Des femmes diacres? (III)


Comme c'est presque toujours le cas, l'histoire est appelée à la rescousse pour la "preuve par l'Eglise primitive". Le coup d'envoi de l'opération est donnée par Kasper himself. Mais quel était le rôle des diaconesses, dans l'Eglise des premiers siècles? (15/5/2016)

>>> Ci-contre: La diaconesse Phébé (cf. Rm 16, 1-2), l'alibi des modernistes.

>>> Voir aussi:
¤ Des femmes diacres? (I)
¤ Des femmes diacres? (II)

 

PLACE AUX HISTORIENS...


La fièvre d'ouverture qui s'est emparée de la frange la plus progressiste de la catholicité, et bien entendu des médias lorsqu'ils s'occupent de l'Eglise, va voir apparaître une floraison d'historiens improvisés pour la circonstance, plus ou moins compétents, plus ou moins auto-proclamés. Comme pour le mariage des prêtres, ou les origines de la fête de Noël, ils vont creuser dans les profondeurs de l'histoire pour découvrir, dans l'Eglises primitive, des femmes-diacres - avant de conclure trimphalement: «vous voyez bien, cela a existé dans l'Eglise 'pure' des premiers siècles, ce sont seulement les 'incrustations' ultérieures qui ont fait de l'Eglise-institution ce repère sclérosé de machistes bas du front».
En fait, ils ont déjà commencé, et en ont bel et bien trouvé une, dans la lettre de Saint Paul aux Romains. Une certaine Phoebé (ou Phébée) de Cenchrée diaconesse, évoquée par Benoît XVI dans l'audience générale du 14 février 2007:


L'Apôtre [Paul] mentionne une certaine "Phébée", qualifiée comme diákonos de l'Eglise de Cencrées, petite ville portuaire située à l'est de Corinthe (cf. Rm 16, 1-2). Bien que le titre, à cette époque, n'ait pas encore de valeur ministérielle spécifique de type hiérarchique, il exprime un véritable exercice de responsabilité de la part de cette femme en faveur de cette communauté chrétienne.


Comme c'était prévisible, le cardinal Kasper a été le premier à saisir la perche, ne perdant pas un jour pour réagir dans une interview illico accordée au Corriere della Sera.


«Il y a des années, on en a discuté à la Commission théologique internationale, au Vatican, quand Joseph Ratzinger était préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Ce fut une discussion large et je me souviens que les théologiens ont été incapables de parvenir à une position commune, il y avait beaucoup d'opinions différentes, beaucoup de divisions ....».

Le cardinal Walter Kasper, grand théologien allemand très estimé par François - c'est à lui qu'il confia le discours d'introduction aux deux Synodes sur la famille - prévoit une autre très longue discussion: «j'imagine que certains seront fortement opposés, d'autres ouverts ... Mais je me souviens bien que le même Ratzinger, à la fin, a expliqué qu'il n'y avait toujours pas de clarté (ndt: quelle valeur a la parole du cardinal Kasper?), mais la question n'a pas été close».

En fait, le document final, en 2003, à propos des femmes diacres, résumait: «Il appartiendra au ministère de discernement que le Seigneur a établi dans son Eglise de se prononcer avec autorité».

- Quelles sont les difficultés, Votre Eminence? Saint Paul parle déjà d'une diaconesse...
«C'est vrai, dans la Lettre aux Romains. Il faut reconnaître que, sous une certaine forme, cela existait dans l'Église primitive. Le problème est de déterminer ce qu'entend Paul, quand il parle d'une femme diacre. Même dans la commission théologique, il y a eu un long débat entre les experts, si ce diaconat féminin a jamais existé et était égal ou pas à celui des hommes».
- Résultat?
«Les voix étaient souvent très différentes. Mais bien sûr, on peut faire une nouvelle commission, poursuivre la discussion peut-être en partant de ce texte. Ce ne sera pas une chose simple».


En 2003, la Commision théologique internationale alors présidée par le cardinal Ratzinger en tant que préfet de la CDF a effectivement publié un document sur le diaconat, intitulé LE DIACONAT: ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES (cf. www.vatican.va).
Ce document contient un long développement consacré aux femmes [cf §2 d), §3 b)], dans lequel la diaconesse Phoebée est évoquée [§2 d)].
Voici la conclusion.


Concernant l’ordination de femmes au diaconat, il faut observer deux éléments importants résultant de ce que nous avons exposé. Premièrement, les diaconesses dont il est fait mention dans la tradition de l’Église ancienne (selon ce que le rite d’institution et les fonctions exercées suggèrent) ne peuvent pas être assimilées purement et simplement aux diacres. Deuxièmement, la tradition ecclésiale, surtout dans la doctrine du concile Vatican II et dans l’enseignement du Magistère postconciliaire, souligne fortement l’unité du sacrement de l’Ordre, dans la claire distinction entre les ministères de l’évêque et des presbytres d’une part et le ministère diaconal d’autre part. À la lumière de ces éléments mis en relief par la présente recherche historico-théologique, il revient au ministère de discernement que le Seigneur a établi dans son Église de se prononcer avec autorité sur la question.


