Encore à propos du Brexit


Le peuple n'est souverain que s'il vote comme le veulent ceux qui détiennent le pouvoir (Robi Ronza) (28/6/2016)

Voir à ce sujet:
¤ Le Brexit vu de France: Apocalypse now!
¤ Brexit: le mépris des élites...
¤ Les électeurs repentis (du oui au Brexit)

 

Robi Ronza parle de l'Italie (et en particulier de Turin où les récentes élections municipale ont vu la défaite du maire sortant démocrate de gauche, Piero Fassino, au profit de Chiara Appendino, la candidate du mouvement "Cinque stelle" de Beppe Grillo - comme dans les deux autres grandes villes, Rome et Milan).
Mais nous n'avons rien à envier à nos voisins, et il n'est pas nécessaire de traverser les Alpes pour justifier cette analyse par des faits concrets. Qu'on se souvienne des élections régionales de décembre 2015, en France, où le second tour n'avait pas confirmé les bons résultats obtenus au premier par le FN, et contrairement aux prévisions, n'avait remporté aucune région, même là où son score du premier tour lui permettait légitimement de l'espérer. Il faut dire qu'entre les deux tours, les médias avaient sorti l'artillerie lourde, et qu'au second, dans un magnifique "sursaut citoyen" (sic!) le peuple avait "bien" voté - c'est-à-dire comme on lui avait dit de le faire par médias interposés. On avait entendu alors des voix doctes célébrer avec des trémolos dans la voix la vox populi, celle du vrai peuple, qui avec sa sagesse innée s'était massivement "mobilisé" (resic!) pour "faire barrage aux extrêmes" (re-resic). A l'époque, tous les votes étaient bons (l'inscription sur les listes électorales avait d'ailleurs été exceptionnellement repoussée au 1er juillet), les 'vieux" (même ceux des maisons de retraite!) avaient été sollicités, et on avait même parlé de faire appel à "l'esprit civique" des SDF.

Or on a pu voir que dimanche dernier, avec le "oui" anglais au Brexit, le discours avait, au moins en apparence, radicalement changé. On a entendu en boucle les mêmes voix doctes nous expliquer qu'il n'était peut-être pas opportun de consulter le peuple, ou plutôt sa fraction la moins éduquée (!!), pour décider de questions complexes auxquelles il ne comprend manifestement pas un mot. Et les vieux sont désormais désignés à la vindicte publique pour avoir "volé" leur avenir aux jeunes (ceux du programme Erasmus!!) en bloquant par leur vote irréfléchi la construction européenne. Au point qu'on se demande, sans rire, s'il ne conviendrait pas de décréter une limite d'âge supérieure pour le droit de vote.

Le peuple n'est souverain que s'il vote comme il plaît à ces messieurs


Robi Ronza
www.lanuovabq.it
27 juin 2016
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«Le peuple n'est souverain que s'il vote "comme il doit"».
C'est ce que rappelait hier Luco Ricolfi, dans une intervention surprenante en première page de Il Sole 24 Ore. Fondateur en 2002 à Turin de l'Observatoire du Nord-Ouest (un institut de recherche qui mène des enquêtes sur les comportements des gens ordinaires concernant l'économie, la société, la culture et la politique), Ricolfi est un sociologue de gauche, mais à qui il arrive assez souvent d'être sainement critique du milieu politique et culturel dans lequel il se reconnaît.

Commentant le sentiment commun de ces jours-ci à Turin, la ville où il est né et où il vit, Ricolfi note que la défaite de Piero Fassino aux élections municipales et les résultats du récent référendum en Grande-Bretagne ont donné lieu dans le milieu de la gauche turinoise à ce qu'il appelle une «animosité diffuse envers le suffrage universel». Les mêmes «qui parlent avec suffisance, parfois avec mépris» , dit le sociologue, «du peuple qui vote Cinque Stelle ou choisit le Brexit, sont tout prêts à louer sa sagesse, sa maturité démocratique, sa clairvoyance quand le peuple vote dans le bon sens. Les mêmes qui invoquent à chaque occasion la nécessité de passer de l'Europe des technocrates froide, autoritaire et bureaucratique, à l'Europe des peuple, chaleureuse, lumineuse et démocratique, prennent immanquablement peur quand, à l'accasion d'un référendum, le peuple est autorisé à s'exprimer sur une chose importante». Bref, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond sur le plan de la logique. «Et ce quelque chose, mon impression - conclut Ricolfi - est qu'il concerne justement le concept de peuple». Et aussi, ajouterions-nous, l'idée même de démocratie.

Tout cela vaut, en réalité, non seulement pour Turin, dont il s'est directement inspiré pour ses observations, mais pour toute l'Italie, sinon pour toute l'Europe. En l'absence de consensus du monde dont elle prétend être le représentant privilégié, partout la gauche réagit en montrant le bâton: «La gauche dit qu'elle aime le peuple, mais le peuple n'aime plus la gauche. Les classes élevées et moyennes préfèrent la gauche, qui pourtant dit (ou fait semblant?) représenter les classes inférieures», dit Ricolfi (....)

La chose, cependant, ne concerne pas seulement l'Italie. La pétition lancée en Grande-Bretagne pour faire un nouveau référendum - bien que le premier ministre Cameron ait déjà dit que c'était à exclure - est significative. Comparativement au nombre de ceux qui ont voté «non» au Brexit, les trois millions et quelque de signatures recueillies jusqu'à présent à travers un appel sur Internet, ne sont pas grand chose. Toutefois, elles sont symptomatiques de ce sentiment commun des cercles de gauche dont nous venons de parler. Pour ces milieux, qui vont même au-delà de la gauche, le vote, la démocratie, c'est seulement une technique d'organisation du consensus. On n'interpelle pas le peuple pour savoir quelle est sa volonté. On l'interpelle pour qu'il approuve ce que veut le pouvoir.

Un autre élément sur lequel il serait intéressant que des commentateurs faisant autorité et sans préjugés réfléchissent, c'est le parti pris "ventre à terre" pour le "non" au Brexit de la presque totalité des grands médias. L'affaire a une nouvelle fois confirmé que le gros du système médiatique international se présente désormais comme une «courroie de transmission» (pour reprendre les mots de Lénine) des décisions de ces messieurs. La presse italienne est malheureusement au premier rang de ce classement décourageant (pas sûr!! la compétition est serrée, et l'arrivée se fait sur le fil, ndt). Ce qui devrait au contraire nous préoccuper le plus, en réalité, ce ne sont pas les difficultés du moment , mais plutôt le manque de vision de la classe politique, que ce soit de gouvernement et d'opposition. On ne peut pas réagir à la crise avec quelques ajustements. Si on veut que l'Union européenne ne se disloque pas, il faut la refonder en remettant à l'histoire non seulement les traités actuels, mais encore avant, la philosophie politique élitiste, anti-démocratique et technocratique sur laquelle elle est fondée. Il ne suffit pas d'aller à Bruxelles, et avant cela à Berlin, pour proposer un nouvel agenda, mais sans discuter sur la structure de l'Union et sur sa philosophie.

(...) En réalité, ou bien on reprend le chemin des origines, celui de la liberté et non de la technocratie, celui de l'histoire commune et de ses valeurs avant celui des intérêts, bref celui d'Adenauer, Schuman et De Gasperi, ou bien on continuera à se diriger vers l'abîme.