Le retour de Benoît XVI, vu par Damian Thompson

ou: quand le Pape émérite rompt son silence... Une réflexion dérangeante, au lendemain du grand discours du 4 juillet

>>> Le retour de Benoît XVI (le discours)

>>> Voir à ce sujet: benoit-et-moi.fr/2014-II/benoit/quand-benoit-xvi-rompt-son-silence (5/11/2014).
On y trouvera les références des précédentes interventions de Benoît XVI évoquées par Damian Thompson

 

Evidemment, preque tout le monde s'accordera, au moins en public, pour dire que les interprétations de Damian Thompson ne reflètent en rien la vérité, du moins celle officielle (en résumé: il n'y pas la moindre discontinuité entre les "deux papes", pas l'ombre d'une différence, ils sont juste deux incarnations d'une même foi et d'une même fidélité au magistère éternel de l'Eglise, et Benoît XVI est totalement sur la même longueur d'onde que son successeur - ou vice-versa), s'appuyant au besoin sur les propos répétés de son secrétaire Georg Gänswein, et même sur des confidences présumées du Pape émérite lui-même à telle ou telle personne.
Mais ce que Damian Thompson exprime ici, ce n'est pas seulement son avis personnel: c'est une sensibilité qui est largement répandue parmi les "nostalgiques" de Benoît, même si elle en dérange plus d'un.

Le retour de Benoît XVI
Le Pape émérite quitte Rome pour délivrer un message codé à ses partisans

Le pape émérite n'a pas disparu dans le silence monastique. Il continue à offrir un réconfort à ceux qui préfèrent sa vision à celle du pape François

11 juillet 2015
Damian Thompson
www.spectator.co.uk
Ma traduction

Un des plus beaux discours jamais prononcés par Benoît XVI était consacré à la musique sacrée.
C'est un petit chef-d'œuvre, dans lequel Benoît XVI rappelle sa première rencontre avec Mozart dans la liturgie. «Quand les premières notes de la Messe du Couronnement retentissaient, le ciel s'ouvrait et la présence du Seigneur était vécue très profondément», dit-il.

Benoît défend vigoureusement l'exécution des oeuvres de grands compositeurs durant la messe, soulignant qu'elle est nécessaire pour accomplir la volonté du Concile Vatican II que «le patrimoine de la musique sacrée [soit] préservé et développé avec grand soin».

Puis il demande: qu'est-ce que la musique? Il identifie trois lieux d'où elle coule.
Tout d'abord, l'expérience de l'amour, l'ouverture «d'une nouvelle grandeur et amplitude de la réalité» qui inspire la musique.
Deuxièmement, «l'expérience de la tristesse, de la mort, la tristesse et des abîmes de l'existence». Ces derniers ouvrent «dans une direction opposée, de nouvelles dimensions de la réalité qui ne peut plus trouver de réponses dans les discours seuls».
Troisièmement, la rencontre avec le divin. «Je trouve émouvant d'observer comment, dans les Psaumes, le chant ne suffit plus aux hommes - et on fait appel à tous les instruments: la musique cachée de la création, son langage mystérieux se trouvent réveillés».

On peut trouver en ligne des vidéos d'une partie de ce discours (Le retour de Benoît XVI (4) et Le retour de Benoît XVI (5)). Elles montrent Benoît en bonne forme, parlant avec une aisance fluide, vêtu de la robe pontificale et paraissant complètement détendu dans la résidence papale d'été de Castel Gandolfo.

Ah, le bon vieux temps, pourraient soupirer les traditionalistes.
Mais peut-être avez-vous remarqué que je ne l'ai pas appelé «le Pape Benoît».

Quand, en Février 2013, Benoît a laissé à l'improviste la chaire de Pierre vacante, il a annoncé qu'il allait vivre ses jours en silence dans le monastère de Mater Ecclesiae au Vatican. S'il s'agissait d'une promesse, il ne l'a jamais totalement tenue.

L'année dernière, le pape émérite a donné une gifle à son vieil adversaire le cardinal Walter Kasper, un théologien allemand de gauche, qui avait suggèré qu'alors qu'il était encore le professeur Ratzinger, il avait soutenu la communion pour les catholiques divorcés et remariés - le dada de Kasper. Il a mis en garde l'Eglise contre «tout renoncement à la Vérité». Il s'est réjoui de la nouvelle que l'Ordinariat - la structure qu'il avait mise en place pour les ex-anglicans, honteusement écartés par les évêques anglais - prie désormais dans l'ancienne chapelle de l'ambassade de Bavière, à Soho. Et il a dit que la messe en latin traditionelle d'avant Vatican II «vit maintenant en pleine paix dans l'Église, y compris chez les jeunes, célébrée par de grands cardinaux».

La plupart de ces interventions peuvent être interprétées comme une critique implicite du pape François. Le commentaire sur le «renoncement à la Vérité» s'adressait à Kasper, un des mentors de François, dont les idées radicales avaient déclenché une certaine fureur au Synode d'Octobre dernier sur la famille (il est significatif que le Vatican ait empêché les mots de Benoît XVI d'atteindre la presse). Il est peu probable que la lettre à l'Ordinariat ait dérangé le Pape, mais le message aux partisans de la messe en latin l'aura agacé. En saluant de «grands cardinaux», Benoît avait à l'esprit l'ultra-conservateur Raymond Burke - que François a limogé de son poste à la tête du tribunal législatif du Vatican.

Les réflexions de Benoît XVI sur la musique sont, à première vue, sans connotation polémique. Mais ce sont les premières qu'il ait prononcées en public - semblant rajeuni. En outre, en citant Vatican II pour défendre le grand art liturgique, il ravive l'«herméneutique de la continuité», le grand thème de son pontificat. Benoît considère Vatican II comme un enrichissement de la tradition. François le voit comme un «nouveau départ» et accuse ses détracteurs de «vouloir apprivoiser le Saint-Esprit». Il rejette l'herméneutique de la continuité.

Les catholiques libéraux rejetteront les commentaires de Benoît comme les rêveries aigries d'un homme de 88 ans déçu, et souligneront plutôt les foules de millions de personnes que François a attirées en Equateur cette semaine.
Ils ferment les yeux sur quelque chose d'évident pour les visiteurs de nombreuses paroisses britanniques: en occident, le jeune clergé et les fidèles eont tendance à être naturellement "bénédictins", pas "franciscains". Ma propre paroisse n'est pas «traditionaliste», mais sa liturgie est devenue plus solennelle, la musique plus classique et un crucifix est apparu sur l'autel: une marque de fabrique de l'herméneutique de la continuité puisque le prêtre fait symboliquement face à l'est, comme c'était le cas autrefois.

Joseph Ratzinger n'est pas le Pape. Mais en s'appelant lui-même «Benoît XVI», en s'habillant en blanc et en conservant le mot «pape» dans son titre, il nous rappelle qu'il est un successeur vivant de saint Pierre. Quelle autorité cela lui accorde, c'est un mystère. Mais il est clair qu'il se sent le droit de tendre discrètement la main aux fidèles affligés par le démantèlement de son héritage. A ces catholiques, Benoît dit, dans un langage beaucoup plus éloquent que les paragraphes destinés à plaire aux foules de l'encyclique de François sur l'environnement: ma vision n'est pas morte. Et moi non plus