On voit que ces propos qui ouvrent effectivement "en situation" sur de possibles (?) ambiguïtés n'ont pas été perdus pour le cardinal Kasper, qui a bien l'intention d'utiliser la plus minuscule fissure pour faire entrer ses idées dans le débat....

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Le site italien <Libertà e Personna> propose ici une brève synthèse (ou plutôt un aperçu) du document de la CTI, qui sera utile pour comprendre les débats qui s'annoncent... sans avoir besoin de se plonger dans les détails d'un long texte théologique:


Le vrai rôle des «diaconesses» dans l'Église primitive


Matteo Carletti
www.libertaepersona.org
14 mai 2016
Ma traduction

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A lire les principaux quotidiens aujourd'hui, il semble vraiment que le pape ait ouvert à la possibilité de femmes prêtres. En réalité, le pape Bergoglio, lors de l'audience accordée hier au Vatican aux supérieures religieuses, a seulement posé la possibilité de rouvrir l'étude sur le diaconat féminin.

On ne peut certes ignorer que le diaconat est, pour les hommes, l'étape qui précéde immédiatement la prêtrise et qu'il représente le premier degré de l'Ordre. La proposition du Saint-Père est basée sur la connaissance établie de la présence de diaconesses dans l'Eglise primitive.
En 2003, la Commission théologique internationale, après des années d'études sur le cas, a publié un document dans lequel était laissée ouverte une certaine exégèse sur le diaconat des femmes, mais qui affirmait également très clairement que ce rôle était différent à la fois de celui actuel et de celui strictement masculin. Le document rappelle que les diaconesses étaient des laïques chargées de façon permanente de l'éducation des catéchumènes, des œuvres de charité, et d'aider les femmes adultes à se dévêtir à l'occasion de leur baptême.

Dans les Constitutions apostoliques, apparues vers 380 en Syrie, leurs fonctions étaient résumées ainsi: « La diaconesse ne bénit pas et n'accomplit rien de ce que font les prêtres et les diacres, mais garde la porte et assiste les prêtres lors du baptême des femmes, pour des raisons de convenance». Parmi les autres sources antiques, nous trouvons Epiphane de Salamine qui, dans le Panarion (vers 375) dit: « Il y a dans l'Église l'ordre des diaconesses, mais il ne sert pas à exercer les fonctions sacerdotales, ni pour leur donner une tâche, mais pour la décence du sexe féminin au moment du baptême».

Le document de la Commission théologique rappelle que le mode de vie des diaconesses se rapproche de celui des religieuses cloîtrées à la fin du IVe siècle. Est alors appelée diaconesse la responsable d'une communauté monastique de femmes, comme en témoigne, entre autres, Grégoire de Nysse.
«Ordonnées abbesses de couvents de religieuses, les diaconesses portent le 'maforion' (МАФОРИЙ, cf. illustration plus haut), ou voile de perfection. Jusqu'au sixième siècle, elles assistent encore les femmes dans la piscine baptismale et pour l'onction. Bien que ne servant pas à l'autel, elles peuvent distribuer la communion aux malades. [...] Les diaconesses sont simplement des vierges consacrées qui ont fait le vœu de chasteté. Elles résident soit dans les monastères, soit dans leur propre maison. La condition d'admission est la virginité ou le veuvage, et leur activité consiste dans l' assistance caritative et sanitaire aux femmes».
Même l'imposition des mains par les évêques avaient pour elles la fonction de bénédiction, mais pas d'ordination, leur interdisant tout accès à l'autel et au ministère liturgique. En Occident, on ne trouve pas de traces de diaconesses dans les cinq premiers siècles, tandis que «certains conciles des IVe et Ve siècles, rejettent tout ministerium feminae et interdisent toute ordination des diaconesses».

En résumé, le document nous informe qu'un ministère des diaconesses a vraiment existé, même si c'est de manière inégale dans les différentes parties de l'Eglise. Ce qui en revanche est commun c'est «que ce ministère n'était pas entendu comme le simple équivalent féminin du diaconat masculin».

Sur la question de l'éventuelle ordination des femmes, Paul VI s'est expressément exprimé CONTRE et la question a été close définitivement par Jean-Paul II dans la Lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis (1994).
Donc, une étude sur le rôle des femmes dans l'Église primitive pourra certainement mettre en lumière certains aspects qui étaient encore dans l'ombre, mais en aucun cas ouvrir la voie à l'ordination des femmes. Et le pape François le sait (c'est pourquoi il ne peut aborder la question que de biais, ndt), contrairement à la plupart des journalistes qui insistent pour écrire sur des questions dont ils n'ont peu (ou pas) de connaissance.