La lune comme image de l'Eglise

Un texte de Joseph Ratzinger, alliant rigueur, lucidité et poésie, datant de 1970, tout juste ressorti sur Il Sismografo...

La référence à la lune n'était évidemment pas fortuite et parlait tout spécialement au public de cette époque, puisque moins d'un an auparavent, le 21 juillet 1969, l'homme, en la personne de Neil Armstrong, mettait le pied sur la lune.

 

Ce texte de Joseph Razinger, a été publié avant-hier sur "Il Sismografo" qui malheureusement n'en précise ni la source ni la date.
La publication peut surprendre sur un site tout à la gloire du Pape argentin, mais il s'agissait de faire écho (tout en soulignant une "continuité" de moins en moins évidente entre les "deux papes") au discours de François à son arrivée en Equateur, où il disait:
«Nous, les chrétiens, nous identifions Jésus-Christ au soleil, et la lune à l'Eglise, la communauté ; personne, sauf Jésus, n'a sa propre lumière. Que tous les jours nous devienne plus évidente à tous la proximité “du soleil qui vient d’en haut”, et que nous soyons le reflet de sa lumière, de son amour.» (2)

En recherchant sur internet, j'ai retrouvé la source sur le site de Raffaella - dont je n'ai pas fini d'explorer les trésors à travers une section entièrement dédiée aux textes de Joseph Ratzinger-Benoît XVI (papabenedettoxvitesti.blogspot.fr).

Il s'agit d'un extrait d'une conférence donnée le 4 juin 1970 à Münich devant une assistance considérable de près d'un millier de personnes, à l'invitation de l'Académie Catholique de Bavière, par le Professeur Ratzinger qui était alors titulaire de la chaire de dogmatique à l'université de Ratisbonne.
Le texte ci-dessous est une partie de la Conférence (que Raffaella reproduit ICI in extenso) traduite de l'allemand dans un livre paru aux éditions Rizzoli "Perchè siamo ancora nella Chiesa".
La traduction en italien qu'en donne Il Sismografo, et que je reprends ici, n'est pas identique, mais assez proche.

Pour être complet sur le sujet, il semble que le texte en français figure dans le livre paru aux éditions Fayard "Joseph Ratzinger, Discours fondateurs. 1960-2004" - un livre qui ne figure malheureusement pas dans ma bibliothèque... mais le fait que le texte parvienne à moi par des chemins si tortueux me permet de contourner les problèmes de copyright - sans oublier le plaisir de traduire Benoît XVI.

Enfin, sur ce même thème de la lune/l'Eglise, Teresa avait publié sa traduction en anglais, en octobre 2013 (ICI, message #27199) d'un article paru dans un journal espagnol après que Joseph Ratzinger ait été élu pape (je l'avais moi-même traduit en français à l'époque).

Eh oui, c'est ainsi que les textes de Joseph Ratzinger-Benoît XVI circulent sur le Réseau...
L'ideal serait évidemment de pouvoir revenir au texte original en allemand, mais on peut faire confiance à la traduction italienne.
Le reste de la Conférence à suivre....

La nature de l'Eglise symbolisée dans une image: la lune

Il Sismografo
6 juillet 2015
(ma traduction)

