La stratégie de François


"Affirmer la doctrine, trouver des exceptions, faire appel à la conscience": Edward Pentin, le vaticaniste très modéré du National Catholic Register, tente de tirer des enseignements des propos tenus par le Pape le 17 février -l'affaire des "religieuses du Congo". (27/2/2016)

La conscience est en train de devenir l'un des mots-clés de ce Ponfificat, avec la miséricorde. Tous deux orientés à la même fin, faire passer la "pastorale" avant la doctrine.

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Edward Pentin reprend l'article de Sandro Magister (qui a dû être sa source d'information) et le complète, en précisant que "le Vatican" n'a pu répondre à aucune de ses questions sur l'existence de documents émanant de Paul VI, donnant crédit à la thèse d'une quelconque autorisation à l'usage de contraceptifs.

Il semble qu'il se dessine, même parmi les plus modérés des commentateurs, un sentiment de doute par rapport au Pontificat. Sentiment qui est très éloigné d'une quelconque volonté d'"apprendre au Pape à faire le Pape" (comme certains le disent par dérision), mais qui exprime le désarroi face à des ruptures de plus en plus flagrantes avec la Tradition et avaec les pontificats précédents.

Affirmer la doctrine, trouver des exceptions, faire appel à la conscience
Est-ce le modus operandi du pontificat pour l'introduction d'innovations pastorales controversées?


Edward Pentin
www.ncregister.com
26 février 2016
Ma traduction


La controverse sur le cas exceptionnel d'administration de contraceptifs aux religieuses confrontées à un risque sérieux de viol durant la guerre civile des années 1960 au Congo met l'accent sur un "modèle" de ce pontificat, consistant à introduire des approches pastorales nouvelles ou exceptionnelles qui donnent la primauté à la conscience, tout en prétendant affirmer la doctrine de l'Église.
C'est une approche qui pourrait être utilisée pour promouvoir de nouvelles pratiques pastorales dans la très attendue exhortation apostolique post-synodale du Saint-Père, attendue avant Pâques.

Sur l'avion de retour du Mexique la semaine dernière, François a souligné que l'avortement est «un crime, un mal absolu» , mais il a poursuivi en expliquant que le «moindre mal» - éviter une grossesse - «n'est pas un mal absolu».
Il s'est ensuite référé à la façon dont «Paul VI - le grand! - dans une situation difficile, en Afrique, a permis aux religieuses d'utiliser la contraception pour les cas de violence».
Il avait à l'esprit trois théologiens moraux respectés qui avaient exprimé leurs points de vue dans un article paru en 1961 dans la revue de l'Opus Dei "Studi Cattolici", qui étaient tous, à des degrés divers, favorables à l'administration de contraceptifs aux religieuses confrontées au risque grave d'être violées dans le Congo déchiré par la guerre.
Dans un commentaire à l'édition italienne de Radio Vatican deux jours plus tard, le porte-parole du Vatican le père Federico Lombardi a également réitéré la ferme condamnation de l'avortement par le pape. Il a ensuite affirmé qu'en ce qui concerne la référence du pape à la contraception, la question peut être laissée au «discernement de la conscience» dans des cas particulier «d'urgence et de gravités».
Il a dit que l'exemple Paul VI, de donner «l'autorisation d'utiliser la pilule» pour les religieuses «courant un risque continuel et grave de viol par les rebelles, au Congo» rendait évident que ce n'était pas dans «une situation normale que cela avait été pris en considération».

Mis à part les problèmes moraux posés en présentant l'affaire dans ce contexte, il n'y a aucune trace d'une permission donnée par Paul VI à cette exception, soulevée la première fois au cours du pontificat de saint Jean XXIII. Elle n'est pas non plus mentionnée dans Humanae Vitae , indiquant que Paul VI a considéré ce cas incompatible avec l'encyclique de 1968.
Et malgré que l'affaire du Congo soit passée à travers le Saint-Office (aujourd'hui Congrégation pour la Doctrine de la Foi), il semble n'y avoir aucun document magistériel ultérieur confirmant la légitimité d'une telle exception. Le Vatican n'a répondu à aucune question du <National Catholic Register>, demandant s'il existait un document magistériel affirmant l'exception du Congo.

