Vatileaks 2, une manoeuvre de campagne électorale

L'analyse d’un blogueur espagnol catholique qui écrit sous pseudo - apparemment un religieuxde la mouvance traditionnelle: pour lui, il s'agit d'une manoeuvre pour "sauver" un Pape aux abois, en position de campagne électorale permanente, et la transparence réclamée est à géométrie variable

 

Finances vaticanes et transparence intéressée.

fraygerundiodetormes.wordpress.com
6 novembre 2015
Traduction de Carlota

* * *


Je ne sais pas pourquoi mais pour moi cela sent un peu le roussi tout ce bazar (ndt: en vo « lío », bien sûr !) qui a été monté cette semaine autour des finances du Vatican, avec la pagaille en conséquence dans l’arrière-boutique. En fait il n’y a rien de nouveau : on sait depuis longtemps, et on soupçonne que ce que l’on sait n’est rien, en comparaison avec la réalité. Cela fait déjà des lustres que l’Église est submergée dans une mer de corruption économique, qui a atteint des niveaux très élevés au moment des affaires Marcinkus, de l’IOR et des suicides (probablement induits comme on dit maintenant) et de mille scandales de plus.

Quand l’Église de Vatican II a voulu s’assimiler au monde elle l’a fait très bien sur ce terrain-là, parce qu’elle a commencé vraiment à s’assimiler à la corruption des grands capitaux et des banques et toutes ces choses-là.
Bien que les fenêtres du Vatican soient sur le point d’être ouvertes, les thèmes financiers et économiques sentaient très mauvais et ils étaient comme pourris de l’intérieur. Sur ce point, l’air frais ne circulait guère, pour ce qu’on en voyait. On dit que Jean-Paul 1er voulut mettre de l’ordre et que pour cela même, on lui procura un passage direct vers l’éternité (??). Je n’en sais rien.
Mais il se trouve que je suis plutôt méfiant sur le fait qu’aujourd’hui, sortent des livres qui racontent des choses de ce type, quand cela fait déjà bien des années que nous sommes tous bien au courant qu’il y a un bon négoce d’organisé.
Alors, pourquoi cette affaire mystérieuse sort-elle maintenant ? Pourquoi la détention des suspects, la libération de la suspecte (que l’on voit faire un clin d’œil au gendarme et qui a été mise immédiatement en liberté : à en juger par les photos), et l’emprisonnement de l’autre, la publication des livres et le scandale de la presse et de la catholicité bien comme il faut ?

Comme toujours mes novices se sont présentés pour m’interroger, bien que cette fois je les ai laissés plus bouche-bée que d’habitude. Je leur ai donné une explication qui me semble celle d’un mal-pensant avec l’habit religieux déjà bien usé par les ans. Et cependant je crois que cela colle à la perfection. Ou comme diraient les philosophes, au moins on ne peut pas démontrer que c’est quelque chose de contradictoire. C’est pourquoi mes novices, se sont retirés avec la queue entre les jambes, en pensant qu’il était très possible que j’aie raison.

Là il se passe quelque chose de semblable à ce qui arrive avec les partis politiques en période de campagne électorale (c’est-à-dire, presque toujours). De temps en temps, ils doivent purifier leur image. De temps en temps, ils doivent essayer de retoucher la personne pour qu’elle paraisse que ce qu’elle est n’est pas, et pour qu’elle soit ce qu’elle parait, même si cela ne paraît pas qu’elle l’est. Vous savez bien. Et François est en campagne depuis bien avant d’être arrivé sur le Trône.

