Vers le Synode d'octobre (1)

Premier volet d'une série d'articles écrits par le Père Antonio Livi sur La Bussola: la désorientation des fidèles après le Synode extraordinaire d'octobre 2014

 

Le père Antonio Livi est professeur émérite d'épistémologie à l'université du Latran, et théologien de renom.
Nous l'avons souvent "croisé" dans ces pages: http://tinyurl.com/ptvwpf4
Dans la perspective du Synode, il a écrit plusieurs articles qui sont publiés en ce moment sur la Nuova Bussola.
Voici le premier de la série, traduit par Anna. Le père Livi y évoque la désorientation provoquée chez de nombreux fidèles par le Synode extraorinaire sur la famille d'octobre 2014.

Vers le Synode: il y en a qui sèment la confusion chez les fidèles

www.lanuovabq.it
5 juillet 2015
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La grave confusion provoquée par la discussion publique sur les sujets à l'ordre du jour du Synode sur la Famille, rend nécessaire de proposer des critères sûrs de discernement théologique authentique. Le Synode, qui s'est déroulé en forme extraordinaire du 5 au 19 octobre 2014 et va s'ouvrir en session ordinaire le 4 octobre prochain, a été convoqué par le pape François avec l'intention de consulter l'épiscopat mondial sur la meilleure façon d'appliquer à la situation actuelle des familles les lignes pastorales par lui-même indiquées dans l'Evangelii Gaudium.

Dans cette exhortation apostolique le Pape ne distingue jamais la pastorale de l'évangélisation, et ne sépare pas non plus la doctrine pastorale de la doctrine morale. Et pourtant, comme cela a déjà été dit, le débat publc sur les thèmes à l'ordre du jour du Synode sur la famille est en train de provoquer une confusion pernicieuse parmi les fidèles catholiques; ceux-ci ne peuvent pas ne pas ressentir la pression exercée publiquement sur le Saint Père, de tous côtés - y compris de la part de plusieurs influents pères synodaux - afin qu'il finisse par décréter, au terme des travaux, une nouvelle pratique pastorale de l'Église à l'égard de ces baptisés qui, après avoir contracté un mariage canonique régulier, se sont séparés du conjoint, ont eu recours au divorce civil et ont ensuite entamé, avec un conjoint différent du légitime, une cohabitation more uxorio (peu importe si elle est reconnue comme mariage par les lois de l'État, car le mariage civil entre baptisés est canoniquement nul).

Celui qui se trouve dans cette condition a toujours été considéré par l'Église comme une personne en état permanent de péché grave et notoire, raison pour laquelle il ne peut pas, sur la base des décrets du Concile de Trente et des lois canoniques en vigueur, être admis à la communion eucharistique, à moins d'obtenir préalablement l'absolution sacramentelle (dont la condition est le repentir efficace, c'est à dire l'abandon de l'état de péché grave permanent et notoire).
La nouvelle pratique pastorale que beaucoup (à commencer par le cardinal Walter Kasper) proposent au nom de la "miséricorde" entraînerait une forme inédite de reconnaissance ecclésiale des soi-disant "secondes noces" (c'est à dire, en réalité, du concubinage) et par conséquent l'admission à l'Eucharistie des "divorcés remariés" (terminologie équivoque et théologiquement inadmissible).

Des propositions analogues concernent l'"accueil" public, de la part de l'Église, des couples d'homosexuels, un "accueil" considéré comme nécessaire aujourd'hui, non seulement au nom de la miséricorde, mais aussi et surtout au nom des "valeurs authentiques" que l'Église devrait être capable de reconnaître aux "cohabitations", même à celles fondées sur les rapports sexuels contre nature. On plaide plus ou moins explicitement en faveur du "respect" des comportements homosexuels, en se référant à la nécessité pour l'Église de ne pas se couper de l'évolution des coutumes sociales, puisque aujourd'hui, vu l'énorme pouvoir médiatique et législatif du "lobby gay", ces comportements reçoivent toutes sortes de protection juridique de la part de l'État, au moins dans les pays occidentaux, y compris ceux de tradition catholique séculaire.

