Un procès au Vatican

Ce sont les suites inédites de ce qu'on a appelé "Vatileaks 2". Eh oui, il se passe de drôles de choses au Vatican, sous le Pape miséricordieux.

Les deux journalistes, Gianluca Nuzzi et Emiliano Fittipaldi, et Francesca Chaouqui au tribunal

L'affaire a été relativement peu médiatisée en France - beaucoup moins, en tout cas, qu'en Italie où les médias, toutes tendances confondues, font le forcing dans la bergogliomania.

On trouvera si on le souhaite tous les détails sur la Croix: ICI.
Voici deux articles qui me paraissent assez bien résumer l'étrangeté de la situation actuelle, rubrique "Le Pape et le monde" - ou "Le Pape et les médias".
Je commence par poser comme prémisse que les méthodes de Nuzzi, l'un des journalistes inculpés, me révulsent.
Mais le premier article, d'Antonio Socci fait abstraction de l'aspect moral. Comme je l'ai dit, la furie médiatique pro-Bergoglio atteint en Italie des sommets qui ne sont pas envisageables dans notre France laïque (là-bas, il semble qu'ils aient la piqûre de rappel quotidienne, via presse et JT): une partie de son article, celle où il s'étonne de l'omerta de la presque totalité de la presse, ne nous concerne donc qu'indirectement (quoique). Plus intéressante est la seconde, où il pose la question: que se serait-il passé si c'était Benoît qui..."
Le second article est d'Ettore Gotti Tedeschi, qui a vécu comme protagoniste de premier plan les "Vatileaks 1". Il lance des messages cryptés, mais finalement assez compréhensibles pour qui sait lire entre les lignes.
Même si les fonds respectifs des deux articles sont très différents, on ne peut après la lecture, que se dire, effaré: décidément, il se passe de drôles de choses au Vatican, en ce moment. Pourquoi?

Antonio Socci

Retour de l'Inquisition,
mais la presse laïque continue à idolâtrer le Pape Bergoglio (si Benoît XVI avait fait la même chose...)

26 novembre 2015
www.antoniosocci.com
Ma traduction


Le procès commencé au Vatican contre les journalistes Gianluigi Nuzzi et Emiliano Fittipaldi semble laisser indifférents les champions (généralement fervents) de la liberté de la presse, les hérauts de l'état de droit et surtout le nombreux prophètes de la laïcité.
Intellectuels, journalistes et hommes politiques apparaissent le plus souvent distraits et muets: aucune objection, encore moins d'appels et de protestations. Évidemment, ils trouvent que c'est tout à fait normal. Mais sommes-nous vraiment sûrs que ce soit le cas?
Envers Nuzzi et Fittipaldi, chacun peut nourrir sympathie ou antipathie, chacun peut avoir le jugement qu'il veut sur leurs livres relatif aux finances du Vatican. Mais est-il vraiment normal que deux journalistes italiens soient jugés dans un État étranger (c'est-à-dire le Vatican), pour avoir fait, en Italie, leur travail, dans le respect des lois italiennes?

AUTOCENSURE
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Le fait est que le pape Bergoglio est le vrai protagoniste, le 'dominus', de ce procès. Et vient alors le soupçon que se soit déclenchée une sorte d'autocensure tacite, que le Journaliste Collectif et l'Intellectuel Collectif - pour citer Giuliano Ferrara - se sont imposée parce qu'aujourd'hui, dans le chœur conformiste des médias, la plus minime remarque critique contre le pape Bergoglio est interdite.
Il ne s'agit là que du dernier épisode.
Cela fait des mois et des mois que - moi, un catholique - je cherche en vain, dans la presse italienne, des traces résiduelles de laïcité, de pensée critique, d'objectivité, au minimum, parfois, de bon sens.
Rien à faire, l'information relative au Vatican du pape Bergoglio est enveloppée dans un épais brouillard d'encens.
On en arrive à des accents adulateurs, de culte de la personnalité, et cela ne fait de bien ni au pape ni à l'Eglise, qui auraient tout à gagner de la confrontation avec une presse vraiment libre.
Sur l'affaire Nuzzi/Fittipaldi, dans les médias, on arrive ici et là à soulever une objection, à mi-voix, sur l'absurdité d'un tel "procès pour scoop" fait à deux journalistes, mais sans jamais discuter du rôle du pape argentin qui, dans cette affaire, est - et de fait se comporte comme - le Souverain d'un Etat théocratique qui ne reconnaît ni le droit de la presse libre, ni les garanties procédurales typiques du droit international.