Quand dans un quelconque parti politique ou une quelconque institution on fait une démonstration de lutte contre la corruption, généralement c’est parce qu’il y a un combat interne pour le pouvoir, ou quelque chose de similaire. Allons donc, ce n’est jamais pour des motifs honnêtes ou éthiques. En Espagne, par exemple, on sort des corruptions parfaitement présentées quand on veut qu’elles sortent, alors que tout le monde était au courant. Alors pourquoi à un moment déterminé ? Eh bien, vous pouvez bien vous l’imaginer.
J’ai dit à mes novices de ne pas se scandaliser et je ne veux pas être apodictique, comme l’on dit aujourd’hui. Mais j’ai le droit d’avoir une opinion (cela leur plaît beaucoup), bien que je puisse exagérer ou me tromper. Sûrement que je me trompe, sûrement que j’exagère, mais il est aussi très possible que je ne marche pas trop loin de la vérité.

Après le Synode et la baisse constatable de la popularité de François ; après le découragement devant le fait que François n’allait pas être capable de moderniser l’Église parce qu’il n’y avait pas de réforme de la Curie depuis ces deux ans et demi de grande couverture médiatique, après l’échec des conversations avec le "G-8" dont la seule chose qu’il ait faite, c’est de se réunir sans arrêt ; après l’énorme geste d’audace de créer une Congrégation pour les Laïcs après deux ans de réformes annoncées ; après l’échec du Prix Nobel qui n’est jamais arrivé… il fallait donner une nouvelle impulsion à l’image du François Réformateur de la corruption économique au Vatican. Le meneur en veut toujours plus.

La conséquence pour les petits naïfs est claire. François veut réformer l’Église ; mais les méchants cardinaux l’en empêchent, ces cardinaux intégristes, traditionalistes, de la droite la plus obtuse. Les résultats du Synode auraient été beaucoup plus audacieux si les décrépis ne l’avaient pas empêché ; la récupération définitive d’une Église pauvre ne peut se faire parce qu’on ne laisse pas agir François. La nouvelle du commentaire fait par le Pape à son copain de circonstance Scalfari sur la communion des divorcés est un élément de plus de cette semaine écoulée pour calmer ceux qui sont soucieux. De cette façon l’image du meneur qui ne peut rien changer car il a les mains liées, reste cohérente et se consolide. Le pauvre. On ne lui permet pas. Ceci dit une semaine après que le Pape lui-même ait parlé de l’herméneutique de la conspiration, de ses piques dans les discours de fin du Synode et de ses constants appels à la transparence, pour moi cela ne colle pas. Ou plutôt, cela colle trop et cela me porte de nouveau à renifler quelque chose de mal odorant. Je ne m’y fie pas.
Et cerise sur le gâteau, comme par hasard, paraissent dans les jours suivants deux livres qui montrent les « líos » du Vatican, en racontant les dialogues et les conversations de François qui demande la transparence, en mettant que sorte à la lumière l’argent dépensée et plus que dépensée par des Bertone et autres compagnons martyrs.

Mais moi je dis une chose : si François demande la transparence et s’il y a un sujet et une sujette qui laissent filtrer les combines, les négociations occultes, les arrangements et dévoilent les manœuvres, les alliances déshonorantes et les intrigues, il faudrait remettre à tous les deux la Croix de Saint Grégoire le Grand. Ne pas les interroger comme des coupables d’un délit.
Cela me donne le sentiment qu’on a utilisé un candide ambitieux et une coquine ayant pas mal d’heures de vol à son actif. En tout cas le jeu a commencé. Ou le mensonge est lancé. Ou le piège tendu. Une fois de plus, les milieux favorables au pape hochent la tête en disant que tout cela est très mal et que le pauvre pape doit lutter contre la corruption et qu’il veut réformer l’Église, mais les méchants financiers ne veulent pas le laisser faire. Et les progressistes et les modernistes commentent également que le pauvre pape ne peut rien face à la zizanie (l’ivraie) qui règne au Vatican.
Mais il faut rappeler que la dénommée Chaouqui, c’est le pape François qui l’a nommée. Comme il a nommé ceux qui allaient être chargés des finances vaticanes (il y a déjà deux ans). Comme il a nommé le célèbre Ricca [celui de l’ascenseur (là où il s'était fait "pincer" avec son amant, dans une situation plutôt embarrassante! ndt)] comme responsable de l’un des organismes. Comment il a confié des services économiques à des entreprises nord-américaines d’un niveau financier reconnu ; comment il a loué la Chapelle Sixtine pour des fêtes de haut niveau économique. Et pourquoi n’a-t-on pas lutté clairement contre tout cela ? Pourquoi ne parlait-on pas de ce sujet il y a plus d’un an et pourquoi revient-il maintenant à un moment nécessaire pour François ?

