Le cadeau du Corriere à Benoît


pour l'anniversaire de son ordination: une longue "évaluation" du Pontificat par Andrea Riccardi, le fondateur de Sant'Egidio, se basant sur le livre "Oltre la crisi della chiesa" (30/6/2016)

 

Je suis tombée sur cet article (que je n'aurais pas vu sinon) grâce au blog de Raffaella. Un lecteur signalait le roboratif "cadeau d'anniversaire" du premier quotidien italien (au moins par le tirage), Il Corriere della Sera, à Benoît XVI. Un cadeau signé Andrea Riccardi, fondateur du mouvement Sant'Egidio aujourd'hui (sans surprise!) fervent supporter de François.
On se souvient peut-être qu'il était l'autre intervenant à la présentation du livre de Roberto Regoli "Oltre la crisi della chiesa", où Mgr Gänswein a fait la déclaration percutante que l'on sait sur la nouvelle conception du munus pétrinien inaugurée avec la démission de Benoît XVI.
Le texte publié par Il Corriere est-il l'exposé qu'il fit alors? L'article ne le précise pas, mais tout le laisse supposer - et si ce n'est pas le cas, étant donné le sujet commun, il en est certainement très proche.
On peut aussi se demander à quel titre et POURQUOI Riccardi était l'invité de prestige, à l'instar du Secrétaire, à un évènement en l'honneur de Benoit XVI (eh oui!) puisque son exposé est presque entièrement négatif, malgré quelques concessions mielleuses qui ne doivent tromper personne. Ce qui ressort de la lecture, c'est: Benoît XVI (un intellectuel de haute volée et un homme bon et doux, voilà pour le "miel") a échoué sur toute la ligne.

Pour le compte de QUI Riccardi était-il là? S'agissait-il de contrebalancer les éloges du secrétaire du Pape émérite, lui opposant (flatteusement) son successeur? Ou de dégonfler le "mythe" du groupe de Saint Gall, dénoncé par Georg Gänswein et admis par Danneels lui-même?

Pour en revenir à l'internaute intervenant sur le blog de Raffaella, il y reproduisait le commentaire (évidemment censuré) qu'il avait posté sur le Corriere. Il y écrivait (entre autres amabilités....)
«Quand des gens comme vous quitteront la scène de l'Eglise, on pourra enfin à nouveau parler simplement de Benoît XVI.» (*)

C'est ce qui m'a poussée à traduire l'article, malgré sa longueur. Involontairement, il répond à certaines questions qu'on se pose sur la déloyauté dont Benoît XVI a dû souffrir des milieux les plus proches de la haute hiérarchie de l'Eglise.
J'ai rajouté des sous-titres, et quelques miens commentaires en italique dans le texte.

Ratzinger n'a pas été un gendarme.
Réévaluons (**) un pontife dénaturé


Andrea Riccardi
29 juin 2016
www.corriere.it
Ma traduction

* * *

Un portrait de Benoît XVI, pour le 65e anniversaire de son ordination sacerdotale, à partir du livre de Roberto Regoli "Au-delà de la crise de l'Eglise"

REGRET DU NON ACCÈS AUX ARCHIVES

Nous devons remercier Roberto Regoli, qui, avec son livre sur le pontificat de Benoît XVI "Oltre la crisi della Chiesa", nous amène à réfléchir sur une transition décisive du monde catholique dans notre XXIe siècle. Je ressens une certaine gêne à traiter de personnes vivantes, si proches, dont certains présents. Il arrive que l'historien contemporain soit défini comme "journaliste" (parfois de manière peu flatteuse), mais ici nous sommes vraiment à une distance très proche des événements, seulement trois ans après la fin du pontificat. Indubitablement, Regoli a montré non seulement de l'équilibre dans le traitement du sujet, mais aussi beaucoup de courage.
Il est également significatif que certains documents soient disponibles grâce à la fuite d'informations provenant des salles du Vatican (et cela constitue déjà un fait) ou aux interceptions de sources américaines (bien que j'ai quelques doutes quant à la fiabilité de ce type de source). Mais, pour le reste il n'y a pas d'accès aux sources. Et, d'autre part, je n'ose espérer l'ouverture des archives du pontificat de Benoît XVI, bien que je reste convaincu que la fermeture des Archives du Vatican pendant si longtemps porte préjudice à l'enquête historique, mais est aussi un mal pour l'institution vaticane et ecclésiale, qui devient l'histoire - mettant un terme aux questions - sans pouvoir se documenter sur des fonds essentiels d'archives. Mais il faut admettre cette réalité, l'histoire des pontificats contemporains est faite sans consulter les archives du Vatican. Avec son ouvrage Roberto Regoli va au-delà de cette problématique, écrivant une histoire si contemporaine qu'elle est toute proche: une histoire du temps présent.


