Il n'y a qu'un seul Pape


Des réactions tardives au discours "explosif" de Mgr Gänswein lors de la présentation d'un livre sur Benoît XVI. Dont celle du Père Scalese (11/6/2016)

>>> Dossier:
Une nouvelle conception du ministère pétrinien?



Les propos "explosifs" du secrétaire de Benoît XVI, le 21 mai dernier (Le pas historique du 11 février 2013) ont sucité des réactions, mais au compte-gouttes. Les "spécialistes", ou présumés tels, du Vatican et de la papauté s'en sont-ils désinteressés parce qu'ils n'en ont pas saisi l'importance? Ou parce qu'ils ont décidé d'archiver Benoît XVI, qui les dérange? Ou encore, par un mécanisme d'auto-censure, dû à la peur (peur du Pape actuel? peur de nuire à la foi catholique? peur de se distancier du troupeau?) Difficile de trancher.
En tout cas, trois semaines après, trois réactions me sont passées le même jour sous les yeux: Maurizio Blondet (1), George Weigel et le Père Scalese.
Les deux premiers, quoiqu'aux antipodes sur l'échiquier politico-ecclésial (l'un, conservateur de la mouvance "theocons", l'autre, de sensibilité traditionaliste-complotiste) se trouvent d'accord pour affirmer qu'il ne peut y avoir deux Papes (ce qu'on ne peut certes pas contredire!) mais aussi malheureusement pour tomber sur Benoît XVI à bras raccourcis. Weigel critique sans élégance, avec l'arrogance.... typique des américains, (cf. Antonio Socci sur sa page Facebook), son choix de conserver le nom et une partie des attributs du Pape au lendemain de sa renonciation car le seul Pape est François. Et Blondet ressasse la légende noire du Ratzinger "moderniste", 'peritus' au Concile Vatican II, tout en soutenant que le vrai Pape est Benoît. Je les trouve bien catégoriques et bien présomptueux, traitant d'une matière aussi complexe et qui reste en grande partie entourée du mystère propre aux choses qui touchent au Sacré. Mais cela semble le lot de Benoît XVI, d'être la cible des attaques même dans ses silences.

Le Père Scalese, de son côté, sur son blog (qui a changé de look et de nom, le pittoresque "Senza peli sulla lingua" des débuts ayant été troqué pour un vers de Virgile "Antiquo Robore", explication ICI) revient sur l'interview qu'il avait accordée à La Bussola Quotidiana (cf. Georg Gänswein en a-t-il trop dit?)

Tertium non datur (2)


Père Govanni Scalese CRSP
Antiquo Robore
10 juin 2016
Ma traduction

* * *

Il y a quelques semaines j'ai été interviewé par La Nuova Bussola sur les déclarations faites par Mgr Georg Gänswein le 21 mai 2016 lors de la présentation du livre de Roberto Regoli "Oltre la crisi della Chiesa. Il pontificato di Benedetto" (cf. Georg Gänswein en a-t-il trop dit?).
Comme il fallait s'y attendre, Antonio Socci s'est jeté tête baissée sur le discours avec une série de commentaires publiés sur [le quotidien] Libero et sur son site (voir en particulier, le 22 mai ICI). Mon interview a été publiée sur La Bussola le 25 mai. Je pensais que désormais, le débat s'était calmé, mais avant-hier, Maurizio Blondet est revenu dessus, faisant entre autre brièvement état de mon interview (je me pose la question: n'y a-t-il pas eu dans l'intervalle, d'interventions plus autorisées que la mienne sur la question?) [3]

Dans l'interview, j'avais répondu aux questions de la seule manière possible: «Il n'y a qu'un seul Pape»; j'avais qualifié certaines déclarations de Mgr Gänswein d'"excessive" et j'avais liquidé la prétention que la renonciation au Pontificat de la part de Benoît XVI fût «un renouvellement et un renforcement du ministère pétrinien» comme étant «tout simplement absurde».