Si on veut la transparence dans les affaires économiques, pourquoi ne la veut-on pas sur les sujets doctrinaux ? Pourquoi ne parle-t-on pas clairement du cas de Monseigneur Sarasa (ndt: surnom que l’auteur donne à Charamsa, car dit-il, il a un « lío », avec les noms polonais) et pourquoi ne partage-t-on pas la doctrine adéquate et correcte ? Pourquoi ne parle-t-on pas clairement des constantes affirmations de l’athée Scalfari et de ses petits appels téléphoniques avec le Pape ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de transparence avec les Motu Propio du divorce qui sont apparus du jour au lendemain ? C’est que ce qu’ils veulent filtre, et ce qu’ils ne veulent pas ne filtre pas. C’est une transparence à la carte.
De toute façon, mes soupçons se sont accentués quand j’ai lu que, selon le livre en question, le Pape a dit dans ces conversations qui sont maintenant publiées : « Si nous ne savons pas garder l’argent qui se voit, comment garderons-nous les âmes des fidèles qui ne se voient pas ? » (ndt: et non "vend" comme l'écrit l'auteur: cf. Vatileaks 2: la vraie tragédie de l'Eglise , ces propos sont confirmés ICI)

La vérité est que c’est la première fois en deux ans et demi que j’entends François parler du salut des âmes. Et dans son court, - et pourtant très long - pontificat, il semble qu’il ne s’est jamais préoccupé de sauver les âmes. Moi ce que j’ai vu, c’est la préoccupation pour le climat, pour l’écologie, pour les exclus, pour les petites embarcations [des clandestins], pour les gays et les divorcés. Des âmes, je n’en ai entendu parler que très peu. Et c’est que pour aborder avec efficacité la corruption économique, il faut en finir d’abord avec la corruption des pasteurs. Pour en finir avec la corruption de l’argent, il faut d’abord reconnaître que tout provient de la corruption du péché.
...

Fray Gerundio de Tormes

* * *

(*) Fray Gerundio de Tormes, il s’agit d’un pseudonyme, l’auteur de ce blog préférant sous couvert. L’on peut le comprendre car sans cela pourrait-il encore, s’il appartient vraiment à l’Église, s’exprimer, n’étant pas un progressiste? L’auteur anonyme du blog du même nom se présente, dans ses articles, comme un religieux traditionnel assez âgé, responsable de novices. Dans le choix du pseudonyme qui n’est pas anodin, on peut voir une référence à deux personnages de la littérature espagnole :
- à Fray Gerundio de Campazas, un piètre prédicateur mais qui se croit un grand homme, anti-héros de fiction imaginé par José Francisco de Isla de la Torre y Rojo, un jésuite du XVIIIème qui va terminer sa vie à Bologne (après l’expulsion des jésuites d’Espagne) où il effectuera notamment la première traduction en espagnol du « Gil Blas de Santillane » de Lesage.
- au Lazarillo de Tormes, l’histoire d’un jeune coquin qui, poussé par la nécessité, évolue au cours de ses aventures dans toutes les couches de la société de l’époque. Ce récit anonyme paru en Espagne au milieu du XVIème (À l’époque de la Réforme [protestante] qui se pense triomphante dans une grande partie de l’Europe, seule l’Espagne péninsulaires résista et ne fut pas trop touchée) montre les travers de la société et en particulier ceux des clercs et des religieux. Pour certains ce récit aurait été écrite par Juan de Ortega, général de l’ordre religieux des Hiéronymites, ordre de St Jérôme.
(Carlota)