Exhortation: la bataille des interprétations


L'exhortation post-synodale, signée aujourd'hui, ne devrait être rendue publique que le mois prochain. Les pronostics vont bon train. Ce qui se profile c'est ce qui est prévu depuis deux ans: pas de changement de la doctrine, mais le flou voulu, et même institutionalisé (19/3/2016)

Une intéressante analyse sur La Bussola.



Communion pour les divorcés remariés:
la bataille des interprétations est de retour


Lorenzo Bertocchi
19/03/2016
www.lanuovabq.it
Ma traduction

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Il n'est pas possible de donner la communion aux divorcés remariés, «en raison de la nature de droit divin de l'indissolubilité du mariage». C'est une des réponses du cardinal Gérard Muller, préfet de la Congrégation de la Doctrine de la Foi, qui se trouvent dans un livre interview avec le directeur des éditions espagnoles BAC, Carlos Granados (La esperanza de la Familia). Le livre sort presque simultanément avec la signature que François apposera aujourd'hui à l'exhortation apostolique post-synodale qui rassemble les travaux des deux Synodes sur la famille.

Signée à l'occasion de la fête de saint Joseph, chef de la Sainte Famille, l'exhortation devrait être très consistante, comme l'a récemment déclaré le cardinal Walter Kasper lors d'une présentation d'un livre. Elle dépassera 200 pages, avec plus de 350 paragraphes. Le même Kasper a spécifié que «François s'exprimera certainement sur les thèmes de la famille abordés au cours du dernier Synode, et en particulier sur la participation des fidèles divorcés remariés à la vie active de la communauté catholique. Ce sera la première étape d'une réforme qui fera tourner à l'Église une page après 1700 ans».

À ce stade, l'impatience de connaître le contenu de l'exhortation augmente, alors qu'il semble que les interprétations préalables ont déjà commencé. Pour un accès public au document il faudra attendre avril; en attendant, le cardinal Kasper, connu pour ses positions depuis le consistoire de Février 2014, parle ouvertement d'une sorte de révolution. Tandis que le Cardinal Muller, dans le livre-interview rappelle que pendant les travaux du Synode, on a insisté sur le fait qu'il n'était pas possible de donner la communion aux divorcés remariés. Parce que, dit-il, «tout l' ordre sacramentel est l'œuvre de la sainteté, de la justice et de la miséricorde divine, et que celle-ci n'est jamais une dispense des commandements de Dieu et de l'Eglise, ou une justification pour les suspendre ou les invalider: "va et ne pèche plus" (Jn 8,11), dit Jésus à la femme adultère, après l'avoir traitée avec grande miséricorde».

Le passage le plus attendu de l'exhortation post-synodale, inutile de dire, concerne la question de l'accès possible aux sacrements pour les couples divorcés et remariés, une question qui, comme nous le savons, a également divisé les pères du synode en Octobre 2014 et aussi en 2015. Ce n'est pas pour rien que les paragraphes de la Relatio finale qui ont reçu les majorités les plus restreintes sont ceux-là mêmes (nn. 84, 85 et 86) qui concernent ce thème. Certaines indiscrétions laissent à penser que le pape François pourra difficilement s'éloigner de la ligne tracée par les Pères synodaux, et donc dans l'exhortation, il y aura certainement une référence à un parcours d'«intégration» dans la vie de l'Église pour les couples divorcés remariés. Ainsi que dit le pape lui-même l'a dit lors du récent voyage au Mexique, ce chemin ne met pas nécessairement au premier plan l'accès à l'Eucharistie. Du reste, même le cardinal Muller dans le livre-entretien insiste sur le thème de l'intégration des divorcés remariés dans la communauté de l'Église, mais en faisant une distinction nette avec l'accès à l'Eucharistie.

Cependant, ceux qui suivent la ligne Kasper visent à faire levier sur ce «discernement pastoral» au cas par cas, qui pointe encore le bout de son nez dans le document final du Synode. Les points-clés pourraient être deux: le rôle accru de l'évêque local, par analogie avec ce qui a été déjà fait avec le Motu Proprio modifiant le processus de reconnaissance de la nullité du mariage, et l'entretien avec le prêtre 'in foro interno' lequel, comme l'indique le n.86 de la Relatio, «contribue à la formation d'un jugement correct sur ce qui fait obstacle à la possibilité d'une plus grande participation à la vie de l'Eglise».

Pour d'autres questions sensibles, comme la pastorale envers les personnes homosexuelles, l'exhortation signée aujourd'hui ne devrait pas présenter de nouveau par rapport à ce qui est déjà indiqué dans le document final du Synode. De même pas, de nouveautés à l'horizon pour l'autre question sensible liée à l'encyclique Humanae Vitae du bienheureux Paul VI. Rien de nouveau par rapport à ce qui a été clairement indiqué par le Catéchisme de l'Église catholique.

Pourtant, Kasper parle ouvertement d'une «réforme qui fera tourner une page à l'Eglise», donc, comme l'a dit un père Synodal, le document pourrait ne pas contenir de paroles définitives, mais entamer des processus. Ouvrir des portes. Et s'ouvrir ainsi à de multiples clés de lecture. Le "trou" le plus risqué pourrait être est le for interne qui pourrait facilement prêter à des interprétations différentes dans les différentes Eglises locales, avec pour résultat une conscience "sur mesure" (fai da te) décrochée des critères objectifs de la loi morale. Et cela, au-delà de la question spécifique de l'Eucharistie aux divorcés remariés, pourrait en fait ouvrir de très grandes portes, tellement grandes que de la morale catholique, il ne resterait pas grand chose.

C'est justement pour contrer cette possible dérive que certains cardinaux et experts soulignent que dans tous les cas, s'il y avait un problème d'interprétation, conformément à la tradition, chaque déclaration doit être lue en continuité avec le Magistère précédent et avec le Catéchisme.