De Jean Paul II à Benoît XVI

La contribution de George Weigel à l'ouvrage collectif "Benedetto XVI, servo di Dio e degli uomini". Traduction exclusive.

>>> Voir aussi:
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La préface de Mgr Gänswein...
¤ Un manuscrit de Benoît XVI

Jean Paul II et son successeur

George Weigel
"Benedetto XVI, servo di Dio e degli uomini" (Libreria editrice Vaticana, 2015)
Pages 15 et suivantes
Traduction par Anna

La collaboration entre le Pape Jean-Paul II et le cardinal Joseph Ratzinger, l'homme qui devait lui succéder dans le ministère pétrinien, a été une des plus fécondes dans la longue histoire de la papauté. Travaillant en étroite collaboration pendant plus de deux décennies, le Pape polonais et le Préfet bavarois de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi contribuèrent à modeler une lecture faisant autorité du Concile Vatican II et un magistère pontifical créatif qui a jeté la lumière de l'Évangile sur quelques uns des aspects les plus débattus dans l'Église et dans le monde à la fin du XX siècle. Ce fut une conquête significative, bâtie sur les fondements d'une amitié d'une certaine façon surprenante.

Karol Wojtyla et Joseph Ratzinger étaient, évidemment, deux disciples radicalement engagés dans la cause de Jésus Christ, et ce point commun de référence - la conviction que la chrétienté commence avec ce que le Pape Benoît XVI a à maintes reprises qualifié d'"amitié avec Jésus Christ" - a constitué la base de leur collaboration. Il en va de même pour leur expérience conciliaire, ainsi que, notoirement, pour leur commune expérience des cultures catholiques intactes (la polonaise et la bavaroise) pendant les premières années de leur formation chrétienne. Dans le même temps, tous deux avaient des caractères personnels bien distincts: le pape-savant, qui devint une figure publique luttant contre le communisme dans l'archidiocèse de Cracovie et qui porta son dynamisme sur la scène mondiale; le préfet-savant, d'un tempérament plus réservé, moins enclin aux gestes publiques emphatiques, plus à son aise dans un amphi que sur une tribune. L'un d'eux était un illustre philosophe aux lectures théologiques étendues, l'autre un illustre théologien, qui connaissait les principaux courants de la réflexion philosophique au cours des siècles. Que l'un d'eux fût membre d'un mouvement anti-nazi pendant la Seconde Guerre Mondiale, tandis que l'autre fût conscrit dans la Wermacht contre sa volonté représentait, d'une certaine manière, autant un lien entre eux qu'un signe supplémentaire de l'universalité de l'Église et de la communauté entre les disciples authentiques du Seigneur Jésus.

L'"intermédiaire" de leur rencontre - au moins de leur "rencontre" au niveau intellectuel - fut Joseph Pieper, un autre philosophe renommé, dont la médiation conduisit à la première conversation sérieuse entre les deux hommes, précisément dans la Cour Saint Damase du Palais Apostolique lors du premier Conclave de 1978. Au cours d'une longue promenade dans une soirée estivale romaine plutôt chaude, ils découvrirent qu'ils partageaient la même opinion sur la situation de l'Église, à treize ans de la conclusion du Concile, mais ils ne pouvaient certes pas imaginer que leur analyse allait influencer le gouvernement et le magistère de l'Église universelle a cours de deux pontificats qu'il faudrait considérer comme un seul arc ininterrompu de doctrine.

Et pourtant, comme Jean-Paul II eut l'occasion de le dire à Fatima le 12 mars 1982, "il n'y a pas de simples coïncidences dans les desseins de la divine Providence". En conséquence, ceux qui voyaient dans la collaboration entre Wojtyla et Ratzinger exactement ce dont l'Église catholique avait besoin pour être lancée dans la Nouvelle Évangélisation du XXIe siècle, ne peuvent que reconnaître dans cette coopération une origine providentielle.

Et si les pontificats de Jean-Paul II et de son successeur sont bien la "charnière" grâce à laquelle le catholicisme s'est engagé de manière décisive vers la Nouvelle Évangélisation en tant que stratégie majeure pour le XXIe siècle et le troisième millénaire, alors il y a dans la collaboration entre le Pape Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger deux moments qui semblent d'importance particulière sur l'arrière fond de ce qui a été le magistère pontifical le plus riche en conséquences de la seconde moitié du second millénaire.

Le premier de ces deux "moments" est le Catéchisme de l'Église Catholique, un des fruits du Synode Extraordinaire de 1985, convoqué par Jean-Paul II afin d'évaluer la réception du Concile Vatican II de la part de l'Église universelle. Le cadre intellectuel des délibérations du Synode fut établi, avant l'assemblée des Pères Synodaux à Rome, par une longue interview donnée par le cardinal Ratzinger au journaliste italien Vittorio Messori et publiée sous le titre "Rapporto sulla Fede" (En français: "Entretiens sur la foi").

