Exhortation: le diable est dans les pieds de page


Deux notes de bas de page introduisent la confusion. C'est évidemment un artifice (génial!) de présentation: c'est dans le document... tout en n'y étant pas (10/4/2016).

>>> Voir aussi:
¤ Le texte d'Amoris laetitia.
¤ L'Encyclique de Jean Paul II Veritatis Splendor.

>>> Dossier: Amoris Laetitia

Sandro Magister a complété un premier article sur www.chiesa (INTÉGRATION OUI, COMMUNION QUI SAIT. LA RÉPONSE SIBYLLINE DU PAPE), où il se limitait à énumérer "ses" passages saillants d'Amoris laetitia, sans les commenter mais en insérant ses propres sous-titres, par quelques considérations plus personnelles sur Settimo Cielo (avant de donner la parole, dans un souci d'objectivité, à un théologien, prêtre du Diocèse de Madrid qui, sans faire partie des thuriféraires a priori avait trouvé le texte bergoglien globalement satisfaisant).

Voici donc ce qu'il écrivait entre aute hier sur Settimo Cielo:

"AMORIS LAETITIA". MISÉRICORDE POUR TOUS, SAUF POUR LES ENFANTS OBÉISSANTS
-----

Le chapitre VIII, sur les divorcés remariés, et ce qui tourne autour, est ce qui surprend le plus dans l'exhortation "Amoris laetitia".
C'est une inondation de miséricorde. Mais c'est aussi un triomphe de la casuistique, pourtant si exécrée en paroles. Avec le sentiment, à la fin de la lecture, que chaque péché est excusé, les circonstances atténuantes sont nombreuses, et donc il disparaît, laissant place à des prairies de grâce, y compris dans le cadre d'«irrégularités» objectivement graves. L'accès à l'Eucharistie va sans dire, il n'est même pas nécessaire que le pape le crie sur les toits. Juste une ou deux allusions, en notes de bas de page.

Et ceux qui jusqu'à présent ont obéi à l'Eglise et se sont reconnus dans la sagesse de son magistère? Ces divorcés remariés qui avec une telle bonne volonté, pendant des années, voire des décennies, ont prié, ont assisté à la messe, ont éduqué chrétiennement leurs enfants, ont accompli des oeuvres de charité, même dans une seconde union non sacramentelle, sans communier? Et ceux qui, en plus de cela, ont accepté de vivre «comme frère et sœur», donc pas en contradiction avec le précédent mariage indissoluble, et ont pu accéder à l'Eucharistie? Qu'en est-il de tout ceux-là, après le "tous libres" que beaucoup ont lu dans "Amoris laetitia"?

Il y a une note de bas de page - une autre, pas les deux, abondamment citées, qui font miroiter la communion pour les divorcés remariés - qui réserve à ceux d'entre eux qui ont fait le choix de vivre «comme frère et sœur», non pas un mot de réconfort, mais une gifle.

Il y est dit qu'en faisant cela, ils peuvent faire du tort à leur nouvelle famille, car «quand certaines expressions d'intimité font défaut, "il n'est pas rare que la fidélité coure un risque et que le bien des enfants puisse être compromis".» Sous-entendu, ce sont les autres, ceux qui mènent une vie de conjoints, même dans le deuxième mariage civil, peut-être même en communiant, qui sont dans le vrai.

Il faut le lire pour le croire. C'est la note n. 329, qui cite improprement à l'appui de son reproche rien moins que la constitution conciliaire "Gaudium et Spes", n.51.

Aujourd'hui, sur la Bussola, Lorenzo Bertochi développe plus amplement les problèmes soulevés par la fameuse note 329. Mais ce n'est pas la seule! Il y a aussi les deux évoquées rapidement par Magister (§ 336 et § 351), comme faisant «miroiter la communion pour les divorcés remariés». Plusieurs commentateurs anglophones ont déjà réagi: le titre de ce billet est d'ailleurs emprunté à Teresa, qui cite plusieurs articles à ce sujet (cf. www.freeforumzone.com, 9/4/2016 02:22).
L'illustration ci-dessous est d'elle:

Amoris Laetitia,
trois notes pour la guerre des interprétations


Lorenzo Bertocchi
www.lanuovabq.it
Ma traduction

* * *

Sur les indications relatives aux situations familiales irrégulières contenues dans Amoris Laetitia (surtout au chapitre 8), une tempête d'interprétations s'est déchaînée ces jours-ci. Ainsi, pour certains, le document entier est enfin l'abordage à une "nouvelle" église. C'est ce que disent aussi les médias catholiques, c'est ce dont parlent différentes personnalités du monde ecclésial.
Mais l'incendie s'est déclenché. En dépit de gros efforts pour lire le texte de la seule manière possible: en continuité avec le magistère précédent, puis avec le dépôt de la foi .
Comme le dit le Professeur José Granados à la Bussola «si on sépare le texte [du chapitre 8] du contexte du débat Synodal ou de sa continuité avec le magistère précédent, il peut certainement y avoir des interprétations erronées».