Mettant de côté les questions relatives à la nature officielle de l'affaire, l'approche du pape et du père Lombardi sur cette question est un modèle d'innovations pastorales controversées flottantes - qui selon les détracteurs s'opposent à l'enseignement de l'Eglise -, en soulignant fermement un élément de doctrine et en présentant ensuite des cas exceptionnels qui mettent en évidence la primauté de la conscience.

Dans ce cas le plus récent, le mal de l'avortement a d'abord été souligné, puis suivi par le «moindre mal» d'éviter la grossesse, ce qui, comme le P. Lombardi devait le confirmer ensuite, implique l'utilisation de contraceptifs, avant de dire qu'elle [l'utilisation] devrait être laissée au «discernement de conscience» dans les cas de particulères «urgence et gravité».

D'autres exemples de cette approche sont les commentaires du Pape aux luthériens de Rome, l'an dernier. Le Pape a souligné qu'il existe «une seule foi, un seul baptême, un seul Seigneur», avant de dire à une femme luthérienne mariée à un catholique que l'intercommunion «est un problème auquel chaque personne doit répondre» et qu'elle devrait «parler avec le Seigneur et aller de l'avant».

Une tendance similaire a été observée dans le rapport final du Synode de l'an dernier sur la famille: le ferme enseignement du Pape Jean-Paul II, de refuser la communion aux divorcés civilement remariés a été réaffirmé (bien que certains passages cruciaux aient été omis), avant de souligner ensuite l'importance du «for interne» - en d' autres termes, la formation de la conscience, avec un prêtre - pour arriver à un «jugement correct sur ce qui entrave la possibilité d'une plus grande participation à la vie de l' Eglise». Certains critiques, notamment le cardinal Raymond Burke, ont dit que les paragraphes correspondants manquaient de clarté. D'autres, dont le cardinal Walter Kasper, ont affirmé que le document «ouvrait la porte» à la communion pour les divorcés remariés.

Souligner l'importance de la doctrine et affirmer qu'elle ne serait pas modifiée a été le refrain à la mode parmi les organisateurs du synode, mais c'était aussi une façon de mettre l'accent sur la conscience, qui est devenue la question la plus controversée dans le projet de document final de l'Assemblée. Lors du synode, Mgr Blaise Cupich, de Chicago, a été l'un des plus importants Pères synodaux, à souligner la primauté de la conscience pour les homosexuels et pour les divorcés remariés. Ceci en dépit des papes du passé, arguant que la conscience ne devrait pas être la seule, ni même la plus importante catégorie pour la doctrine morale.

En parlant à des journalistes sur le chemin de retour du Mexique, le Pape pourrait bien avoir simplement mal compris le contexte de l'affaire Congo et l'avoir appliqué à tort au virus Zika, alors qu'il n'était pas vraiment adapté.
Mais il ressort également des références passées à l'affaire du Congo au cours des dernières décennies, qu'elle a également été utilisé par les opposants à l'enseignement d'Humanae Vitae .

Dans la défunte revue "30 giorni" (30 Jours), Gianni Valente, son ex-rédacteur en chef et aujourd'hui l'un des conseillers sur les médias les plus proches de François, a écrit en 1993 que l'affaire du Congo était devenus l'un des «arguments de bataille pour ceux qui préconisent l'abandon de la position catholique traditionnelle» telle qu'elle figure dans Humanae Vitae (L'extrait est cité dans par Andrea Tornielli dans son livre de 2014: "Paolo VI: Il Papa di Francesco").
«Les arguments utilisés dans un cas extrême ont été immédiatement étendus à d'autres situations» ajoutait Valente, «et à chaque fois, l'attaque au principe fondamental du caractère intrinsèquement négatif de la pratique contraceptive a commencé».

Le pape peut, ou peut ne pas avoir été au courant de cela, dans sa tentative de trouver ce qu'il considérait comme une solution pastorale compatissante. Mais quoi qu'il se cache derrière l'évocation de l'affaire, sa présentation devient familière: affirmer la doctrine, puis mettre en évidence des cas ou des exceptions extraordinaires à la règle, et, si possible, faire appel à la primauté de la conscience.