Je m'étais déjà occupé de l'affaire du pape émérite sur ce blog le 10 Mars 2013 (traduction: benoit-et-moi.fr/2013-I).
Plus de trois ans se sont écoulés, mais aujourd'hui, je réécrirais la même chose. Tout au plus, j'ajouterais une précision (qui me semble importante, et que j'avais faite à la Bussola, mais qui n'a pas été publiée): personnellement, je ne considèrerais pas le "Pape Émérite" comme une «nouvelle institution» (une expression utilisée d'abord par le pape François [4] puis reprise par Mgr Gänswein dans son discours). Je ne suis pas canoniste, mais je ne pense pas que le concept d'"institution" puisse être appliqué au pape émérite (de même qu'on ne peut pas l'appliquer aux évêques émérites): la papauté est une institution; "Pape Émérite" est juste un titre honorifique, sans aucune valeur juridique. Le canon 185 énonce: «Le titre d'émérite peut être conféré à la personne qui perd son office en raison de la limite d'âge ou par renonciation acceptée» (notez qu'on perd la charge et que le titre est conservé) [5]

J'ai dit que j'avais répondu aux questions de la seule façon possible, suivant les sains principes de la logique, de la théologie et du droit. Mais cela ne signifie pas que les paroles du Préfet de la Maison pontificale n'aient été, et restent encore, même pour moi, en rien rassurantes.
Que voulait dire Mgr Gänswein?
D'un point de vue canonique et théologique, ses déclarations sur «la dimension collégiale et synodale» du munus petrinum, sur le «ministère en commun» ou «élargi» avec un membre actif et un contemplatif, ne tiennent pas debout. Mais certains ont voulu y voir une sorte de langage codé, utilisé pour nous dire que Benoît XVI est encore Pape, le Pape effectif.

Personnellement, je ne suis pas accoutumé aux messages codés et je préférerais qu'on appelle pain le pain et vin le vin («Que votre parole soit “oui”, si c’est “oui”, “non”, si c’est “non”. Ce qui est en plus vient du Mauvais», Mt 5:37). Mais je comprends que, s'il y avait eu quelque motif très grave qui aurait en quelque sorte forcé Benoît XVI à démissionner, il est évident qu'on ne peut pas le dire ouvertement. Mais alors, à mon avis, il serait préférable de garder le silence et de ne pas se livrer à des digressions pseudo-théologiques, qui ne servent qu'à créer de la confusion (comme s'il n'y en avait pas assez ...).

Pour être honnête, il y a un passage du discours de Mgr Gänswein qui me semble particulièrement inquiétant:

«Il n'est pas nécessaire que je m'arrête ici sur la façon dont lui [Benoît XVI], qui avait été tellement frappé par la mort subite de Manuela Camagni, plus tard, a également souffert de la trahison de Paolo Gabriele, qui était aussi un membre de la même "famille pontificale". Et pourtant, il est bon que je dise très clairement une fois pour toutes que Benoît, à la fin, n'a pas démissionné à cause du malheureux et mal conseillé camérier, ou à cause des "friandises" en provenance de son appartement, qui dans ladite "affaire Vatileaks" circulèrent à Rome comme de la fausse monnaie, mais furent prises par le reste du monde comme d'authentiques lingots d'or. Aucun traître ou corbeau, aucun journaliste, n'auraient pu le pousser à cette décision. Ce scandale était trop petit pour une chose aussi grande, et encore plus grand le pas mûrement réfléchi, d'une importance historique millénaire, que Benoît XVI a accompli.»


Nous sommes tous convaincus que le pape Benoît n'a pas démissionné à cause de Vatileaks. Toutefois, écrire que «le scandale était trop petit pour une chose aussi grande», je le dis franchement, ne nous rassure nullement. Le pape Benoît avait justifié sa démission ainsi:

« Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, à diverses reprises, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l’avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien. Je suis bien conscient que ce ministère, de par son essence spirituelle, doit être accompli non seulement par les œuvres et par la parole, mais aussi, et pas moins, par la souffrance et par la prière. Cependant, dans le monde d’aujourd’hui, sujet à de rapides changements et agité par des questions de grande importance pour la vie de la foi, pour gouverner la barque de saint Pierre et annoncer l’Évangile, la vigueur du corps et de l’esprit est aussi nécessaire, vigueur qui, ces derniers mois, s’est amoindrie en moi d’une telle manière que je dois reconnaître mon incapacité à bien administrer le ministère qui m’a été confié».
('Declaratio' du 11 Février 2013).


Honnêtement, dans cette justification, je ne vois rien de «grand»; et même, elle me semble elle aussi très «petite» dans le sens de très humaine, pratique, concrète. Qu'on ne se méprenne pas: il s'agit d'une justification très compréhensible et très respectable, mais aussi qui reste humaine, dépourvue des dimensions métaphysiques («le pas mûrement réfléchi, d'une importance historique millénaire») que Mgr Gänswein lui attribue..

Si au contraire, en qualifiant le scandale Vatileaks de «trop petit», on avait voulu insinuer l'existence de raisons plus graves qui auraient conduit le pape Benoît à renoncer, c'est une autre question, que je préfère ne pas prendre en considération.