LE PAPE ET L'HOMME

Avec le geste de sa démission, le pape Ratzinger a fait un acte de grande humilité. Beaucoup l'ont critiqué et jugé. Ce faisant, il s'est soumis à la critique historique et historiographique, ainsi que des opinions et des humeurs de tous. Parler de lui, c'est traiter des grands chapitres de son gouvernement, du magistère (comme le fait très bien Regoli), mais aussi de l'homme et de son caractère.
Par tradition séculaire, l'homme-Pape se cache et se confond avec le pontificat, aussi parce que l'accès à la personne du Pape est en quelque sorte protégée et filtrée. Il y a des pages sur Pie XII en ce sens: les diplomates accrédités au Vatican notèrent une transformation dans le passage de secrétaire d'État à pape, comme une identification avec le nouveau rôle. Paul VI lui-même, bien que les réflecteurs médiatiques fussent fixés sur lui, était à bien des égards caché sous la papauté. Le détachement de la terre d'origine et de l'environnement est un exemple clair de cette dissimulation. Pie XII parlait aux Italiens en disant «votre patrie» et Paul VI n'est jamais retourné à Brescia. Le «nous» de majesté symbolisait simplement cette dissimulation de la personne.

Avec Wojtyla, nous pouvons dire que le "je" entre ouvertement dans le pontificat: la terre natale, la personnalité, le caractère, les jeunes années ... Il change de manière irréversible la relation entre l'homme et la papauté, qui ne se cache plus, ou ne protège plus la personne du Pape. C'est pourquoi nous devons parler du caractère de Ratzinger, si important dans ses choix: de sa timidité et de sa réserve professorale. Je dirais que Benoît XVI est le premier pape dont l'humanité a été sondée et jugée sans aucun écran.
l faut toutefois noter que l'homme Ratzinger, devenant pape, s'est profondément transformé au contact des personnes - inhabituel pour lui - devenant affectueux, populaire, paternel (ndt: cette vision est évidemment fausse, et méconnaît totalement la personnalité de Joseph Ratzinger. Juste après l'élection, j'ai "enquêté" sur lui dans sa Bavière natale et tous les témoignages que j'ai entendu de vive voix, ou lu à travers des traductions-maison d'articles et de biographies locales affirment l'exact contraire). Ce n'est pas peu, et même cela en dit long sur le "sens du devoir" qui a accompagné son gouvernement. C'est ce sentiment de responsabilité qui lui a fait accepter l'élection en tant que pape, qu'il ne voulait pas , mais à laquelle il ne s'est pas soustrait.
A la fin, le Pape timide a pris une décision qui a nécessité un courage inouï, contre l'avis de ceux qui ont été consultés: abdiquer. Rien de plus ferme, a dit un jour Mgr Gänswein - que la fermeté des doux. Du reste, c'est le même courage que celui du livre-interview avec Seewald, la première du genre pour un pape.


LE CONCLAVE 2005 ET LE "DÉMONTAGE" CALCULÉ DU "MYTHE" DE LA MAFIA DE SAINT GALL

Je voudrais mentionner l'élection, par un collège de cardinaux dont la grande majorité ne s'était jamais réunie pour choisir un pape, en raison du long pontificat de Jean-Paul II, "Pape éternel", le Pape de toujours pour beaucoup d'entre nous. Jean-Paul II mort, les Cardinaux perdus et incertains se tournent vers le "petit frère" (ndt: comme si Benoît XVI, la colonne vertébrale dogmatique du Pontificat de JP II pouvait être réduit à cela!) du disparu, ferme dans la doctrine, son collaborateur, même s'il n'est pas aussi charismatique ... Ce fut un conclave très préparé, plus que ceux de Jean-Paul II, Montini, Roncalli ou Bergoglio. De cette "préparation" qui à certains parut excessive, naît un grand malentendu sur les motifs pour lesquels Joseph Ratzinger a été élu et sur son image comme Pontife.

