Après le Synode (II)



Suite de l'interview du cardinal Burke au site <The Wanderer> . Il s'exprime sur le rôle des conférences épiscopales, les nouvelles dispositions pour l'annulation des mariages établies par le motu proprio Mitis Iudex de sptembre dernier, et, inévitablement, la vraie miséricorde (13/1/2016).

>>>
Après le Synode (premier volet)

 

Dans cette partie, par moment assez technique, mais néanmoins très abordable, le cardinal Burke souligne, en spécialiste - aussi par la pratique - les difficultés, notamment juridiques, soulevées par la mise en oeuvre du Motu Proprio Mitis Iudex, simplifiant les procédures canoniques d'annulation du mariage, jusqu'à en faire ce que certains n'hésitent pas à qualifier de "divorce laïc" (dossier ici: benoit-et-moi.fr/2015-II/actualite/divorce-catholique).

A propos de la "double sentence conforme" dont il est longuement question dans l'article, rappelons que c'est le pape Benoît XIV (1740-1758) qui avait introduit l'exigence d'une double sentence conforme avant l'octroi d'une déclaration de nullité: autrement dit, une sentence affirmative initiale était automatiquement suivie d'un appel à un tribunal de seconde instance, et une deuxième sentence affirmative devait être émise pour que la déclaration de nullité soit accordée.
Le Motu Proprio supprime de fait cette disposition -
pourtant défendue par de nombreux canonistes - remplacée par une seule sentence en faveur de la nullité exécutoire.
On lira en particulier les précisions du Professeur de Mattei: benoit-et-moi.fr/2015-II/actualite/une-blessure-au-mariage-chretien.

Interview du Cardinal Burke, 2ème partie


thewandererpress.com
Traduction par Anna


Q. Il semblerait que des propositions soient à l'étude pour la décentralisation de la structure hiérarchique de la gouvernance de l'Église. En d'autre termes, une plus grande autorité serait attribuée aux Conférences des Évêques et aux ordinaires diocésains pour traiter localement de pratiques pastorales concernant quelques thèmes délicats abordés par le Synode. Pouvez-vous nous commenter cette possibilité? Des fractures dans l'unité ou même des schismes (comme le suggèrent certains médias) sont-ils à l'horizon?

R. Je pense que c'est un vrai danger. "Décentralisation" est un mot pris du monde séculier et n'est vraiment pas approprié aux discours sur l'Église. Ce qu'il faudrait c'est revenir à l'Évangile et à l'Église, comme le Christ l'a constituée. Depuis le tout début de Son ministère public, il a appelé les Douze, les a distingués, et les a préparés à exercer Sa gouvernance pastorale de l'Église en tout temps et tout lieu. Pour assumer cette responsabilité, le Christ a établi Pierre comme chef du collège apostolique, comme principe d'unité entre tous les évêques et parmi tous les fidèles. C'est très clair dans Ses paroles [prononcées] à Césarée de Philippe, adressées à Simon Pierre: «Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle» (Matt. 16,18).
Tel est le Don de Dieu; c'est la Loi Divine dans l'Église: c'est l'office apostolique du Pontife du Romain et des Évêques en communion avec lui. Ils ont la responsabilité de la gouvernance.
La Conférence des Évêques est une structure faite par l'homme qui aide à coordonner l'activité pastorale et à promouvoir la confraternité entre évêques.
Notre Seigneur n'a jamais rien enseigné à ce sujet, et il n'y a rien dans la tradition de l'Église qui donnerait à la Conférence des Évêques l'autorité de prendre des décisions impliquant un changement dans l'enseignement de l'Église.
Rappelons-nous que chaque pratique pastorale est liée à une vérité doctrinale.
Le Père [Jésuite Antonio] Spadaro affirme dans son article qu'une pratique pastorale en Allemagne pourrait être radicalement différente d'une pratique pastorale en Guinée. Comment cela pourrait être si on se réfère à la même doctrine et à la même vérité du Christ? Je considère toute cette idée très préoccupante.
Les évêques diocésains sont les maîtres de la Foi dans leurs diocèses. Toutefois, les évêques - et plus encore le Romain Pontife - sont tenus au plus haut niveau d'obéissance au Christ et à la tradition vivante par laquelle le Christ vient à nous dans Son Église. Nous ne pouvons pas façonner l'Église à chaque époque et selon les idées locales.
D'après mon expérience des Conférences des Évêques, elles peuvent être très utiles mais peuvent aussi avoir un effet néfaste dans le sens qu'un évêque particulier peut ne plus prendre au sérieux comme il le devrait sa responsabilité d'enseigner la foi et de gouverner en accord avec cet enseignement. L'idée peut s'instaurer que l'enseignement et la gouvernance de l'Évêque devraient être déterminées par la Conférence des Évêques.
Lorsqu'on parle d'une conférence des Évêques comme celle des États-Unis (qui a un si grand nombre d'évêques), il est évident qu'elle ne peut pas être un instrument efficace pour traiter de questions pastorales touchant aux vérités de la Foi. Si par exemple il devait arriver que la pastorale des personnes en des unions matrimoniale irrégulières fût à la discrétion de la Conférence des Évêques ou de l'évêque diocésain particulier, nous aboutirions à une autre confession protestante.
Nous sommes une Église unique dans le monde entier: une, sainte, catholique et apostolique. Nous devons beaucoup insister sur ces quatre marques, en ces temps où nous vivons.


