Coup de semonce pour le cardinal Pell



Suite (et fin provisoire) du feuilleton romain vu par Giuseppe Nardi. Après les cardinaux Müller et Ouellet, c’est au tour du cardinal Pell d’être sur la sellette. Dans le Vatican de François, il ne fait pas bon être ratzingérien… (25/4/2016)

>>> Les deux précédents volets:
¤ La CDF marginalisée (Müller)
¤ Nominations épiscopales sous François (Ouellet)


Coup de semonce pour le cardinal Pell
Les « non-bergogliens » ont la vie dure à la curie romaine


Giuseppe Nardi
www.katholisches.info
22 avril 2016
Traduction d'Isabelle

(Rome) Quelques-uns des chefs de dicastère de la curie romaine ont été démis de leur charge par le pape François après son élection. D'autres ont gardé leur poste, mais sont isolés dans les faits. C'est au tour du cardinal australien George Pell de subir une pression constante.

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La mise à pied des « ratzinguériens »
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L'enjeu de ces mises à pied n'était pas tant une question de compétence que le choix d'une ligne déterminée. Elles touchaient à chaque fois des « ratzinguériens » convaincus, formule concise désignant une conception de l’Église fidèle à la foi.

D'abord, le cardinal italien Mauro Piacenza fut démis de sa charge de Préfet de la Congrégation pour le Clergé et, à seulement 70 ans, déplacé au poste de Pénitencier majeur de la Pénitencerie Apostolique, un titre prestigieux, mais insignifiant dans le gouvernement de l’Église universelle. Le cardinal Piacenza avait soutenu Benoît XVI quand il s'était agi d'élever Jean-Marie Vianney, le saint curé d'Ars, au rang de modèle et de patron des prêtres. Une tentative qui échoua à cause de violentes résistances dans le haut clergé qui refusait comme « rétrograde » un modèle de prêtre « pré-conciliaire ». Le pape actuel, n'ayant lui non plus, aucune sympathie pour un tel modèle sacerdotal, remplaça Piacenza par un homme de son choix.

Le cardinal catalan Antonio Cañizares Llovera, Préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements était considéré comme le « petit Ratzinger ». Il exprima déjà lors du consistoire des cardinaux de février 2014 son refus de la « nouvelle miséricorde » du cardinal Walter Kasper. Comme chef de dicastère, le cardinal Cañizares aurait dû être membre d'office du Synode des évêques sur le mariage et la famille. Le pape François le nomma pourtant, juste avant le début du synode de 2014, archevêque de Valence. Son intronisation en Espagne eut lieu la veille de l'ouverture du synode.

Immédiatement après le synode, le cardinal américain Raymond Burke, qui était depuis 2008 préfet du Tribunal Suprême de la Signature Apostolique, fut proprement expulsé de sa charge. Sous le pape Benoît XVI, le cardinal Burke avait exercé une influence décisive sur les nominations épiscopales aux USA. Des nominations qui avaient abouti à un épiscopat sain, mais dont la ligne se heurta à l'aversion du pape François. En décembre 2013, celui-ci éloigna le cardinal Burke de la Congrégation pour les évêques et de la Congrégation pour les causes des saints.

Mais le véritable choc entre les positions antagonistes devait encore se produire. Lors du synode de 2014, le cardinal Burke, brillant canoniste, devint le porte-parole des défenseurs de la doctrine du mariage et de la morale catholiques contre les thèses kaspériennes. Il dénonça des tentatives de manipulation de grande envergure qui visaient à pousser le synode des évêques dans une direction progressiste. Tellement indigné que quelque chose de semblable pût se produire dans l’Église, il laissa entendre que la manipulation avait reçu l'appui du pape. Peu de temps avant le début du synode, était paru, à l'initiative du cardinal Burke, un ouvrage collectif qui défendait le sacrement de mariage et la famille naturelle ; il comprenait les contributions de cinq cardinaux éminents. Si vive fut l'irritation dans l'entourage du pape que des rumeurs insistantes commencèrent à circuler, selon lesquelles le pape avait l'intention d'éloigner de Rome le cardinal Burke. La menace devait être, pour le cardinal, un coup de semonce qui l'avertissait de se tenir coi lors du synode des Evêques. Le cardinal américain ne se laissa toutefois pas intimider. Moins de trois semaines après le synode, le pape mit sa menace à exécution et éloigna le cardinal Burke de la curie romaine. Comme cardinal patron de l'Ordre Souverain de Malte, il n'a plus aucune influence sur le gouvernement de l’Église. Et surtout, sa participation au synode des évêques de 2015 était désormais exclue.
Sa destitution doit être envisagée aussi en relation avec l'administration, par un commissaire, de l'ordre – lié à la mouvance traditionnelle – des Franciscains de l'Immaculée. Dans une procédure juridique régulière, leur cause aurait atterri en dernière instance sur le bureau du cardinal Burke. Une éventualité que l'entourage du pape préférait manifestement éviter.

