Le pouvoir de la plume

Le 23 octobre , Benoît XVI a rencontré dans les jardins du Vatican un petit groupe d'élèves de l'Ecole Vaticane de paléographie. Récit et explications

Parmi eux, une religieuse argentine de l’Institut du Verbe Incarné, qui nous offre un récit de cette rencontre, et quelques réflexions sur le rôle de l’écriture (qui ne sont pas sans rappeler des passages du discours des Bernardins).
Carlota a eu la gentillesse de le traduire, en l’accompagnant de quelques intéressantes précisions qui permettent de situer son auteur.

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o Le Pape émérite Benoît XVI avec son secrétaire, Mgr Gänswein
o Le Pape émérite Benoît XVI reçoit notre groupe
o Le Pape émérite Benoît XVI reçoit notre groupe (2)
o Le Pape émérite Benoît XVI avec la classe de paléographie grecque de la Scuola Vaticana
o La Bibliothèque Apostolique Vaticane qui conserve plus de 180.000 manuscrits et 1.600.000 livres imprimés.

Présentation

(Carlota)
Voilà un texte écrit par une religieuse argentine, la sœur María Panagía Miola SSVM (pour Servantes du Seigneur et de la Vierge de Matará).
Matará est une localité d’Argentine, et ces sœurs font partie de la famille religieuse du Verbe Incarné.
Le texte est paru sur le site en espagnol « Missions de l’Institut du Verbe Incarné – Chroniques missionnaires des cinq continents ». Cet institut d’origine argentine qui comprend des prêtres, des religieuses, des religieux et des tertiaires laïcs, a commencé à voir le jour en Argentine, à partir de 1984, sous l’impulsion du Père Carlos Miguel Buela. Il est aujourd’hui présent dans de nombreux pays. C’est le diocèse de Toulon-Fréjus qui a commencé à l’accueillir en France (cf www.diocese-frejus-toulon.com/-L-Institut-du-Verbe-Incarne...).

Le pouvoir de la plume

verboencarnado.net
2 décembre 2015
Traduction de Carlota

* * *

Il y a une formule que les scribes byzantins avaient l’habitude d’utiliser à la fin de leurs manuscrits, au bout de leur texte, une formule qui se trouve plus fréquemment que la date ou que les autographes:

« ἡ μὲν χεὶρ ἡ γράψασα σήπεται τάφῳ,
γραφὴ δὲ μένει εἰς χρόνους ἀπεράντους. »

Alors que la main, après avoir écrit, dans la tombe devient poussière,
L’écrit, au contraire, reste pour des siècles sans fin.


L’année dernière j’ai pu participer à un programme de spécialisation en paléographie grecque à la Scuola Vaticana di Paleografía, où nous nous sommes formés à la lecture et à l’analyse de tous les textes que l’écriture grecque a produits tout au long des siècles de son histoire.
La fécondité de cette étude réside dans la publication des textes qui virent le jour avant l’imprimerie, et c’est ainsi qu’en parcourant avec un œil acéré tous les manuscrits d’un texte, en en déduisant son arbre généalogique, en lui donnant une date et en l’analysant par l’intermédiaire de l’analyse des écritures, en corrigeant les erreurs des copistes, l’on en arrive à avoir une version originale de Sophocle, de Saint Athanase ou de Saint André de Crète.

Bien que le cours soit complet, incluant tous les types d’écriture grecque, de toutes époques et de tous lieux, la formation de la Scuola Vaticana privilégie surtout celle des textes byzantins qui reflète le champ le plus actif de la recherche actuelle.

Un jour avant l’examen permettant l’obtention du diplôme, le 23 octobre, notre petite classe s’est vu concéder la faveur de rencontrer le Pape émérite Benoît XVI qui avait accepté de nous recevoir pour une brève salutation dans les jardins du Vatican. Nous avons pu nous présenter les uns après les autres, chacun d’entre nous ayant une brève conversation avec le Pape Benoît.

Accompagné par son secrétaire, Mgr Gänswein, le Pape émérite a posé des questions très spécifiques sur le programme que nous avons suivi au Vatican, sur le contenu des textes que nous avons étudiés et sur nos travaux. À un moment donné, Mgr Gänswein a raconté une anecdote du temps où il étudiait à l’Université de Fribourg et où un professeur, quand il citait les Pères grecs, disait, «pour les barbares» (le nom que les Grecs donnaient à tous ceux qui ne parlaient pas le grec) et il les citait en latin. Le Pape Benoît, en nous regardant avec un léger sourire, a répliqué : « aujourd’hui il y a encore quelques non-barbares ». Durant notre conversation, il [le pape émérite] a montré non seulement une grande lucidité d’esprit mais en plus il a été très affable, joyeux et plein d'esprit. Quand je lui ai remis comme cadeau, au nom du groupe, des accessoires liturgiques faits à la main par nos sœurs contemplatives du monastère de Pontinia (ndt: région du Latium), il les a regardés attentivement pendant un bon moment, puis fixant ses yeux sur moi il a dit : «En Amérique, l’on fait encore d’aussi belles choses?». Nous avons tous ri et j’ai dû lui préciser qu'en fait cela venait d'Italie ! En prenant congé de nous, avant de nous donner sa bénédiction, il nous a parlé de l’importance du travail de la transmission des textes et de l’irremplaçable héritage de la culture grecque sur laquelle se fonde notre propre culture.

Au cours de cette année, le cours m’a fait changer ma façon de penser non seulement par rapport au livre, mais aussi à tout écrit, parce que j’ai appris à évaluer son pouvoir à travers sa qualité stable et pérenne. Concernant le livre: sans le travail constant et fidèle de tous les copistes, moines pour la plupart, qui se fatiguaient silencieusement en copiant page après page, et sans le travail ultérieur d’érudits qui se consacraient à la transcription de ces œuvres, nous ne pourrions jamais avoir entre nos mains un livre d’un auteur antérieur à l’existence de l’imprimerie. Et concernant son pouvoir, l’écrit est si étroitement lié à ses idées, que d’une certaine manière, il reste difficilement accessible aux hommes. Ainsi des missionnaires comme Cyrille et Méthode se refusèrent à entreprendre l’entreprise d’évangélisation de la Grande Moravie (ndt Royaume slave à cheval sur les actuelles Hongrie, Slovaquie, Tchèquie et une partie de l’Allemagne), sans l’établissement préalable d’une écriture (et s’il n’y en avait pas, ils l’inventaient!) ; prêcher sans l'écriture, disaient-ils, ce serait comme «écrire sur l’eau».
Nous mêmes en accomplissant un acte éminemment spirituel comme l’est la consécration de notre être, nous l’avons laissé par écrit. Le Christ lui-même, quoiqu’ineffable dans ses mystères, a voulu nous laisser son message écrit. De sorte que la parole écrite porte avec elle un pouvoir certain et essentiel, capable de persuader, prouver, défendre, enseigner, transmettre.
Je demande le soutien de ma chère famille religieuse, en leur recommandant de prier pour les fruits de cet apostolat de la transmission des textes.

Sr. María Panagía Miola, SSVM