Q. Les documents récemment publiés (sous forme de motu proprio) par le Pape François sur le procès de déclaration de nullité ont amené un grand nombre à croire que l'Église est en train d'assouplir son enseignement sur l'indissolubilité du mariage et qu'il sera bientôt plus facile d'obtenir une déclaration de nullité. Pouvez-vous expliquer comment ces changement se traduiront au niveau pastoral.

R. Je pense qu'il est pratiquement impossible de voir comment les changements mandatés par les normes des motu proprio peuvent être appliqués d'ici le 8 Décembre. Ils sont radicaux et touchent au cœur même du procès de nullité matrimoniale en tant que voie pour parvenir à un jugement de vérité sur une demande de nullité. L'idée par exemple que de nombreux cas peuvent être jugés aisément, si bien qu'une partie peut s'adresser à l'évêque et recevoir un jugement en 45 jours, va tout simplement à l'encontre de la situation concrète de nullité matrimoniale.

La plupart des demandes de nullités matrimoniales sont très complexes - l'échec d'un mariage est en général une situation très complexe.
Il y a des cas où l'une des personnes a trompé l'autre sur le fait qu'il ou elle était lié(e) par une précédente union matrimoniale. La partie innocente a cru que le mariage était valide, mais il ne pouvait pas l'être car l'autre partie était déjà liée à une autre union. Ce fait est facilement démontré par les documents.
Dans l'ensemble, et j'ai une longue expérience, ces cas sont très complexes et requièrent un examen approfondi de la part de ceux qui sont préparés pour ce travail. De nombreux évêques, en toute honnêteté et pas par leur faute, m'ont dit: «Je ne suis pas préparé pour juger des cas de nullité de mariage. À part des études de base en droit canonique je n'ai pas étudié cette matière. C'est pourquoi j'envoie des prêtres depuis des années se préparer à le faire».
Ma réponse à ces évêques est: «La loi ne peut pas vous obliger à faire ce dont vous n'êtes pas capables; autrement dit, que vous ne pouvez pas honnêtement faire». La réponse à donner au fidèle est donc: «Je ne suis pas préparé pour émettre ce jugement, je renvoie donc votre cas au tribunal matrimonial qui est préparé pour produire un jugement équitable».

Je pense que toute la matière de la réforme du procès de nullité matrimoniale nécessite une révision très sérieuse, surtout en ce qui concerne les questions les plus critiques. Par exemple, il n'est à présent plus nécessaire d'avoir une deuxième 'sentence conforme positive' pour qu'une déclaration de nullité de mariage devienne exécutoire.
L'argument souvent utilisé est que cette double sentence conforme n'a été introduite qu'au XVIIIème siècle par le Pape Benoît XIV, ce qui est vrai. Mais il l'a introduite pour une raison importante: il y avait des abus, déjà à cette époque, dans l'octroi des déclarations de nullité de mariage.