Les interventions ont touché des domaines centraux : le clergé, la liturgie et les sacrements, et le tribunal suprême. Avec la nomination du cardinal Robert Sarah comme successeur du cardinal Cañizares, le pape François n'a pas tout à fait atteint ce qu'il voulait. Dans sa nouvelle fonction, le cardinal Sarah s'est révélé comme l'une des figures les plus illustres et les plus éminentes du collège cardinalice. L'intégration de l'Afrique dans l'« agenda latino-américain » a, jusqu'ici, échoué lamentablement. Les pères synodaux africains ont exercé, lors du Synode des évêques de 2015, une résistance énergique contre les « Kaspériades libérales » (Messa in latino).


La marginalisation des derniers « ratzinguériens »
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La destitution d'hommes d'Eglise au profil très marqué aura mis au pas les autres qui ne voulaient pas subir le même sort. Le pape François passe pour un fin stratège. Un trop grand nombre d'interventions personnelles auraient révélé au grand jour la transformation de l'Eglise. Un « juste » dosage permet de ne pas s'exposer trop. Le pape François ignore et marginalise les chefs de dicastère maintenus à leur poste, mais dont la vision de l’Église n'offre que peu de points communs avec la sienne. Cela concerne deux des neuf congrégations de la curie : la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et la Congrégation pour les Evêques. Le préfet de la CDF, le cardinal Gerhard Müller, et le préfet de la Congrégation pour les Evêques, le cardinal Marc Ouellet, ont bien été maintenus dans leurs titres et fonctions, mais ils ont été isolés.

Cela présente l'avantage de donner, à l'extérieur, l'illusion que les responsabilités à la curie romaine sont réparties de manière plus « équilibrée » et que, d'une certaine façon, un plus grand nombre de parties de l’Église se sentent représentées à Rome Mais cela ne correspond pas aux véritables rapports de force internes. Le pape François gouverne en autocrate.


Le cardinal George Pell, appelé d'Australie
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Il est un autre cardinal qui n'a pas la confiance du pape François : c'est le cardinal australien George Pell, qui, pour l'entourage progressiste du pape, appartient à l'« autre camp ». Lorsque, un mois après son élection, le pape François annonça la création d'un conseil de cardinaux qui devait l'aider pour la réforme de la curie romaine et le gouvernement de l’Église universelle, il lui fixa une clé de composition géographique. Chaque continent devait être représenté par un cardinal dans cette nouvelle instance supérieure. A ce moment, George Pell était le seul cardinal d'Océanie et il fut donc nécessairement propulsé dans ce que l'on appela le conseil C8 des cardinaux (aujourd'hui le conseil C9). Une « erreur de casting » imprévue comme lors de la succession du cardinal Cañizares.

Le cardinal Pell fut même appelé, en février 2014, à la curie romaine et nommé préfet du secrétariat pour l'économie nouvellement créé. En soi, une valorisation. Or, le nouveau dicastère n'existait que sur papier, alors que François s'était ménagé la possibilité de transformer l'épiscopat australien. En vertu de sa personnalité et de son rang, le cardinal Pell était la figure dominante du cinquième continent. François refusa, pour la succession de l'archevêque de Sydney, les trois candidats que lui proposaient le cardinal Ouellet et la Congrégation pour les Evêques, en accord avec le cardinal Pell. Le pape désigna un candidat de son choix. Comme en d'autres cas, les démarches qui ont conduit à cette nomination sont restées tout à fait opaques. Selon l'expert en questions religieuses, le Canadien Alain Pronkin, François recherche toujours les « candidats les plus progressistes ». Pour cela, il s'appuie sur les recommandations de personnes de confiance plutôt que sur les institutions compétentes.

A Rome, on a beaucoup glosé sur l'appel du cardinal Pell à la curie. L'explication la plus crédible semble être que François ait voulu tenter avec lui ce que le pape Jean-Paul II avait essayé de faire avec Walter Kasper : réduire, par sa promotion, son influence dans son pays et l'intégrer à l'agenda pontifical. Toutefois, même à Rome, le cardinal Pell ne renonça pas à ses convictions et, lors des synodes des Evêques, se montra un défenseur inébranlable de la doctrine du mariage et de la morale catholiques. Lors du synode de 2014, il poursuivit son discours de défense contre les thèses kaspérienes alors même que la direction du synode avait, contre toutes les règles, débranché son micro.Son entourage laissa entendre à ce sujet : « Certains jouent un jeu sordide ». Le cardinal Burke parla lui aussi ouvertement de « jeu sordide » et en fut très vite puni.