Des débats du Synode de 1985 émergea la conviction commune que le catholicisme devait développer une meilleure connaissance des éléments de la foi, des raisons de son culte, de comment ses disciples devaient vivre et des motifs de sa prière, si l'on voulait que la promesse radieuse de la "nouvelle Pentecôte" souhaitée par Jean XXIII se réalisât vraiment.

Le Catéchisme de l'Église catholique, donc: l'Église avait besoin d'un point de référence solide pour sa foi, sa vie sacramentelle, sa prière et son enseignement moral, afin que l'Église, ayant une fois encore stabilisé son propre cours, et embarqué un nouveau fardeau, puisse à nouveau avancer le vent en poupe dans l'accomplissement de son important mandat (voir Mt. 28,18-20) et convertir monde. Le fait que Jean-Paul II ait investi le cardinal Ratzinger de la responsabilité de la production du Catéchisme était un signe extrêmement clair de la confiance que le Pape avait en son préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Et le fait que le catéchisme ait imprimé une nouvelle vigueur à la catéchèse et à la prédication dans l'Église mondiale témoigne de manière évidente de la fécondité pastorale de la collaboration entre Wojtyla et Ratzinger.

Le deuxième "moment" clé dans leur coopération - vue à travers le prisme de la Nouvelle Évangélisation - a été la Déclaration Dominus Iesus, élaborée par la Congrégation pour la doctrine de la Foi, approuvée par Jean Paul II le 16 juin 2000, et publiée le 6 août de la même année. Indépendamment des controverses qui accompagnèrent le document, Dominus Iesus était une humble profession de foi qui confirmait sept vérités essentielles pour la Nouvelle Évangélisation: qu'il existe un seul et vrai Dieu et donc une seule "économie" du salut; que si Jésus est le Seigneur, il est le Seigneur de tous et pas uniquement de ceux qui reconnaissent sa souveraineté; que ce Dieu qui désire que tous soient sauvés et parviennent à une connaissance de la vérité, ne refuse à aucun la grâce nécessaire au salut; que tous ceux qui sont sauvés le sont par la rédemption de Jésus Christ, qu'ils aient entendu parler du Christ ou non; qu'il existe une seule et vraie Église du Christ (étant donné que l'Église est le corps du Christ et le Christ n'a pas plus d'un corps); que l'Église catholique, qui reconnaît volontiers l'œuvre de la grâce divine en dehors de ses propres confins, se considère néanmoins elle-même comme l'expression historique la plus complète de l'unique Église de Jésus Christ; et que finalement l'Église a un mandat permanent et à ne jamais abandonner de proclamer le Christ et son Évangile à toute l'humanité. Voici les vérités sur lesquelles Karol Wojtyla et Joseph Ratzinger avaient misé leurs vies, et le choix de Jean-Paul II d'embrasser publiquement la doctrine de Dominus Iesus - en dépit du fait que selon certains la Déclaration violait l'esprit du Grand Jubilé de l'an 2000 - représentait un signal de plus de l'estime du Pape polonais à l'égard du travail - et du courage - de son plus étroit conseiller et collègue venu de la Bavière, qui dvait devenir plus tard son successeur sur le siège de Pierre.

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En règle générale, les conciles œcuméniques ont été le résultat de controverses, ont été menés dans la controverse et suivis par des controverses. Le Concile Vatican II n'a pas été une exception à cette règle de l'histoire de l'Église, et en 1978 on pouvait penser que les grandes conquêtes du Concile Vatican II seraient méconnues à cause des polémiques qui l'avaient suivi, en particulier ces interprétations controversées de "l'esprit du concile" qui semblait vider le catholicisme de ses propres contenus - et donc de son effet évangélique.

Puis arriva Jean-Paul II et son choix de placer Joseph Ratzinger à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Pendant les deux décennies restantes du pontificat de Jean Paul II et les huit années du pontificat du Pape Benoît (qui aurait été improbable, voire même impossible sans son expérience en tant que Préfet de la Congrégation pour la Doctrine) une interprétation faisant autorité fut donnée du Concile, l'Église mondiale fut lancée vers les eaux profondes de la Nouvelle Évangélisation.

Jean-Paul II et son successeur représentent donc une réalité continue, dynamique et épique dans l'histoire contemporaine de l'Église catholique: une réalité où le Concile Vatican II a été reconduit vers une "conclusion" positive; une réalité où l'Église a recouvré une vision d'elle-même comme entreprise missionnaire; une réalité où l'Église a retrouvé son audace autant que la joie de vivre évangélique.

C'était une collaboration intellectuelle extraordinaire, mais, comme le cardinal Ratzinger l'a affirmé dans son homélie lors de la messe de funérailles de Jean-Paul II, c'était une collaboration dans l'amour: l'amour du Christ, qui nous enseigne comment nous pouvons réellement aimer en tant qu'êtres humains. Ceux qui ont eu le privilège d'être témoins de cette collaboration y ont ainsi trouvé un exemple vivant de ce que l'expression liturgique sur la "communion dans l'Esprit Saint" peut signifier dans l'histoire.