UNE VOIX TIMIDE
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Hier Luigi La Spina, sur "La Stampa", a élevé une voix timide, mais isolée, pour faire noter qu'il est inacceptable que deux citoyens italiens soient soumis dans un pays étranger à un procès où - en principe - ils risquent jusqu'à huit ans [de prison] pour avoir publié en Italie "des nouvelles, des faits, des données" documentés, d'intérêt public et "dont la publication est autorisé par la Constitution italienne à l'article 21".
La Spina fait remarquer que ce sont surtout les "modalités" de ce procès qui sont déconcertantes: les deux journalistes sont accusés d' "un crime pas clairemnt défini" et il leur a été interdit de "pouvoir être assistés par leurs conseillers juridiques", après s'être vu commettre d'office, à la hâte, des avocats.
A cela, on pourrait ajouter d'autres aspects inédits: les deux accusés n'ont pas pu accéder aux actes du procès, qu'ils ont seulement pu consulter, et on leur a refusé d'avoir plus de temps pour étudier les documents.
Toutefois, La Spina ne va pas jusqu'à mettre François en cause. Tout au plus arrive-t-il à faire remarquer 'en sourdine' le "boomerang communicatif dramatique" que ce "procès discutable" aura sur le désir proclamé de transparence du pape Bergoglio.
Mais personne pour mettre le doigt sur la plaie, se demandant directement comment se fait-il que le pape progressiste, moderne et tolérant laisse organiser un tel procès à la liberté de la presse. Grattez le jésuite, vous trouvez l'inquisiteur?
Il y a de l'embarras parce que, quelle que soit la manière dont vous le tournez, dans ce procès, qui rappelle (même si c'est comme caricature) les vieux absolutismes, on ne peut pas transférer la responsabilité sur les boucs émissaires habituels, les "méchants conservateurs" de la Curie, puisque c'est Bergoglio qui commande et décide. Lui seul.
Hier, Carlo Tecce sur "Il Fatto [Quotidiano]" a écrit: "Il convient de préciser que le Saint-Siège a agi après l'ordre de de Bergoglio."
C'est encore Bergoglio lui-même qui a formulé l'acte d'accusation, et il l'a fait au cours de l'Angélus du 8 Novembre: "Voler ces documents est un délit". Sauf qu'aujourd'hui, après le début du procès, Nuzzi peut rétorquer: "Le Pape parle de documents volés, mais personne n'a été accusé de vol, ou de vol qualifié". (autrement dit: QUI a volé ces documents?)
Effectivement, la position du pape Bergoglio, en tant que chef de l'Etat du Vatican et du système judiciaire qui a voulu et organisé ce procès absurde, est embarrassante.

Et si on en discutait?

COMPARAISON
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La question devient encore plus intéressant quand on compare le comportement de Bergoglio avec celui de Benoît XVI au moment de Vatileaks 1.
Contrairement à ce qu'a fait le "pape progressiste", Ratzinger, qui devait être le "pape conservateur" n'a pas convoqué à la barre le journaliste (toujours Nuzzi) et envers le coupable Paolo Gabriele, il a été un exemple d'humanité, de paternité et de miséricorde.
Évidemment, cette comparaison entre les deux papes, pour notre presse, est très incommode, et fait sauter tous les schémas. Alors, on aime mieux faire comme si de rien n'était.
Mais imaginons ce qui se serait passé avec les rôles inversés, c'est-à-dire si ç'avait été Benoît qui avait poursuivi les journalistes et la "liberté de la presse".
Une vague d'indignation internationale aurait submergé le Saint-Siège. On aurait parlé de théocratie, on aurait fait des parallèles avec l'Iran des ayatollahs ou avec l'Arabie saoudite.
S'agissant en revanche d'un pape considéré comme progressiste, personne ne souffle mot. Le silence des grands médias et des "grands directeurs" est emblématique, et le silence sur la question d'Eugenio Scalfari qui chaque semaine magnifie et exalte les exploits du pape Bergoglio, est tout particulièrement intéressant.
Dimanche dernier, par exemple, Scalfari a été jusqu'àécrire: "Il n'y a jamais eu un pape comme lui. Je diraiss plus: un Pasteur, un Prophète, un Révolutionnaire ".
Espérons que tôt ou tard, il ne dira qu'il l'a vu marcher sur l'eau.
En attendant, le journaliste laïc Scalfari ne voit pas le procès la liberté de la presse que le "pasteur, prophète et révolutionnaire" Bergoglio a fait entrer au Vatican.

LA MISE EN SCÈNE (regia)
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Pour l'instant, ce procès n'a qu'un seul effet: avoir porté à nouveau à l'attention des gros titres les livres de Nuzzi et de Fittipaldi, qui se sont trouvés dépassés et submergés par l'actualité sur l'Isis (Daech).
Est-ce un effet involontaire de la part du Vatican? Ou bien quelqu'un, de l'autre côté du Tibre, y avait-il pensé?
Voir le mal - dit le proverbe - est un péché, mais en général il n'y a pas de fumée sans feu ("A pensar male si fa peccato, ma di solito ci si azzecca"). De fait, de l'autre côté du Tibre ils se comportent comme les meilleurs promoteurs des deux livres en accusation. Ils ont organisé un lancement planétaire retentissant des deux volumes en procédant à ces arrestations trois jours avant leur sortie, et aujourd'hui, ils les remettent [au premier plan] de l'actualité.
Sur la "mise en scène" du procès aussi, on peut faire une hypothèse. Pourquoi une telle hâte à conclure avant le 8 Décembre, au point de ne même pas donner à la défense le temps nécessaire pour étudier les documents?
Parce que le 8 Décembre commence le "Jubilé de la miséricorde" selon la singulère formulation bergoglienne.
Alors il apparaît évident que le pape argentin a donné des instructions pour ne pas avoir de procès ni d'accusés au Vatican au cours de l'Année Sainte qui devrait célébrer le pardon.
Et pas seulement. Je reprends une prévision très perspicace faite hier matin sur Radio Radicale (ndt: extrême-gauche libertaire), par Massimo Bordin: le procès devrait se terminer avant le 8 Décembre pour permettre au pape Bergoglio de faire le «beau geste» (en fran,çais dans le texte) du pardon général et donc d'être célébré comme le grand pape miséricordieux.
Ainsi, tout le monde est content.
Mais tout cela fait ressembler le procès à un sketch, qui n'a rien à voir avec le droit et la justice, et a beaucoup à voir avec la comédie.
Le problème est là: actuellement - de l'autre côté du Tibre - on abuse des mises en scène et des comédies. Même sur les choses sacrées où elles ne devraient pas être autorisées.