Suite à cela, il fut de plus en plus question de ressentiment pontifical à l'encontre du cardinal Pell, ou de « manœuvres » pour l'éloigner à nouveau de Rome. L'inquiétude émane aussi de l'entourage même du cardinal et cela traduit un sentiment généralisé d'insécurité à la curie romaine. Tout qui ne fait pas partie de la cour rapprochée, progressiste, du pape vit ses jours à Rome dans la peur.


L'action PricewaterhouseCoopers (PwC)
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Hier, on a appris que le mandat d'examiner les comptes du Saint-Siège avait été «retiré» à l'entreprise PricewaterhouseCoopers. L'entreprise d'audit, créée en 1865, dont le siège est à Francfort, devait reprendre l'audit externe des finances et le conseil fiscal du Saint-Siège et de l’État du Vatican. Les négociations conduisant à cette attribution s'étaient déroulées par l'intermédiaire du conseil pour l'économie, créé par le pape François et présidé par le cardinal Reinhard Marx qui en est le coordonnateur. La désignation de l'entreprise de Francfort avait été annoncée le 5 décembre 2015. La durée du mandat était de trois ans et le coût de trois millions d'euros. Le contrat avec PwC fut signé par le cardinal Pell en tant que préfet ayant la compétence en ces matières.

Les 20 et 23 février, le cardinal informait toutes les administrations vaticanes qui étaient soumises à l'audit. Les dirigeants étaient informés que PwC se mettrait en rapport avec eux et qu'ils devraient accorder aux réviseurs le droit de s'entretenir avec tous les responsables des services ; ceux-ci devient se montrer prêts à collaborer.

Ces derniers jours, la secrétairerie d'Etat délivra soudain un contre-ordre. Toutes les administrations vaticanes reçurent une lettre du cardinal secrétaire d’État Parolin et de son substitut, l'archeévêque de curie Becciu les informant que l'audit financier du budget était« suspendu ». Une décision qui n'a pu être prise sans l'accord du pape, selon Vatican Insider.

Ce qui est en jeu, ce n'est ni PwC ni son travail. Il ne s'agit pas non plus d'une « résistance » de quelques services qui voudraient se soustraire au contrôle. Il s'agirait « seulement » de questions de procédure.

Comme, l'année passée, après un temps de mise en route, on a promulgué les statuts pour le secrétariat pour l'économie et le conseil pour l'économie, le processus formel de l'adjudication ne correspondrait pas aux règles prévues. Cette lacune devrait être comblée dans les statuts et l'adjudication serait à refaire. Celle-ci irait de nouveau à PwC. La mesure viserait seulement à rectifier des erreurs formelles, qui auraient pu donner lieu, ultérieurement, à des contestations juridiques.


« Message au cardinal Pell : Qui a le dernier mot ici ? »
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Les détails de cette opération étonnante restent obscurs. Les mandats confiés à des firmes externes avaient été expressément discutés au sein du conseil C9 des cardinaux, auquel appartient le cardinal Pell, au même titre que le cardinal secrétaire d'Etat Parolin et le cardinal Marx, coordonnateur du conseil pour l'économie. L'intervention de la secrétairerie d'Etat surprend d'autant plus.

La situation ainsi crééé est pénible, mais pour le cardinal Pell seulement. Il a signé le contrat, avec l'accord et à la demande des autres – en tout cas, c'est ce qu'il a cru. L'impression émerge aujourd'hui qu'il n'est pas en mesure d'exercer sa charge et, pire encore, qu'il n'a pas le droit de signer un contrat.

Pell a fait savoir par un porte-parole du secrétariat pour l'économie qu'il était « quelque peu surpris » de la lettre de la secrétairerie d'Etat. Il s'est dit convaincu que « le travail de PwC serait bientôt poursuivi ».

Le vaticaniste Edward Pentin (National Catholic Register) voit dans toute cette opération un « message » à l'adresse du cardinal Pell. On a voulu, à l'évidence, lui faire comprendre « qui a le dernier mot ici », et ce n'est pas lui.

Hier le cardinal Pell a été reçu par le pape François. On peut supposer que cette audience est en relation directe avec ce qui s'est passé. Morale de l'histoire : les collaborateurs de la curie, si élevé que soit leur rang, s'ils n'appartiennent pas à la ligne du pape François, n'ont pas la vie facile à la curie romaine.

Giuseppe Nardi