Dans Amoris laetitia il y a une approche pastorale renouvelée envers les couples dits irréguliers, et il y a aussi le discernement "au cas par cas" sur l'accès aux sacrements des couples divorcés et remariés. Dans ce domaine, il y a trois notes du texte de l'exhortation (329, 336 et 351) qui font actuellement discuter. Nous proposons ici quelques-uns des termes du problème, sans essayer de les résoudre, mais pour mieux comprendre.

NOTE 329: VIVRE COMME FRÈRE ET SŒUR
-----
La note concerne le § 298 d'Amoris Laetitia, là où il est écrit que les situations «très différentes» dans lesquelles se trouvent à vivre les «divorcée qui vivent une nouvelle union (...) ne doivent pas être cataloguées ou enfermées dans des déclarations trop rigides sans laisser la place au discernement personnel et pastoral adéquat». Parmi ces situations, l'Eglise reconnaît également celle dans laquelle «l'homme et la femme, pour des motifs graves - tels que, par exemple, l'éducation des enfants - ne peuvent pas satisfaire à l'obligation de se séparer». Cette dernière phrase est indiquée dans le texte de l'exhortation Familiaris Consortio de saint Jean-Paul II; au n.84.

Dans ce paragraphe, il est clairement indiqué que ceux qui sont dans cette situation (et qui n'ont pas obtenu la reconnaissance de nullité du mariage précédent), pour se conformer au bien, doivent être «sincèrement disposés à une forme de vie ne qui ne soit plus en contradiction avec l'indissolubilité du mariage». Autrement dit, énonce là encore le texte de Jean-Paul II, qu'ils «assument l'engagement de vivre dans la continence complète, c'est-à-dire l'abstinence des actes réservés aux conjoints». C'est aussi la voie indiquée par le texte du pape Wojtyla pour l'accès à la réconciliation dans le sacrement de la pénitence et donc la possibilité de communier.

Mais la note 329 d'Amoris laetitia se conclut en dépassant d'une certaine façon cet enseignement:

« Dans ces situations, connaissant et acceptant la possibilité de cohabiter "comme frère et sœur" que l’Église leur offre, beaucoup soulignent que s’il manque certaines manifestations d’intimité "la fidélité peut courir des risques et le bien des enfants être compromis" (Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 51).»

De cette note, il semble même que pour ceux qui sont divorcés et remariés civilement, il est bon de vivre à tous égards comme conjoints, car l'absence de «certaines expressions d'intimité» mettra en danger la «fidélité» (?) et «le bien des enfants».

Il y a plusieurs éléments qui sont abordés dans cette note 329, qui peuvent donner lieu à des interprétations erronées sur la nature indissoluble du premier mariage (s'il est valide), et l'enseignement moral de l'Eglise:

- La citation de la Constitution conciliaire 'Gaudium et Spes' n.51 s'avère détachée du contexte original. Dans Gaudium et Spes, en effet, ces mots se réfèrent clairement aux conjoints et non aux divorcés remariés;

- En utilisant cette citation, il semble qu'on puisse évaluer - comme le font les proportionalistes sur les questions morales - l'action morale sur la base des conséquences positives et négatives de l'action, feignant ainsi d'oblitérer ipso facto l'existence d'absolus moraux ou de comportement intrinsèquement mauvais. En fait, la note 329 peut donner lieu à des interprétations qui pourraient nier l'adultère comme une action mauvaise en soi. L'union conjugale entre deux personnes qui ne sont pas conjoints, peut-elle être, dans certains cas, un bien?

- Dans ce cas, comment évaluer ce qui est indiqué au n.52 de l'encyclique de Jean-Paul II Veritatis Splendor, là où elle enseigne qu'il y a des actes (parmi lesquels l'adultère) qui, justement, se définissent comme «intrinsèquement mauvais», «toujours et en soi, autrement dit pour leur objet même, en dehors des intentions ultérieures de celui qui agit et des circonstances»? .



