La CDF marginalisée



… et son préfet Gherard Müller mis sur la touche, le Pape lui ayant préféré le très «bien en cour» cardinal Schönborn pour présenter Amoris Laetitia. Telle est la façon de gouverner de François (23/4/2016)



Isabelle a trouvé deux articles très intéressants de Giuseppe Nardi sur «la mise à l'écart des cardinaux Ouellet et Müller, et de manière plus générale le remplacement des rouages curiaux par des réseaux parallèles pontificaux (on l'avait déjà vu pour les motu proprio sur l'annulation des mariages et, auparavant, pour les nominations d'évêques, essentiellement en Amérique latine, qui ne résultent plus que du "bon plaisir du prince" ...) ».

Voici le premier volet, celui concernant la marginalisation du cardinal Müller, et plus largement, de la CDF, dont le récent symptôme le plus apparent est le choix du cardinal Schönborn, plutôt que celui du préfet de cette même CDF, pour présenter l’exhortation apostolique "Amoris Laetitia" – alors que le dicastère qu’il dirige est le premier concerné.
Ce qui met en évidence la façon de gouverner de François (en forme de pied-de nez à la collégialité tant vantée et si prisée... en paroles!):

Le pape François laisse en place les structures et les personnes, les laisse faire leur travail avec zèle mais les ignore en fin de compte. Une manière efficace inattaquable de garder la main sur les adversaires tout en les neutralisant.

Le pape François et la marginalisation de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi


Giuseppe Nardi
www.katholisches.info
20 avril 2016
Traduction d'Isabelle

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(Rome) Dans son premier entretien avec l’athée Eugenio Scalfari, paru le 1er octobre 2013 dans le quotidien La Repubblica, le pape François, qui visait quelques membres de la curie romaine, déclarait : « Les courtisans sont la lèpre de la papauté ». François, toutefois, semble bien « combattre plutôt les lépreux que la lèpre », commente Secretum meum mihi. Le journal Il Foglio titrait en première page de son édition d’hier : « Müller assiégé ».

Schönborn plutôt que Müller
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« Tous » reconnaissent la distance qui existe entre le pape et le préfet de la CDF, le cardinal Gerhard Müller. « Le froid est devenu évident » lorsque le prélat allemand s’est vu exclu de la présentation de l’exhortation post-synodale Amoris Laetitia, alors que, depuis deux ans et demi, toute la discussion touche à son domaine de compétences à la CDF. Le pape François est resté, il est vrai, dans la sphère germanophone, en faisant présenter l’Exhortation par l’archevêque de Vienne, le cardinal Christophe Schönborn.

Et cela n’était pas seulement une forme de relégation mais, plus encore, une mesure de prudence. Car le cardinal Müller aurait marqué Amoris Laetitia d’une empreinte que le pape ne souhaitait pas, après tant de patients efforts pour « catholiciser » en quelque manière le divorce.

Puisque les « ouvertures » souhaitées étaient insérées sous forme de notes infrapaginales d'allure technique, la présentation jouait un rôle crucial pour leur application. Au préalable, tous les diocèses avaient reçu des recommandations à cet égard. Il était donc clair que la présentation romaine, la plus importante de toutes, était préparée avec le plus grand soin.

Le rôle principal y revenait à l’archevêque de Vienne, qui devait expliquer la teneur du texte. Du cardinal Müller, pas de trace ! Il en était déjà ainsi lors du double synode : il suffit de penser au choix des personnes lors des conférences de presse quotidiennes. La partialité avec laquelle des kaspériens étaient invités à ces conférences a semé la perplexité parmi les pères synodaux.

Des positions diamétralement opposées
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Bien que les questions controversées du divorce, du remariage et de l’accès à la communion des divorcés remariés concernent directement la doctrine de la foi, son préfet fut tenu à l’égard de tous les événements médiatiques où l’Eglise communiquait avec le monde entier. « Le fait est que le cardinal tient, sur ce thème, une ligne diamétralement opposée à celle de François », selon Matteo Matzuzzi dans Il Foglio. Il suffit, ajoute-t-il « de comparer les écrits de Müller avec les discours de Bergoglio ». Alors que Müller souligne la nécessité de confirmer les points fondamentaux « sains » de l’enseignement de l’Eglise, François n’arrête pas de parler d’une miséricorde qui dépasse la loi.

L'opposition des points de vue se révèle dans le paragraphe 311 d’Amoris Laetitia, où François écrit :

« Sans doute, par exemple, la miséricorde n’exclut pas la justice et la vérité, mais avant tout, nous devons dire que la miséricorde est la plénitude de la justice et la manifestation la plus lumineuse de la vérité de Dieu. C’est pourquoi, il convient toujours de considérer que « toutes les notions théologiques qui, en définitive, remettent en question la toute-puissance de Dieu, et en particulier sa miséricorde, sont inadéquates ».