Il a été élu par ceux qui voulaient assurer une relecture rigoureuse du pontificat de Jean-Paul II, qui avec son style charismatique et une spiritualité à la Soloviev (si je puis dire), laissait place à la possibilité d'être interprété de différentes manières, y compris très "ouvertes". Pensons, par exemple, à l'"esprit d'Assise" (ndt: Assise est une initiative dûe en grande partie à Sant'Egidio), l'expérience fortement voulue par Jean-Paul II, qui avait réuni en 1986, les dirigeants de toutes les religions pour prier pour la paix, dans un dialogue inter-religieux très élargi, et qui avait laissé perplexe le théologien Ratzinger.

Parmi les électeurs de Benoît XVI, on doit nommer López Trujillo, qui fut parmi les principaux organisateurs de la majorité au conclave, avec une intense activité d'entretiens. Le cardinal Martini raconte lui avoir entendu dire: «Je ne sais pas combien de déjeuners et dîners m'a coûté ce pape» (!!!).
Rien de scandaleux
(du reste, si les cardinaux étaient allés au conclave en ordre dispersé et sans aucune idée, ils auraient été également critiqués). Dans tous les cas, la préparation systématique fut l'expression de la volonté de voter pour un Ratzinger "gendarme de l'Église" - pour reprendre l'expression chère au cardinal Ottaviani, en d'autres temps.

Telle était l'image de Benoît XVI, que la presse lui attribuait: dur, non libéral, restaurateur ... (ndt: Riccardi devrait savoir mieux que personne que la présentation des médias, n'ayant rien à voir avec la réalité, mais tout à voir avec une campagne planétaire orchestrée, n'a pas la moindre valeur). Du reste, précisément avec López Trujillo, Ratzinger avait mené la lutte contre la théologie de la libération, par volonté de Jean-Paul II. Il est né comme "pape de la Restauration". L'homélie du cardinal Ratzinger, dans la Missa Pro eligendo Romano Pontifice le 18 avril 2005, semblait confirmer cette qualification: la petite barque de l'Eglise navigue dans la mer agitée du sécularisme et du relativisme, selon une vision de défi à la modernité séculière qui dure depuis deux siècles.

L'"opposition" est appelé "groupe de Saint-Gall" (mais la récente biographie, avec la confirmation du cardinal Daneels, montre l'exiguïté du groupe épiscopal de Saint-Gall). En réalité, le groupe était coordonné par le cardinal Silvestrini, un grand diplomate, qui ne participait pas au conclave pour limite d'âge, et portait en avant la figure du cardinal Martini. Et ici, il faut dire que les relations entre ce dernier et Ratzinger furent toujours de nette divergence sur les grandes questions, mais aussi de grande estime, comme le dit Ratzinger, dans le livre en l'honneur de l'archevêque de Milan: une relation entre professeurs aux idées différentes, mais qui se reconnaissaient mutuellement un haut niveau académique et culturel.
Je ne crois donc pas à l'hypothèse d'un transfert des voix du groupe Silvestrini, qui avait choisi Martini, sur le cardinal Bergoglio, mais sur Benoît XVI (à quelques exceptions près). On dit que Martini, jésuite lui-même, ne considérait pas Bergoglio comme étant à la hauteur de la tâche. Du mythe des "votes de Martini" transférés sur Bergoglio naît l'idée que l'élection de François serait en continuité avec l'hypothèse de Martini, formulée en 2005. Mais je crois que sans Benoît XVI et la démission, il n'y aurait pas eu François (ndt: bravo pour la perspicacité, nous n'y aurions pas pensé!!). Sur Ratzinger il y eut une large convergence de votes: Ruini l'appuya ultérieurement, extérieur au groupe Trujillo, probablement parce que considéré comme trop italien ou politique. La candidature alternative de Bergoglio, était au contraire celle d'un latino-américain, qui rassemblait les incertains et les adversaires de la solution Ratzinger. Il ne s'agissait pas d'un bloc organisé, comme le montre bien Regoli.

