Le problème des conférences épiscopales

Voici ce que disait en 1984 le cardinal Ratzinger, à l'époque préfet de la CDI, à Vittorio Messori, dans le célèbre "Entretien sur la foi"

 

Un éditorial paru ce matin sur la Bussola, sous le titre "Fédéralisme doctrinal: le non de Ratzinger" m'a fait rechercher dans ma bibliothèque le mémorable livre-entretien du futur Pape avec Vittorio Messori, devenu un classique.

L'occasion est évidemment le discours prononcé par le Pape François samedi 17 octobre, à l'occasion du 50e anniversairde de l'institution du Synode par Paul VI (cf. Discours pour le cinquantenaire de l’introduction des Synodes).
Le passage clé (ma traduction rapide) a déjà fait couler beaucoup d'encre:

Le second niveau [d'exercice de la synodalité] est celui des provinces et des Régions ecclésiastiques, des Conciles particuliers et de manière spéciale des Conférence Episcopales. Nous devons réfléchir comment réaliser encore plus, à travers ces organismes, les instances intermédiaires de la collégialité, peut-être en intégrant et en mettant à jour certains aspects de l'ancien ordre de l'Elise. L'espoir du Concile que ces organismes puissent contribuer à accroître l'esprit de collégialité épiscopale ne s'est pas encore pleinement réalisé. Dans une Église synodale, comme je l'ai déjà affirmé, «il n'est pas opportun que le Pape remplace les épiscopats locaux dans le discernement de toutes les problèmatiques qui se présentent dans leurs territoires. En ce sens, je ressens la nécessité de procéder à une salutaire «décentralisation».


Voici donc ce qui peut apparaître comme une réponse du Cardinal Ratzinger ("Entretien sur la foi", Fayard, 1985, pages 65-68)

Le problème des Conférences épiscopales
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[Les] évêques, [sont] ceux qui, étant les "successeurs des Apôtres", détiennent la "plénitude du sacerdoce", sont "les maitres authentiques" de la doctrine chrétienne, "jouissent d'une autorité propre, ordinaire et immédiate sur l'Église qui leur est confiée", dont ils sont les "principe et fondement d'unité" ; et qui, unis dans le collège épiscopal avec à sa tête le Pape, "agissent en la personne du Christ" pour gouverner l'Église universelle.
Toutes ces définitions que nous venons de donner appartiennent à la doctrine catholique sur l'épiscopat et ont été réaffirmées avec vigueur par Vatican II.
Le Concile, rappelle le Cardinal Ratzinger, « voulait justement renforcer le rôle et la responsabilité de l'évêque, reprenant et complétant l'œuvre du Concile Vatican I, interrompu par la prise de Rome alors qu'il ne s'était encore occupé que du Pape. Les Pères conciliaires avaient reconnu l'infaillibilité du Pape dans le magistère quand, en tant que Pasteur et Docteur suprême, il proclame qu'une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être observée ». Il s'était créé de ce fait un certain déséquilibre chez quelques théologiens qui ne soulignaient pas assez que le Collège épiscopal aussi jouit de la même « infaillibilité dans le magistère », pourvu toujours que les évêques « conservent le lien de communion entre eux et avec le successeur de Pierre ».
Tout a ainsi été remis en place avec Vatican II ?
« Dans les documents, oui, mais pas dans la pratique, où s'est manifesté un autre des effets paradoxaux de l'après-Concile », répond-il. Il explique en effet : « La nette remise en valeur du rôle de l'évêque s'est en réalité atténuée, au risque même de se trouver étouffée par l'intégration des évêques à des conférences épiscopales de plus en plus organisées, dotées de structures bureaucratiques souvent lourdes. Nous ne devons pas oublier que les conférences épiscopales n'ont pas de base théologique, elles ne font pas partie de la structure irréfragable de l'Église telle que l'a voulue le Christ : elles n'ont qu'une fonction pratique et concrète. »
« C'est d'ailleurs, dit-il, ce que reconfirme le nouveau Code de Droit canon qui fixe les sphères d'autorité des Conférences ; celles-ci "ne peuvent agir valablement au nom de tous les évêques que si tous et chacun des évêques ont donné leur accord", et que s'il s'agit de "matières sur lesquelles le droit universel en a disposé, ou bien qu'un mandat spécial du Siège Apostolique l'établisse" (CIC can. 455, § 4 et § 1). Le collectif ne remplace donc pas la personne de l'évêque qui - rappelle le Code en se référant au Concile - "est le docteur et le maître authentique de la foi pour les croyants confiés à ses soins" (cf. can. 753). »
Ratzinger y insiste : « Aucune Conférence épiscopale n'a en tant que telle une mission de magistère ; ses documents n'ont pas de valeur spécifique, ils ont la valeur de l'accord donné par chaque évêque. »
Pourquoi le Préfet insiste-t-il sur ce point ?
« Parce que, répond-il, il s'agit de sauvegarder la nature même de l'Église catholique, qui se fonde sur une structure épiscopale et non pas sur une sorte de fédération d'églises nationales. L'échelon national n'est pas une dimension ecclésiale. Il faut qu'il redevienne clair que dans chaque diocèse, il n'y a qu'un seul pasteur et maître de la foi, en communion avec les autres pasteurs et maîtres et avec le Vicaire du Christ. L'Église catholique repose sur l'équilibre entre la communauté et la personne : en l'espèce, la communauté de chacune des églises locales, unies dans l'Église universelle, et la personne du responsable du diocèse. »
Il arrive, dit-il, qu'« une certaine perte du sens de la responsabilité individuelle, chez quelques évêques, et le fait de déléguer leurs pouvoirs inaliénables de pasteurs et maîtres aux structures de la Conférence locale, risquent de faire tomber dans l'anonymat ce qui doit au contraire rester tout à fait personnel. Le groupe des évêques réunis dans les Conférences dépend, pour ce qui est des décisions, d'autres groupes ou de bureaux créés à cette fin, qui produisent des schémas préparatoires. Il advient ensuite que la recherche du point de rencontre entre les diverses tendances et l'effort de médiation donnent souvent lieu à des documents aplatis d'où les positions nettes (quand il en est besoin) sortent émoussées. »
Il rappelle que, dans son propre pays, une Conférence épiscopale existait déjà dans les années trente : « Eh bien, les textes vraiment vigoureux contre le nazisme furent ceux qui émanaient d'évêques isolés, courageux. Ceux de la Conférence semblaient souvent édulcorés, trop faibles pour ce que la tragédie requérait. »