* * *

Une Église qui, contre toute sa propre histoire et sa propre nature, est envisagée seulement d'un point de vue politique, n'a aucun sens, et la décision d'y rester, si elle est purement politique, n'est pas loyale, même si elle se présente comme telle.
Pourtant, face à la situation présente, comment peut-on justifier le fait de rester dans l'Eglise? En d'autres termes: le choix en faveur de l'Église, pour avoir un sens, doit rester spirituel; mais sur quels motifs ce choix peut-il aujourd'hui se fonder?
Je voudrais donner une première réponse à l'aide d'une nouvelle comparaison et d'une précédente observation.
Nous venons de dire [ndt: donc dans la partie précédente de la conférence] qu'en l'étudiant, nous nous sommes désormais tellement rapprochés de l'Église que nous ne parvenons plus à discerner les contours ni à la voir comme un ensemble. Approfondissons cette idée en nous référant à un exemple, avec lequel les Pères ont nourri leur méditation sur le monde et l'Église.
Ils expliquèrent que dans le monde matériel la lune est l'image de ce que l'Église représente pour le salut dans le monde spirituel. Est ici repris un symbolisme ancien constamment présent dans l'histoire des religions (les Pères n'ont jamais parlé d'une «théologie des religions», mais ils l'ont mise en œuvre concrètement); en lui la lune, en tant que symbole de la fertilité et de la fragilité, de la mort et du caractère caduque des choses, mais aussi de l'espoir en la renaissance et la résurrection, était l'image, «pathétique et en même temps consolante» de l'existence humaine.
Souvent, les symbolismes lunaire et tellurique se fondent ensemble.
Dans sa fugacité et dans sa renaissance, la lune représente le monde terrestre des hommes, ce monde qui est constamment conditionné par le besoin de recevoir et qui tire sa propre fécondité non pas de lui-même, mais du soleil; elle représente l'être humain lui-même, tel qu'il s'exprime dans la figure de la femme, qui conçoit et qui est féconde grâce à la semence qu'elle reçoit.
Les Pères ont appliqué le symbolisme de la lune à l'Église essentiellement pour deux raisons: pour le rapport lune-femme (mère) et pour le fait que la lune n'a pas sa propre lumière, mais qu'elle la reçoit du soleil, sans laquelle elle serait complètement sombre.
La lune resplendit, pourtant sa lumière n'est pas la sienne, mais celle d'un autre. Elle est ténèbre et dans le même temps lumière; tout en étant en elle-même sombre, elle resplendit en vertu d'un autre dont elle reflète la lumière. Précisément pour cette raison, elle symbolise l'Église, laquelle resplendit également, même si, en elle-même, elle est sombre; elle n'est pas lumineuse en vertu de sa lumière propre, mais du vrai soleil, Jésus-Christ, de sorte que, tout en étant seulement terre (la lune n'est rien de plus qu'une autre terre), elle aussi est également en mesure d'éclairer la nuit de notre éloignement de Dieu - «La lune raconte le mystère du Christ» .
On ne doit pas forcer (exagérer) les symboles; leur efficacité est toute entière dans cette immédiateté plastique que l'on ne peut pas encadrer dans des schémas logiques. Toutefois, à notre époque de voyages dans l'espace, il est naturel d'approfondir cette comparaison, qui, en confrontant ces conceptions physique et symbolique, met mieux en évidence notre situation spécifique par rapport à la réalité de l'Église.
La sonde lunaire et l'astronaute ne découvrent la lune que comme une lande rocheuse et désertique, comme montagnes et comme sable, pas comme lumière. Et à dire vrai, elle n'est par elle-même que désert, sable et rochers. Et pourtant, grâce à d'autres et en fonction d'autres encore, elle est aussi lumière et le reste même à l'ère des vols spatiaux. Elle est donc ce que par elle-même, elle n'est pas. Bien qu'appartenant à d'autres, cette réalité est aussi la sienne. Il existe une vérité physique et une autre symbolico-poétique, l'une n'annule pas l'autre.

N'est-ce pas une image exacte de l'Eglise? Quiconque l'explore et la creuse avec la sonde spatiale découvre seulement le désert, le sable et la terre, les faiblesses de l'homme, la poussière, les déserts et les hauteurs de l'histoire. Tout cela est sien, mais ne représente pas encore sa réalité spécifique.
Le fait décisif est qu'Elle [l'Eglise], bien qu'étant seulement sable et cailloux, est également lumière en vertu d'un autre, le Seigneur: ce qui n'est pas à elle, est vraiment à elle, et la qualifie plus que toute autre chose, et même sa caractéristique est précisément de ne pas valoir par elle-même, mais seulement pour ce qui, en elle, n'est pas à elle; d'exister dans quelque chose qui lui est extérieur; d'avoir une lumière, qui tout en étant la sienne, constitue toute son essence. Elle est «lune» - misterium lunae - et comment telle, elle intéresse les croyants parce que c'est justement ainsi qu'elle requiert un choix spirituel constante

Comme la signification contenue dans cette image me semble d'une importance cruciale, avant de le traduire en affirmations de principe, je préfère la clarifier mieux avec une autre observation.
Après la traduction [en allemand] de la liturgie de la Messe, advenue à la suite de la dernière réforme, en récitant le texte prescrit, je rencontrais à chaque fois une difficulté, qui me semble clarifier davantage le sujet que nous traitons. Dans la traduction du Suscipiat (ndt: réponse des fidèles à la prière "orate fratres, voir ici) il est dit: «Que le Seigneur accepte ce sacrifice de tes mains ... pour notre bien et [celui] de toute sa sainte Église».
J'étais toujours tenté de dire, «et de toute notre sainte Église»

On voit ici réapparaître tout notre problème et la déviation de perspective opérée dans la période récente. A la place de 'son' église, s'est substituée la nôtre, et avec elle les nombreuses églises; chacun a la sienne. Les églises sont devenues nos entreprises, dont nous sommes fiers ou honteux, petites et innombrables propriétés privées disposés côte à côte, églises seulement nôtres, notre oeuvre et notre propriété, que nous conservons ou transformons selon notre bon plaisir. Derrière le «notre église», ou même le «votre église», a disparu «son église».
Mais c'est précisément et seulement cette dernière, qui nous intéresse; si elle n'existe plus, alors la «nôtre» doit abdiquer. Si elle était seulement la nôtre, l'Église serait un inutile jeu d'enfant.