La grande équivoque de l'élection de Benoît XVI fut la dure image du pape élu comme "gendarme de l'Église", vite démentie par les faits. A juste titre, Regoli écrit: «Il veut convaincre et non pas imposer. Ici apparaît une caractéristique de Ratzinger, qui est à la fois la force et la faiblesse de son pontificat». Sa force "gentille" est un magistère articulé et convaincant, soigneusement examiné dans le livre de Regoli, mais qui je crois méritera à l'avenir une étude plus approfondie, également théologique. Ratzinger se révèle l'homme de la grande tradition, argumenté, clair, qui veut être persuasif. Par certains aspects, ne correspondant pas à la figure de quelqu'un qui doit mettre de l'ordre dans la Curie, selon les aspirations de ceux qui l'avaient élu. S'il y avait en lui un désir d'ordre, il se plaçait au plan idéal et théologique.


TOUS LES "ÉCHECS" DE BENOÎT

1. L'"esprit d'Assise", cher à Jean-Paul II, comme cela a été dit, ne l'avait jamais convaincu; Ratzinger ne changea pas de vision, mais ne corrigea pas l'héritage de son prédécesseur. Il fit quelques interventions de clarification, en plus de se rendre à Assise en 2011 pour célébrer le 25e anniversaire de la rencontre de 86, assumant directement l'événement avec son style propre.

2. La réforme liturgique de Paul VI ne l'avait pas non plus vraiment convaincu, parce qu'il lui semblait archiver la tradition par un geste hâtif de gouvernement: il essaya de faire évoluer la liturgie à travers l'exemple de celle papale, proposée à l'Eglise, puis avec la reprise de la messe de Pie V (Regoli se demande si ce fut une concession aux lefebvristes, ou une intention personnelle de la réintroduire). Mais tout cela dans un style de réflexions théologiques et avec une méthode persuasive, et non pas impérative.
C'est justement la réforme liturgique qui avait été emblématique du style de gouvernement de Paul VI, celle d'un souverain éclairé et réformateur, qui ne renonce pas au "pouvoir du pape" , mais était conscient des oppositions présentes: «Un pape [émet une] bulle et l'autre "dé[fait la ]bulle; il faut faire vite», dit-il à Mgr Bugnini, secrétaire du Comité sur la liturgie de Vatican II, sur lequel vient de sortir une biographie en français. Montini avait une conscience claire de l'opposition interne de droite, et de celle, publique et bruyante, des progressistes.
Il suffirait de relire la lettre personnelle et sans défense de Benoît XVI aux évêques après l'affaire Williamson (Richard Williamson, évêque lefebvriste avait été réadmis dans l'Eglise catholique par le pape Benoît XVI, en dépit de ses déclarations niant l'Holocauste). «Mais c'est un pape, ça?» disait durement l'un des organisateurs de son élection, exprimant l'écart entre les raisons pour lesquelles il avait été élu et les choix du pape. Ratzinger déçut ceux qui l'avaient porté au trône, parce que - au-delà des choix spécifiques - il ne se prêta pas à l'oeuvre de restauration dans la direction voulue. Il ne fut pas un "gendarme".

3. Nominations
Ratzinger nomme majoritairement un personnel conservateur et sûr (parce que la clarté doctrinale lui semble la priorité), mais il choisit pourtant le cardinal Hummes, qui s'était déclaré en faveur de l'ordination des viri probati avant de venir diriger la congrégation du clergé. Il l'appelle comme collaborateur pour rapprocher l'Eglise brésilienne, qui avait vécu une crise dans les relations avec Rome à l'époque de Wojtyla (ndt: pour la théologie de la libération).

4. Un missionnaire (?) qui ignore le monde dans lequel il vit
Ratzinger ne peut pas être considéré comme un traditionaliste, si l'on regarde la profondeur théologique et culturelle de sa pensée. Il rend pourtant mécontents même ses partisans. En 1966, Joseph Ratzinger affirmait avec perspicacité: «Le Concile marque la transition entre une approche de conservation et une attitude missionnaire, et le concept conciliaire contraire à "conservateur" n'est pas "progressiste" mais missionnaire». Mais missionnaire dans quel monde? Et le pape contemporain ne doit-il pas être le premier missionnaire?