Antonio Socci

Ettore Gotti-Tedeschi

Vatileaks, les responsabilités dont personne ne parle

27 novembre 2015
La Nuova Bussola
Ma traduction


Ayant eu personnellement une expérience, très douloureuse, en 2012 sur des thèmes similaires (Vatileaks 1) et très semblables dans leur déroulement de ceux de Vatileaks 2, je voudrais faire quelques observations pour les lecteurs, afin de contribuer à la compréhension de ces faits sans faire vaciller notre amour pour l'Église.

La première observation concerne les faits qui ont été considérés comme «scandaleux» (la sortie et la publication des documents).
Ici, il y a quatre acteurs qui ont des responsabilités différentes, mais seuls les deux premiers acteurs sont accusés et objets d'attention.
Le premier acteur est composé des journalistes qui ont publié dans des livres des documents, prenant, consciemment ou non, la responsabilité de le faire.
Le deuxième acteur est composé de trois personnes accusées d'avoir fait sortir les documents, ils devront expliquer pourquoi ils l'ont fait.
Les deux autres acteurs qui suivent semblent être les victimes des deux premiers.
Le troisième acteur est composé de ceux qui, par leur comportement personnel ont donné lieu à ce qui a été qualifié de scandaleux, ou d'illicite, ou même de simples "erreurs".
Le quatrième acteur est celui qui a permis ce comportement, contribuant à «démanteler» les normes, procédures et systèmes de contrôle qui avaient été voulus par le pape Benoît XVI en 2010. Et ici, la responsabilité monte d'un cran dans la hiérarchie et mérite l'attention. Aujourd'hui, (comme c'était déjà le cas en 2012) la sensibilité médiatique ne reste élévée que sur le "qui a fait quoi", mais pas sur le "pourquoi il l'a fait" et sur le "pourquoi il a été possible de le faire". Il semble vraiment que l'on veuille concentrer l'attention sur le doigt, plutôt que sur ce qu'il indique, et qui doit être examiné. Mais le risque semble aussi émerger que l'on pense que dans l'Église, certains savent voir la paille dans l'oeil du prochain et pas la poutre dans le leur. Si on voulait se livrer à une évaluation plus approfondie, on pourrait même soupçonner que (comme ce fut le cas en 2012 pour la modification de la loi sur le blanchiment d'argent) qu'on veut détourner l'attention du public d'autres questions importantes (comme la gestion du post-synode).

La seconde observation concerne mes préoccupations pour l'Église, étant concvaincu que ces événements ne doivent pas ébranler notre amour pour elle. Le Christ est mort pour l'Église, pour la rendre comme Son sang "belle et pure de toute tache" (Eph 5,27), mais cette préoccupation ne semble pas être commune à tout le monde, bien que l'Église soit notre richesse et la prémisse de notre recherche la sainteté.
C'est pourquoi je voudrais rappeler à ce propos ce qu' a écrit Romano Guardini (Il senso della Chiesa):

«Sur l'Eglise aussi pèse la tragédie de tout ce qui est humain et donc défectueux. L'absolu et et le parfait se fondent avec le limitée et l'imparfait».

Et il écrit encore:

«Même si cela peut paraître paradoxal, l'imperfection appartient à la nature de l'Église terrestre. On pourrait presque oser proposer à nouveau l'équation: les lacunes de l'Église sont la croix du Christ. Il a été dit que nous nous ferions une raison pour les défauts de l'Église seulement quand nous en comprendrons le sens. Peut-être le sens est-il celui-ci: ils doivent crucifier notre foi afin que nous cherchions vraiment Dieu et notre salut et non pas nous-mêmes. Qu'adviendrait-il de nous si vraiment les faiblesses humaines disparaissaient de l'Église? Qui sait, peut-être deviendrions-nous orgueilleux, égoïstes et arrogants. Nous ne serions plus fidèles pour l'unique vraie raison, c'est-à-dire trouver Dieu. Les lacunes de l'Église sont la Croix, elles purifient notre foi. Nous devons aimer l'Église comme elle est, alors seulement nous l'aimerons vraiment»