Le préfet de la CDF avait, à l’automne 2013 déjà, présenté à l’avance sa réponse dans le Tagespost , réponse reprise le 23 octobre de la même année par l’Osservatore Romano :

« Tout l’ordre sacramentel est une œuvre de la divine miséricorde et ne peut pas être révoqué en faisant appel à cette même miséricorde. À travers ce qui est objectivement un faux appel à la miséricorde, on court de plus le risque d’une banalisation de l’image de Dieu, selon laquelle Dieu ne pourrait rien faire d’autre que pardonner. Au mystère de Dieu appartiennent, outre la miséricorde, également sa sainteté et sa justice. Si l’on occulte ces attributs de Dieu et que l’on ne prend pas au sérieux la réalité du péché, on ne peut finalement pas non plus communiquer sa miséricorde aux hommes. Jésus a rencontré la femme adultère avec une grande compassion, mais il lui a aussi dit : « Va, ne pèche plus » (Jn 8, 11). La miséricorde de Dieu n’est pas une dispense des commandements de Dieu et des instructions de l’Église. Elle accorde plutôt la force de la grâce pour leur accomplissement, pour se relever après la chute et pour une vie de perfection à l’image du Père céleste.»

On ne retrouve rien de cela dans Amoris Laetitia.

Les corrections de la CDF sont restées lettre morte
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Si le pape François a bien soumis le projet de texte à l’examen de la CDF, comme il est d’usage au Vatican, il n’a tenu compte que d’une partie des nombreuses propositions de corrections préparées sous la direction de Müller. Le pape François laisse en place les structures et les personnes, les laisse faire leur travail avec zèle mais les ignore en fin de compte. Une manière efficace inattaquable de garder la main sur les adversaires tout en les neutralisant.

Cette marginalisation de la CDF lors de l’élaboration et de la présentation d’un document pontifical si attendu ne concerne pas seulement le document post-synodal.

« Cela entraîne que, plus d’un, de l’autre côté du Tibre, se risque à parler de la possibilité, d’un remplacement à la tête de la Congrégation, mais peut-être pas à brève échéance », toujours selon Matzuzzi. Des bruits courent, selon lesquels Müller pourrait lui-même céder la place du fait de sa mise à l’écart. Seuls ceux qui ne le connaissent pas peuvent attribuer au Cardinal une pareille fuite devant ses responsabilités. Müller sait, précisément à cause de sa mise à l’écart, combien il est important qu’il reste au Vatican pour empêcher la cour formée par François de se rendre maître de toute l’Eglise.

Schönborn « est un grand théologien » – et Kasper « fait de la théologie à genoux »
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Lors du vol qui le ramenait de l’île de Lesbos, François l’a dit sans détours : Schönborn « est un grand théologien ». Et pour donner un poids supplémentaire à son affirmation, d’ajouter : « Il est membre de la CDF ».

Le cardinal Müller n’est pas seulement membre, mais préfet de la CDF. Mais pour lui, jamais François n’a eu de telles paroles de louange. Tout au contraire : s’il y eut bien un éloge comparable, ce fut pour un autre cardinal allemand, l’ancien adversaire de Ratzinger, Walter Kasper, qui, aux dires du pape, fait « de la théologie à genoux ». Kasper et Schönborn sont prêts, tous les deux, à administrer le sacrement de communion aux divorcés remariés. A Vienne, c’est déjà la praxis « depuis » 15 ans, a fait savoir l’archevêque autrichien lors de la présentation d’Amoris Laetitia à Rome. Cela explique pourquoi c’est Schönborn et pas Müller qui fut désigné pour cette présentation.

Pour le moment, le Cardinal Schönborn a la faveur du pape. Une faveur qui peut très vite changer en fonction du thème et du moment. Il n’empêche, l’archevêque de Vienne peut se considérer comme le vainqueur du synode des évêques. Le cardinal Kasper a jeté le filet, le cardinal Schönborn a ramené le poisson. Avec son habileté diplomatique il a aidé le pape à sortir de l’impasse le synode dans sa phase finale, lorsque François risquait d’être mis en minorité lors du vote final. Un désaveu évident, sans précédent dans l’histoire de l’Eglise, en tout cas dans son histoire récente.

Schönborn a présenté le compromis, auquel Müller a finalement donné son accord, pour éviter une scission de l’Eglise, mais sans cacher ses réserves quant à l’ambigüité de la formulation. Des pères synodaux ont remarqué la satisfaction visible de Kasper à chaque vote de Müller favorable aux paragraphes controversés.

Sur quoi va déboucher le pontificat de François ?
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Dans son dernier livre, Müller présente sa position sans ambigüité et s’adresse directement aux clercs et aux laïcs. Une forme plus directe de l’exercice de sa fonction, puisque le pape François neutralise son action à Rome. Müller a donné dans son livre plus d’une précision importante. Voici l’une d’entre elles :

« Nous, catholiques, n’avons aucune raison de célébrer le 31 octobre 1517. »

Bien que le pape François ne soit pas mentionné, on ne peut pas ne pas entendre le mécontentement pour l’attitude du pape sur un autre front Le 31 octobre prochain, François prendra l’avion pour Stockholm pour participer à une commémoration œcuménique de la Réforme.

Peut-être les deux fronts de la Réforme et du divorce ne sont-ils pas si éloignés . La commémoration pontificale de la Réforme et le premier pas vers la reconnaissance du divorce sont reliés par un fil commun : le protestantisme. Comme Allemand, le cardinal Müller est particulièrement sensible à cette question et se sera déjà posé la question : sur quoi va vraiment déboucher ce qui est en route à Rome depuis 3 ans ?