Dans tous les cas, il faut garder à l'esprit que:

a ) si (et je souligne SI) la démission de Benoît XVI n'a pas été libre, elle n'est pas valide (can 332 § 2: «S'il arrive que le Pontife Romain renonce à sa charge, il est requis pour la validité que la renonciation soit faite librement et qu'elle soit dûment manifestée, mais non pas qu'elle soit acceptée par qui que ce soit»);
b ) si la démission de Benoît XVI n'est pas valide, tous les actes qui ont suivi sont à leur tour nuls;
c ) même dans un tel cas, cependant, le Pape continuerait d'être un seul.

Tertium (le pontificat collégial, synodal, partagé ou étendu, quel que soit le nom que vous lui donnez) non datur .

NDT


(1) Blondet, évoquant le démenti publié par le Vatican au nom de Benoît XVI à propos des affirmations du P. Dollinger (cf. Fatima, ferme démenti) écrit:
Benoît n'a pas pu écrire lui-même, directement, et avec ce ton insultant, le démenti à Dollinger. Il ne sait probablement rien de cette histoire (il est informé de bien peu de choses, nous le savons de source sûre).
???

(2) "Il n'y a pas de troisième solution".
En logique formelle, le principe du tiers exclu (ou « principe du milieu exclu » ou «principium medii exclusï ») soutient que la disjonction « p ou non-p » est nécessairement vraie pour toute proposition p. C'est à dire l'une ou l'autre parmi cette proposition p et sa négation non-p est vraie (wikipedia)

(3) D'opinion plus autorisée que celle du P. Scalese, il y aurait certes une réponse de Mgr Gänswein en personne, ou une réaction "officielle", de quelque cardinal - ils sont si bavards en d'autres occasions - voire de François lui-même, peu avare de ses commentaires sur les sujets les plus variés. Ou, encore plus haut, de Benoît XVI, si l'on s'en tient au démenti à Dollinger cité ci-dessus.

[4] Dans l'avion de retour de son voyage en Corée, le 18 août 2014, François répondait à une question d'un journaliste sur sa relation avec Benoît XVI

Nous nous voyons… Avant de partir, je suis allé le rencontrer. Et lui, deux semaines auparavant, m’avait envoyé un écrit intéressant : il demandait mon avis… Et nous avons une relation normale parce que je reviens à cette idée, qui ne plaît peut-être pas à l’un ou l’autre théologien - je ne suis pas théologien - : je pense que le Pape émérite n’est pas une exception, mais après tant de siècle, c’est le premier émérite. Pensons, oui, comme lui a dit : ‘‘J’ai pris de l’âge, je n’ai plus les forces’’. Cela été un beau geste de noblesse, et aussi d’humilité et de courage. Moi, je pense : il y a 70 ans, les Évêques émérites étaient aussi une exception, ils n’existaient pas. Aujourd’hui, les Évêques émérites sont une institution. Je pense que le ‘‘Pape émérite’’ est déjà une institution. Pourquoi ? Parce que notre vie s’allonge et, à un certain âge, il n’y a plus la capacité de bien gouverner, parce que le corps se fatigue ; la santé est peut-être bonne, mais il n’y a plus la capacité d’affronter tous les problèmes d’un gouvernement comme celui de l’Église. Et je pense que le Pape Benoît XVI a fait ce geste qui, de fait, institue les Papes émérites. Je le répète : peut-être l’un ou l’autre théologien me dira que ce n’est pas juste, mais moi je pense ainsi. Les siècles diront si c’est ainsi ou non, nous verrons. Vous me direz : ‘‘Et si vous, vous ne sentez plus la force, un jour, de continuer ?’’. Je ferais de même, je ferais de même ! Je prierai beaucoup, mais je ferais de même. Il a ouvert une porte qui est institutionnelle, et non pas exceptionnelle. Notre relation est fraternelle, vraiment. J’ai aussi dit que je le prends comme si j’avais le grand-père à la maison, pour la sagesse : c’est un homme plein de sagesse, avec les nuances, qu’il me fait du bien d’écouter. Et il m’encourage aussi beaucoup. Voilà la relation que nous avons avec lui.
(w2.vatican.va)

(5) Mais le canon suivant précise: «La perte d'un office due à l'expiration du temps déterminé ou à la limite d'âge ne prend effet qu'au moment où l'autorité compétente la notifie par écrit»... condition qui n'a évidemment pu être satisfaite.
Bref, on n'en sort pas