Georg Gänswein en a-t-il trop dit?


Certains théologiens le pensent.... Une analyse de ses propos explosifs de samedi dernier à l'Université Grégorienne, sur la Bussola, qui a consulté comme "expert", le Père Scalese [*] (25/5/2016)

>>> Voir aussi:
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Un seul Pape, un double "ministère pétrinien" (retour à une polémique de 2014)
¤ Une papauté bicéphale
¤ Le pas historique du 11 février 2013 (discours complet de Georg Gänswein)
¤ Les "révélations" de Mgr Gänswein... (rélexions personnelles)

>>> Et aussi: ma traduction de la réaction du même Père Scalese, le 11 mars 2013, qui à chaud, traçait le cadre juridique du statut de Pape émérite: benoit-et-moi.fr/2013-Ip



Ci-dessus: une très célèbre (et emblématique?) photo de décembre 2013.

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(*) Je me réjouis qu'
un article que lui a consacré Sandro Magister (reprenant une réflexion de lui que j'avais traduite une semaine avant, cf. Les quatre postulats de François ) ait accordé une nouvelle visibilité à un blog exceptionnel que je suis fière d'avoir découvert presque dès sa naissance, et d'avoir contribué, à mon très modeste niveau, à faire un peu connaître en France.

Gänswein passe la mesure: le pape est UN


Lorenzo Bertocchi
25/05/2016
www.lanuovabq.it
Ma traduction

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Ce que beaucoup pensent au Vatican, mais ne disent pas à micros ouverts, c'est que les paroles de Mgr Georg Gänswein, préfet de la Maison pontificale et secrétaire personnel du pape émérite, ont ouvert un précipice. La référence est à un passage précis de son récent discours lors de la présentation d'un livre de don Regoli sur le pontificat de Benoît XVI.

«La renonciation du pape Ratzinger a signifié - dit Gänswein - que le ministère papal n'est plus celui d'avant».
Mais le passage qui a stupéfié de nombreux auditeurs est celui qui fait référence à un non spécifié «ministère [pétrinien, note de l' auteur] élargi, avec un membre actif et contemplatif».
Que peut signifier le fait qu'«il n'y a pas deux papes» , alors que dans le même temps, il y a un « munus pétrinien élargi» avec deux façons de l' exercer? Telle est la question la plus périlleuse que soulève le discours de Mgr Gänswein.

Le problème, avant même d'être juridique, est théologique. Certes, nous sommes confrontés à un nouveauté absolue, pour laquelle il n'y a pas de critères de lecture facile. Pour être honnête, la question avait émergé dans toute son étendue au moment de la renonciation de Benoît XVI en février 2013, avec un débat qui fit intervenir plusieurs chercheurs.

«Que la renonciation du pape Benoît XVI soit légitime» , dit à la Bussola le théologien Barnabite, le Père Giovanni Scalese, «je dirais que c'est hors de tout doute. La possibilité de renonciation est prévue par le canon 332, § 2. Les seules conditions prévues pour la validité de la renonciation sont sa pleine liberté et sa manifestation dûment exprimée. En ce qui concerne, en revanche, le titre de "Pape émérite", dont parle clairement Mgr Gänswein, dans ce cas aussi, je dirais qu'on peut trouver des raisons selon lesquelles "rien ne s'oppose". Cependant, il faudrait indiquer clairement que le "Pape émérite" n'est plus Pape».

À ce propos, un autre canoniste contacté par la Bussola, soutient qu'en soi, on pourrait trouver des raisons pour le titre de "Pape émérite", à condition de souligner, justement, qu'il n'y a pas deux Papes.
«Je suis d'accord - dit Scalese - il faudrait dire qu'il n'y a pas deux Papes, car il n'y a pas deux évêques dans un Diocèse, quand l'un part en retraite. Il n'y a pas deux Papes: le Pape est un seul; l'autre est "émérite", c'est-à-dire qu'il a été Pape mais ne l'est lus. Qu'ensuite il continue à prier et à faire pénitence pour l'Église, me semble non seulement possible, mais nécessaire: je pense que n'importe quel Evêque émérite le fait pour son diocèse; tout comme le fait n'importe quel religieux qui prend sa retraite de son institution (les jésuites, par exemple, dans leur annuaire, à côté du nom des religieuse en retraite, écrivent: "Prie pour la Compagnie").

Reste pourtant la question dont nous avons parlé au début. Il y a deux papes, mais, selon Gänswein, il y a un «ministère [pétrinien] élargi». Alors?

«Les expressions utilisées par Mgr Gänswein me semblent sincèrement excessives. Parler d'une "dimension collégiale et synodale" du munus petrinum , parler d'un "ministère commun" ou d'un "ministère élargi" avec un membre actif et un contemplatif, cela me semble vraiment trop. Je ne sais pas si on se rend compte de la portée de certaines déclarations: pas étonnant qu'ensuite, certains puissent arriver à des conclusions extrêmes. Tout comme il semble complètement hors de propos de parler de "nouvelle étape dans l'histoire de la papauté" ou d'affirmer que "dans un acte d'une audace extraordinaire [Benoît XVI] a renouvelé cette charge ... et avec un dernier effort, il l'a renforcée". Que le renoncement au pontificat suprême soit une éventualité prévue par les règles canoniques, d'accord; mais en faire un renouvellement et un renforcement du ministère pétrinien, cela me semble tout simplement absurde. Même la citation de Scoto, "Decuit, potuit, fecit" me semble hors de propos: il n'y a pas de doute qu'il pouvait le faire (et il l'a fait); mais que c'était opportun (conveniente), on pourrait en discuter longtemps».

En réalité, cela fait un certain temps que des théologiens tentent de trouver une justification à un double mode d'exercice du munus pétrinien: l'un serait exclusivement spirituel, l'autre, au contraire, administratif et exécutif. Donc , Ratzinger aurait renoncé selon la deuxième voie, continuant toutefois à participer au "munus" en ce qui concerne la première. Mais selon d'autres, cela ne résout pas le problème, et même cela l'aggrave. En effet, il y a beaucoup de questions qui font surface. Après l'abdication, le Pape qui s'en va reste-t-il Pape, d'une certaine façon? Si le Pape est celui qui gouverne l'Eglise, comment peut-il rester Pape en renonçant au gouvernement? Qu'est-ce qui donne, alors, le caractère pontifical, autrement dit: pourquoi est-il encore le Pape après l'abdication?

À ce propos, dans les Palais sacrés, ceux qui critiquent les propos de Mgr Gänswein ne manquent pas. Des mots qui ouvrent des fronts très chauds, et pour lesquels quelques éclaircissements seraient souhaitables. Parce que, disent les critiques, le ministère pétrinien est un, le Pape est un. Et Benoît XVI n'est pas Pape, parce qu'il n'y a pas de munus pétrinien qui puisse être élargi de quelque façon que ce soit.