Toutefois, même à cette époque, avant qu'il n'introduisît la disposition de la double sentence conforme, les cas de nullité de mariage étaient jugés par un collège de juges. Trois à cinq juges (et même plus) étudiaient les cas et émettaient un jugement sur la demande de nullité. Afin qu'une déclaration de nullité fût émise, une majorité des juges devaient être favorables à la nullité. À présent, dans de nombreux diocèses, les cas de nullité de mariages sont jugés par un seul juge. Nous avons donc une situation où une demande de nullité de mariage peut être jugée affirmativement par un seul homme sans aucune vérification obligatoire. Ce n'est pas juste; ce n'est pas une procédure sérieuse pour juger des fondements mêmes de la vie de la société et de l'Église!
Non seulement elle ne traite pas le cas d'une manière sérieuse, mais elle charge aussi le juge d'un poids injuste. Pour ma part, si j'étais un juge, je n'accepterais pas la responsabilité de juger ces cas. Je ne pense pas qu'une décision unique du juge donne une garantie suffisante de défense de la sainteté du mariage; mon unique jugement ne suffit pas dans une question aussi importante.
Si quelqu'un a déjà travaillé dans un tribunal, il peut comprendre. Il y a cette idée qui est très naïve et sentimentale, centrée uniquement sur la personne qui s'est présentée disant: «Mon mariage est nul et je demande à l'Église de prononcer un jugement afin que je puisse célébrer un [nouveau] mariage». Cette personne doit être traitée avec la plus grande compassion, mais son mariage est un état public de vie dans l'Église et donc implique un partenaire et toute une série de relations dans la famille, y compris, en principe, des enfants.
Nous focaliser simplement sur la recherche d'une solution rapide pour cette personne, afin que lui ou elle puisse ou bien contracter un mariage, ou bien avoir la bénédiction d'un mariage déjà contracté, crée des dommages considérables à toute une série de personnes impliquées dans ce mariage, et non pas accessoirement, ou dans une sorte de manière pharisienne. C'est un engagement réel qui affecte de nombreuses personnes: parents, enfants frères et sœurs, amis, et ainsi de suite. Cela concerne ce que nous avons de plus sacré dans nos vies.


LA MISÉRICORDE DE DIEU


Q. Alors que nous entrons dans l'année de la Miséricorde décrétée par le Pape François, il est important de reconnaître que les Pères Synodaux ont discuté, sur la base d'une analyse approfondie, du besoin de miséricorde et d'amour de ceux qui vivent hors des préceptes de l'Église. Toutefois, ne devons-nous pas éviter la fausse compassion où le péché - aussi bien que le pécheur - est accepté et toléré?

R. Oui, c'est exactement le problème.
La miséricorde de Dieu est une réponse au repentir et à la ferme intention d'amendement. Le fils prodigue est revenu à son père après s'être repenti de ce qu'il avait fait. Il a dit à son père qu'il n'était plus digne d'être son fils et a demandé à être repris comme esclave. Il avait compris ce qu'il avait fait et s'était repenti - la miséricorde du père était une réponse à cela. Il voyait que son fils avait connu une conversion du cœur.
De même, lorsque des personnes qui sont en des situations de péché grave viennent à l'Église, nous les accueillons avec amour. Nous aimons toujours le pécheur, mais nous devons constater que la personne reconnaît son péché et cherche à le surmonter, qu'il se repent et fait réparation pour le mal qu'il a causé. Autrement la miséricorde perd sa valeur et sa signification.

Je crains que les gens ne disent «miséricorde, miséricorde, miséricorde» sans la comprendre.

Oui, Dieu est le Dieu de la miséricorde. Mais la miséricorde est un concept très profond, elle est en rapport avec notre relation intime avec Dieu et notre reconnaissance de l'infinie bonté de Dieu, de notre propre condition de pécheurs, de notre besoin de confession et de repentir. Nous nous jetons sur la miséricorde de Dieu mais nous implorons aussi la grâce de changer nos vies et de rester fidèles à notre intention d'amendement.
Nous voyons cela dans l'Évangile dans les rencontres de Notre Seigneur avec les pécheurs. Il est plein de compassion, mais il est toujours très clair avec eux. Il a dit a la femme surprise dans l'adultère «Va et ne pèche plus» (Jean 8, 11). Et aussi, lorsqu'il rencontre la Samaritaine au puits de Jacob, Il l'interroge sur son mari. Quand elle lui répond: «Je n'ai pas de mari», Il lui dit «Tu as raison de dire: Je n'ai point de mari; Car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n'est pas ton mari» (Jean 4, 17-18).
Séparer la miséricorde de la vérité c'est trahir la miséricorde et en faire ce qu'elle n'est pas dans son essence: une expression de la charité de Dieu.