Si une intervention de la part de Pasteurs et théologiens qualifiés sur ces sujets est souhaitable, c'est parce que tous ceux qui ont à cœur la foi du Peuple de Dieu - surtout s'ils y sont tenus par leur mission canonique directe - ont le devoir d'aider les fidèles à évaluer de façon critique les messages qui inondent sans cesse les médias à propos de ce qui a été et est l'objet des travaux du Synode. Parmi ces messages, en effet, ne manquent pas ceux qui, tout en étant présentés comme de simples ajustements "pastoraux" à la situation sociologique en mutation, proposent en réalité un changement radical de la doctrine dogmatique et morale de l'Église, notamment en ce qui concerne les sacrements du Baptême, de la Pénitence, du Mariage et de l'Eucharistie.

Un telle intervention est donc nécessaire afin de faire comprendre à tous que le refus de ces propositions n'est pas dicté par des préjugés idéologiques ou des prises de position conservatrices, mais par la juste défense de ces éléments essentiels du dogme et de la morale catholique que l'action pastorale ne peut jamais effacer mais doit au contraire toujours reproposer efficacement afin que le Peuple de Dieu les comprenne, les aime et les vive à tout moment et en chaque lieu. Il faut donc une intervention inspirée à l'authentique "parrhésie" apostolique, mettant en évidence avec toute la clarté nécessaire - ce qui n'implique aucun manque de respect ou de charité à l'égard de ceux qui proposent des réformes absolument inadmissibles - que le changement radical que d'aucuns proposent concerne directement ces principes fondamentaux de la foi chrétiennes que le magistère de l'Église a de diverses manières défini avec autorité, approuvant aussi leur formalisation scientifique appropriée au niveau de la théologie dogmatique, morale et pastorale la plus reconnue.

S'agissant donc des principes fondamentaux de la foi chrétienne, tout chrétien a le droit et le devoir d'examiner de manière responsable ces propositions de changement, afin de vérifier de façon critique, voire avec des critères adéquats de raison et de foi, s'il s'agit réellement d'"applications" ou d'"adaptations" qui puissent permettre aujourd'hui à chaque membre du peuple de Dieu de comprendre et de vivre l'Évangile avec une plus grande cohérence, ou bien s'il ne s'agit pas au contraire de changements substantiels et donc, concrètement, de négation directe de la vérité que Dieu a révélée et que l'Église conserve fidèlement et interprète infailliblement.

L'attitude critique face aux propositions de changement dont il est ici question ne doit pas être stigmatisée a priori comme si elle dérivait dans tous les cas de positions idéologiques tendant au conservatisme et hostiles au progrès, ou bien d'attachements injustifiés à des pratiques ecclésiales ou à des habitudes traditionnelles des fidèles catholiques dans quelques parties du monde. Ce serait le cas, et ce serait à juste titre blâmable, s'il s'agissait de résistance aux changements que l'autorité ecclésiastique juge devoir introduire dans la doctrine et la pratique de l'Église, comme c'est déjà arrivé par le passé et comme c'est arrivé de nos jours en particulier avec le Concile Œcuménique Vatican II.

Mais si au contraire il s'agit d'évaluer la légitimité et l'opportunité de changements proposés par des laïcs (par exemple, parmi les italiens, Enzo Bianchi et Alberto Melloni), ou bien par des ecclésiastiques qui s'expriment sur ces sujets en qualité de théologiens et non pas comme représentants du Magistère (par exemple le cardinal Walter Kasper, qui a toutefois prétendu représenter les intentions et le critère du pape François), alors l'attitude critique ne peut en aucun cas être censurée comme manque de docilité aux enseignements et aux décisions du Pontife Romain. Le Pape François a en effet convoqué le Synode afin de consulter l'épiscopat mondial et de parvenir par la suite, éventuellement, à une déclaration doctrinale faisant autorité, dont on peut s'attendre qu'elle sera promulguée dans la forme désormais traditionnelle (car déjà adoptée pas Paul VI, Jean Paul II et Benoît XVI) de l'exhortation apostolique post-synodale.

Seulement alors, lorsqu'on pourra dire "Roma locuta, quaestio finita" (Rome a parlé, la question est close), tous les fidèles auront l'obligation d'accepter docilement et avec gratitude les nouveautés éventuellement introduites dans la doctrine et la pratique de l'Église: des nouveautés qui ne vont certainement (?) pas toucher ce que plus haut j'ai appelés "les principes fondamentaux de la foi chrétienne". En somme, le fait d'exercer cette vigilance critique à l'égard de certains abus doctrinaux ne signifie pas se mettre en contradiction avec le Pape, main bien le contraire: c'est le soutenir en ce qui sont ses intentions, comme les documents du Synode extraordinaire l'ont fait comprendre (?) et que l'issue finale du Synode ordinaire va certainement confirmer (?).