pour dépasser toute herméneutique de conspiration ou fermeture de perspective pour défendre et pour répandre la liberté des enfants de Dieu, pour transmettre la beauté de la Nouveauté chrétienne, quelquefois recouverte par la rouille d’un langage archaïque ou simplement incompréhensible». Des mots durs, exprimant l'amertume et l'insatisfaction: certainement pas celle d'un vainqueur.
Les progressistes aussi ont été défaits, parce que non seulement toute référence positive à l'homosexualité a été retirée, mais aussi l'ouverture aux divorcés remariés est beaucoup moins explicite que ce qu'ils avaient voulu.
Mais les conservateurs ne peuvent pas chanter victoire. Si 80 Pères synodaux, un tiers de l'Assemblée, a voté contre le paragraphe 85, cela signifie qu'il n'était pas satisfaisant. Le fait que ce paragraphe soit passé à une voix près n'efface pas le poison qu'il contient.
Selon la Relatio finale, la participation des divorcés remariés à la vie ecclésiale peut s'exprimer dans "différents services": il faut pour cela «discerner lesquelles des diverses formes d'exclusion pratiquées actuellement dans les domaines liturgique, pastoral, éducatif et institutionnel peuventt être surmontées. Non seulement ils ne doivent pas se sentir excommuniés, mais ils peuvent vivre et mûrir comme membre vivant de l'Église» (§84.); «Le parcours d'accompagnement et de discernement oriente ces fidèles vers la prise de conscience de leur situation devant Dieu. L'entretien avec le prêtre, dans le for interne, contribue à la formation d'un jugement correct sur ce qui entrave la possibilité d'une plus grande participation à la vie l'Eglise et sur les mesures qui peuvent la favoriser et la faire grandir» (§86).
Mais que signifie être «dmembre vivant de l'Eglise», sinon se trouver en état de grâce et recevoir la Sainte Communion? Et la «plus pleine participation à la vie de l'Eglise» n'inclut-elle pas, pour un laïc, la participation au sacrement de l'Eucharistie? Il est dit que les formes d'exclusion actuellement pratiqués dans les domaines liturgique, pastoral, éducatif et institutionnel, peuvent être surmontées, "au cas par cas", suivant une "via discretionis". L'exclusion de la communion sacramentelle peut-elle être surmontée? Le texte ne l'affirme pas, mais il ne l'exclut pas. La porte n'est pas grande ouverte, mais entrouverte, et donc on ne peut nier qu'elle est ouverte.

La Relatio n'affirme pas le droit des divorcés remariés à recevoir la communion (et donc le droit à l'adultère), mais refuse à l'Eglise le droit de définir publiquement adultère la situation des divorcés remariés, laissant la responsabilité de l'évaluation à la conscience des pasteurs et des divorcés remariés eux-mêmes. Pour reprendre le langage de Dignitatis Humanae, il ne s'agit pas d'un droit "affirmatif" à l'adultère, mais d'un droit "négatif" à ne pas être empêché de l'exercer, autrement dit d'un droit à «l'immunité contre toute coercition en matière morale». Comme dans Dignitatis Humanae, la distinction fondamentale entre le "for interne", qui concerne le salut éternel des croyant individuels, et le "for externe" relatif au bien public de la communauté des fidèles, est annulée. La communion, en effet, n'est pas seulement un acte individuel, mais un acte public accompli devant la communauté des fidèles. L'Eglise, sans entrer dans le for interne, a toujours interdit la communion des divorcés remariés, parce qu'il s'agit d'un péché publique, commis au for externe. La loi morale est absorbée par la conscience qui devient un nouveau lieu, non seulement théologique et moral, mais canonique. La Relatio final s'intègre bien à cet égard aux deux motu proprio de François, dont l'historien de l'école de Bologne (*) a souligné l'importance dans le Corriere della Sera du 23 Octobre: «En restituant aux évêques le jugement sur la nullité, Bergoglio n'a paschangé le statut des divorcés, mais il fait un énorme et silencieux acte de réforme de la papauté».

L'attribution à l'évêque diocésain de la faculté, en tant que juge unique, d'intruire de façon discrétionnaire un procès bref et d'arriver à la sentance, est analogue à l'attribution à l'évêque du discernement sur la condition morale des divorcés remariés. Si l'évêque local estime que le parcours de croissance spirituelle et d'approfondissement d'une personne vivant dans une nouvelle union est achevé, celle-ci pourra recevoir la communion. Le discours du Pape François du 24 Octobre au Synode indique dans la "décentralisation" la projection ecclésiologique de la morale "au cas par cas". Le pape a affirmé qu'«au-delà des questions dogmatiques bien définies par le Magistère de l’Église – nous avons vu aussi que ce qui semble normal pour un évêque d’un continent, peut se révéler étrange, presque comme un scandale – presque – pour l’évêque d’un autre continent ; ce qui est considéré violation d’un droit dans une société, peut être requis évident et intangible dans une autre ; ce qui pour certains est liberté de conscience, pour d’autres peut être seulement confusion. En réalité, les cultures sont très diverses entre elles et chaque principe général – comme je l’ai dit, les questions dogmatiques bien définies par le Magistère de l’Église – chaque principe général a besoin d’être inculturé, s’il veut être observé et appliqué»
La morale de l'inculturation, qui est celle du "cas par cas" relativise et dissout la loi morale, qui par définition est absolue et universelle. Il n'y a ni bonne intention ni circonstance atténuante qui puissent transformer un acte bon en mauvais ou vice versa. La morale catholique n'admet pas d'exceptions: ou elle est absolue et universelle, ou ce n'est pas une loi morale. Ils n'ont pas tort, alors, ces journaux qui ont présenté la Relatio finale avec ce titre: «L'interdiction absolue de la communion pour les divorcés remariés tombe».

La conclusion est que nous nous trouvons face à un document ambigu et contradictoire qui permet à chacun de chanter victoire; même si personne n'a gagné. Tous ont été défaits, à commencer par la morale catholique qui sort profondément humiliée par le Synode sur la famille qui s'est conclu le 24 octobre

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(*) Roberto de Mattei veut sans doute parler de Vittorio Mancuso