Relire Ratisbonne

Le discours génial prononcé par Benoît XVI le 12 septembre 2006 n'en finit pas de nous faire réfléchir. Ici Robi Ronza, sur la Bussola

Il y a un an, j'avais mis en ligne un découpage "cosmétique" à ma façon de la célèbre "lectio" (qui était hélas devenue célèbre pour des raisons ineptes).
En cette période de vacances, c'est peut-être le moment de la relire: benoit-et-moi.fr/2013-III/benoit/il-y-a-sept-ans-ratisbonne-8

Lire Ratisbonne pour redécouvrir vérité et raison

Robi Ronza
6 août 2015
www.lanuovabq.it
Ma traduction
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Face aux urgences et aux confusions du présent, il devient à mon avis de plus en plus important de ne pas oublier la lectio magistralis historique que Benoît XVI a prononcée à Ratisbonne le 12 septembre 2006. Connue comme le "Discours de Ratisbonne", la lectio a fait l'objet d'une campagne de désinformation, et à cause de cette campagne, on a malheureusement dû enregistrer dans les milieux musulmans des réactions frénétiques et même sanglantes. Elle a contribué à obscurcir son contenu substantiel qui tourne autour du lien nécessaire entre la foi chrétienne, la vérité et la raison (la référence à l'islam, qui a causé tant de tumulte, est en fait une simple parenthèse).

Accessible à toute personne grâce à Internet, le discours de Ratisbonne, qui reprend en gros ce que Jean-Paul II avait écrit en 1998, dans son encyclique Fides et Ratio, est encore plus actuel aujourd'hui que quand il a été prononcé. Nous vivons une époque de désorientation et de confusion qui à bien des égards est plus semblable à l'Antiquité tardive qu'à notre passé récent. Aujourd'hui, peut-être plus encore qu'à cette époque, comprise entre les derniers siècles de l'Empire romain et les premiers de la nouvelle Europe médiévale, la confiance que grâce à la raison on puisse atteindre pacifiquement la vérité, autrement dit quelque chose de vrai et de bon pour tous, traverse une crise. Comme on le voit actuellement tous les jours, cette crise atteint malheureusement jusqu'au peuple chrétien, jusqu'à l'Église. On est surpris, par contraste, de la fermeté dont on trouve une ample documentation dans "La Conversion au christianisme durant les premiers siècles", l'œuvre magistrale de Gustave Bardy que l'éditeur milanais Jaca Book a republié dans la traduction italienne il y a quelques années (1).

Dans ces premiers siècles, tous les sujets qui sont aujourd'hui mis en avant pour faire du dialogue non pas une méthode mais un contenu en soi, mais aussi pour submerger tout point fixe sous un déluge de mélasse se faisant passer pour l'amour de l'autre, valaient cent fois plus qu'aujourd'hui. Pourtant, même au risque de leur vie, ces antiques témoins racontés dans le livre de Bardy se démontrent bien plus capables de rester fidèles à eux-mêmes que beaucoup qui, dans l'Europe, et plus généralement dans l'Occident de nos jours, courent par rapport à eux très peu de risque (au moins pour l'instant, même si on ne sait pas jusqu'à quand).

Il est vrai, toutefois, que par rapport aux hommes de l'Antiquité tardive, nous avons un désavantage spécifique. Nous vivons dans un temps où a disparu comme jamais auparavant l'espoir qu'il est possible de parvenir à la vérité. L'époque qui avait prétendu avoir le monopole de la raison l'a finalement perdue en chemin. Et avec elle, justement, elle a perdu l'espoir de la vérité. A ce point, il est surprenant de voir la foi aller à la rescousse de la raison. Par ailleurs, comme l'a souligné Benoît XVI dans son discours de Ratisbonne, "La conviction qu'agir contre la raison est en contradiction avec la nature de Dieu", n'est pas seulement une pensée grecque mais est valable de toute façon. Il y a, ajoute Benoît, une "profonde concordance entre ce qui est grec dans le meilleur sens du terme et ce qui est foi en Dieu sur le fondement de la Bible". Une concordance qu'aucune "inculturation" ultérieure ne peut remettre en jeu. Encore moins - c'est nous qui l'observons - , l'inculturation (au cas où elle serait nécessaire) avec l'actuelle culture de masse de l'ère de la mondialisation, qui, entre autre, n'est absolument pas aussi universelle qu'elle le prétend.

Cela dit, s'ouvre le problème de la recherche de points d'appui immédiats dans une société de plus en plus "liquide", mais le nœud de la question n'est pas là. Dans la mesure où on ne peut plus construire de maisons sur le roc, on construit des maisons flottantes, de nouvelles arches capables de rester à flot sur la haute-mer liquide de la post-modernité. Echanger la foi et la raison contre un "volemmose bene" (2) qui ne sert à personne, même pas à ceux que l'on veut aider, cela n'en vaut toutefois pas la peine.

Notes de traduction

(1) Nul n'étant prophète dans son pays, je n'ai pas trouvé, en français, d'autre référence au Chanoine Gustave Bardy (1881-1955) qu'ici: www.persee.fr (avec une recension de La Conversion au christianisme durant les premiers siècles).
Par contre, l'internet italien est bien plus prolixe, sans doute à cause de la reprise de l'ouvrage en 2005 par l'éditeur Jaca Book (www.ibs.it).
Sur le site du diocèse de Milan , je lis que Bardy a été l'un des plus grands spécialistes français de patrologie de la 1ère moitié du XXe siècle.
Dans le livre, "Bardy affronte les difficulté que le christianisme a rencontrées, les méthodes qu'il a dû employer, les motivations qu'il a fait valoir pour faire prise sur le monde gréco-romain.... Partant d'événements réels transmis dans les écrits et les souvenirs laissés par les premiers chrétiens, l'auteur déroule son récit non pas à travers une thèse pré-établie, mais en mettant en lumière les témoignages de foi que donnaient chaque jour les premiers chrétiens à travers les persécutions, ou leur façon de vivre dans une société profondément divisée en classes et fondée sur le travail des esclaves. En résumé, Gustave Bardy nous oblige à nous confronter avec la foi des premiers chrétiens, de sorte que son texte devient une aide précieuse pour vivre intensément l'Année de la foi proclamée par le Pape Benoît XVI".

Voir aussi:
¤ www.amazon.it
¤ tracce.it

(2) Patois romain (allusion peut-être à une boutade de Jean Paul II): "aimons-nous"... ou quelque chose comme ça.
Dans le contexte, je traduirais volontiers par "embrassons-nous Folleville"