5. Le défi du relativisme
Ratzinger considère le laïcisme de l'Occident comme un scénario sur lequel agir pour réaffirmer l'horizon chrétien, où il veut presque réaliser l'opération qui porta Wojtyla à modifier les équilibres en Europe de l'Est: il veut affronter les Lumières avec les armes du dialogue. Il se place dans la continuité de la lecture par Jean-Paul II du sécularisme, que Wojtyla conquérait aussi avec son charisme. Ratzinger peut compter sur la sympathie des russes orthodoxes, qui ont une grande estime pour le pape de la tradition, et nous savons la disponibilité du patriarche Kirill à le rencontrer, si la démission n'avait pas coupé court à la chose.
Cette vision du sécularisme est une clé de lecture que François ne rejette pas complètement, mais intègre dans une vision de la modernité globale et liquide, dans laquelle les hommes et les femmes se trouvent perdus. Bergoglio sait que la culture, à laquelle Ratzinger s'était adressé, en grand (da grande?), l'affrontant de manière articulée - qu'on pense au discours aux Bernardins à Paris dans le sillage du livre de Jean Leclercq, Cultura umanistica e desiderio di Dio - ne fait pas bouger le monde, surtout dans la dynamique globale. L'évangile et le charisme sont au cœur du discours de François, et provoquent un renversement de la façon dont la papauté aborde la modernité et le sécularisme: la nouveauté est ici.

6. Il faudrait approfondir l'idée d'Église en tant que minorité : la "minorité créative" Ratzingérienne, celle du discours de Subiaco, n'est pas la même idée de minorité que celle du cardinal Danneels, minorité-lobby pour les valeurs non négociables. Mais ce n'est pas non plus l'idée d'Église du peuple de Bergoglio. Comment se rééalise l'idée d'Église propre au pape Benoît?


RATISBONNE ET SES SUITES

Mais revenons au thème central. Ratzinger commence par le malentendu de Ratisbonne, reconstruit très lucidement par Regoli: une citation savante devient une bombe, avec de graves conséquences pour la vie de certains chrétiens d'Orient. Mais le pape n'est-il pas seulement un intellectuel ou un professeur, quelle est l'importance de ses paroles? L'attaque médiatique internationale, très violente, testa la fragilité de la position du pape Ratzinger. On peut dire qu'à plusieurs reprises, à partir de Septembre 2006, il n'a plus été épargné: Benoît XVI a eu constamment contre lui la grande presse internationale, au moins jusqu'à sa démission. Je ne crois pas aux conspirations, mais il y a eu une dynamique de coïncidences et une synergie qui a montré comment, jusqu'à la démission, Ratzinger a été vu comme celui qui a "somatisé" la crise ou l'agonie du catholicisme. Pouvait-on aller au-delà de la crise? Oui, avec sa pensée et sa foi, il indiquait une route pour l'avenir de l'Eglise, mais sa figure elle-même devient la crise, au point de penser que le déclin était inhérent à cette saison de l'Eglise.


CARENCES DE GOUVERNEMENT.

Ajoutons à cela le problème du gouvernement. Le pape est scupuleux et son sens du devoir très fort: il suffit de penser aux nombreux voyages dans le monde d'un homme qui n'aimait pas voyager, faits avec soin et sérieux. Mais la machine curiale ne fonctionnait pas bien. Paul VI l'avait conçue après le Concile, renforçant la Curie romaine dans un catholicisme plus pluriel, associant les évêques, faisant de la Secrétairerie d'Etat l'axe du gouvernement, en un choix innovant. C'était la Secrétairerie dont Montini venait, et que, comme Pape, il mit sous sa dépendance directe, étant en pratique son propre secrétaire d'État, à travers l'action d'un fort substitut, Mgr Benelli. Paul VI, comme prince réformateur, voulait guider la réception conciliaire à travers les changements dans la Curie.

Mais le système vatican ne fonctionnait pas à la perfection. Les classes dirigeantes, à l'instar de celles des Etats européens, avec la baisse de niveau et la pénurie de vocations, se faisaient rares. Le gouvernement de Jean-Paul II avait été aussi très critiqué. Mais la réalité est qu'avec son charisme, Wojtyla suppléait aux problèmes de gouvernement. Benoît XVI n'est pas charismatique et dans la gestion de la Curie, rien ne lui a été pardonné, bien qu'il eût à son actif une importante et douloureuse opération de purification de l'Eglise des scandales sexuels, qui constituaient un problème majeur hérité des pontificats précédents. Du reste, comme on peut le voir aujourd'hui, la réforme du gouvernement du Vatican progresse lentement et il n'est pas facile de dessiner un profil différent de la Curie. Le gouvernement est déficitaire, mais le charisme compense (ndt: et Benoît XVI n'en avait pas!!!).