NOTES 336 ET 351: ACCÈS AUX SACREMENTS POUR LES DIVORCÉS REMARIÉS
-----
Le contexte dans lequel sont insérés les deux notes est similaire, à savoir celui d'un degré différent de responsabilité du pénitent en fonction de conditionnement et/ou de facteurs atténuants. Dans ces cas, dit la note n.336, les conséquences ou les effets d'une règle ne doivent pas nécessairement être toujours les mêmes.

« Pas davantage en ce qui concerne la discipline sacramentelle - lit-on dans la note - , étant donné que le discernement peut reconnaître que dans une situation particulière il n’y a pas de faute grave. Ici, s’applique ce que j’ai affirmé dans un autre document : cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), nn. 44.47».

Dans ce cas, tandis que subsiste le doute quant à la discipline sacramentelle à laquelle renvoie le texte, il apparaît clairement qu'il y a une ouverture pratique, dans certains cas, à l'accès aux sacrements: tant qu'il s'agit (par exemple) de la confession ou de l'onction aux malades, il n'y a pas d'opposition entre (d'un côté) ce que dit cette note et (de l'autre) la nature de ces sacrements et l'enseignement de l'Eglise; mais, s'agissant de l'Eucharistie, si.

La note 351, au contraire, encore plus complexe et problématique, s'insère dans le § 305 du texte, là où il est question du fait qu'«à cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église». Et là se greffe la note 351:

«Dans certains cas, il peut s’agir aussi de l’aide des sacrements. Voilà pourquoi, "aux prêtres je rappelle que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais un lieu de la miséricorde du Seigneur" : Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 44 : AAS 105 (2013), p. 1038. Je souligne également que l’Eucharistie "n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles" (Ibid., n. 47)».

Par conséquent, dans certains cas, la voie des sacrements aux divorcés remariés civilement semble ouverte, à travers une non-culpabilité subjective reconnue, malgré la présence d'une condition objective de péché.

Indiquons quelques éléments problématiques qui émergent:

- Le confesseur semble être invité à juger avec exactitude l'état subjectif de la conscience, arrivant de fait à exprimer un jugement sur le cœur de l'homme (chose que normalement l'Église n'a jamais faite, restant sur le plan, justement, de la situation objective. C'est le cas de Familiaris Consortio, qui demandait, pour l'accès aux sacrements, d'embrasser la continence avec la détermination de ne plus commettre ce péché).

- Quelque commentateur a cité, pour expliquer cette pratique, le principe de l'epikeia thomiste (en réalité en déformant saint Thomas, mais ce serait une longue histoire ...), c'est-à-dire celui qui autoriserait des exceptions à la règle. Mais ce principe, invoqué à plusieurs reprises par le cardinal Kasper, avait déjà été classé comme non applicable précisément dans des cas tels que ceux des divorcés remariés qui exercent encore la sexualité, par un document signé par le cardinal Ratzinger, préfet de la Doctrine de la Foi. Nous lisons dans le document de 1994 (ndt: en fait la note additive de 1998)
«L’epikeia et l’aequitas canonica sont d’une grande importance dans le cadre des normes humaines et purement ecclésiales, mais elles ne peuvent pas être appliquées dans le cadre de normes sur lesquelles l’Église n’a aucun pouvoir discrétionnaire. L’indissolubilité du mariage est une de ces normes qui remontent au Seigneur lui-même et qui sont donc désignées comme normes de "droit divin". L’Église ne peut pas non plus approuver des pratiques pastorales – par exemple dans la pastorale des sacrements – qui contrediraient le clair commandement du Seigneur».

- Comment alors évaluer ce qui est rapporté par l'encyclique Veritatis Splendor à propos du fait que «si les actes sont intrinsèquement mauvais, une bonne intention ou des circonstances particulières peuvent diminuer leur mal, mais elles ne peuvent pas le supprimer» (n.81)

Enfin, comment concilier ces trois notes (329, 336 et 351) avec le paragraphe 300 d'Amoris laetitia , qui dit: « Étant donné que, dans la loi [morale] elle-même, il n’y a pas de gradualité (cf. Familiaris consortio, n. 34), ce discernement [celui fait par le divorcé remarié sur sa situation]ne pourra jamais s’exonérer des exigences de vérité et de charité de l’Évangile proposées par l’Église »?