Un autre exemple est la diplomatie du Vatican: les Etats ne l'apprécient pas beaucoup (...) alors que dans le passé, pendant la guerre froide, elle était importante. Quand elle était dirigée par le cardinal Casaroli ou Mgr Silvestrini, et par le pape Wojtyla avec sa géopolitique prophétique, on avait couvert les vides d'un système diplomatique qui avait plusieurs lacunes. Qu'on pense à la question chinoise non résolue (malgré la belle lettre du pape Benoît aux évêques de Chine) et au départ de Mgr Parolin de la secrétairerie d'État (ndt: il a été de 2002 à 2009 sous-secrétaire de la section pour les relations avec les états de la secrétairerie d'État, càd une sorte de "ministre adjoint des Affaires étrangères du Saint-Siège" et a géré à ce titre les relations avec la Chine. En 2009, Benoît XVI l'a nommé nonce apostolique au Vénézuela). Du reste Benoît reçoit rarement les nonces (ndt: mais pas Bergoglio!).


BERTONE

Mais ce n'est pas seulement la diplomatie qui a des difficultés: le problème est la Secrétairerie d'État et la nomination critique du cardinal Bertone, qui ne provenait pas de la diplomatie. Mais le problème n'est pas seulement le cardinal Bertone. Sans une Secrétairerie capable, la Curie montinienne ne fonctionne pas. Regoli rappelle comment les amis de Ratzinger lui avaient demandé de changer de secrétaire d'État dans une démarche collective, mais lui l'avait défendu, le couvrant dans cette occasion et dans d'autres (mais le cardinal Casaroli affirmait que c'est le secrétaire d'Etat qui a le devoir de couvrir la couronne). Beaucoup pensent que ce choix a été tout simplement dicté par un désir de continuer à travailler avec un collaborateur de longue date comme le cardinal Bertone. Mais il y a plus.


DÉMISSION

Peu à peu, Benoît XVI, homme d'une intégrité cristalline, qui misait tant sur la parole et sur la persuasion, sur la communication familère dans l'Eglise, se rend compte qu'il est soumis à de fortes pressions et ne veut peut-être pas être réduit au pape penseur, qui laisse le gouvernement "personnel" aux autres. Ce n'est pas par hasard que la dernière enquête gardée secrète - mais transmise au nouveau pape François de manière bien visible - clôt son pontificat. Bertone lui avait semblé un moyen de défense pour éviter d'être submergé. Si cela doit être, si les forces manquent, si on a déjà dit et enseigné beaucoup de ce qu'on pouvait dire, pourquoi rester? D'où le choix de la démission qui éclairela force de l' homme, l'acceptation de l'ignominie du jugement de tous, en somme, son humilité et le fait de ne pas trahir sa mission.
Benoît XVI n'est pas l'image de la crise, de la fin du pontificat d'origine européenne, à l'instar de celui de nationalité italienne (au conclave de 2013, la possibilité d'un pape italien semble même avoir été pour beaucoup un cauchemar); ce n'est pas une parenthèse, même si sa figure ne s'impose pas.Il suffit de relire aujourd'hui ses textes et on est confronté à une pensée claire et profonde, pas unilatérale (pour ne citer que l'Exhortation apostolique courageuse sur la Parole de Dieu). Un Père de l'Eglise, et non pas un missionnaire ou un pape charismatique. Aujourd'hui, le pape peut-il être cela? (ndt: pour Riccardi, la réponse est évidemment non).


LA PAROLE REVIENT À L'HISTOIRE

L'homme Ratzinger n'a pas voulu s'imposer à l'histoire et à l'Église, il a parcouru le chemin de la douceur, de la foi et de l'intelligence. Il ne ressort pas de manière évidente, et là, l'histoire aura la tâche de mettre sa figure en relief. Un passage de Caritas in veritate m'a semblé autobiographique, quand il parle de «la présomption de devoir réaliser, en personne et par soi-même, la nécessaire amélioration du monde. En toute humilité, il fera ce qui est possible et en toute humilité, il confiera le reste au Seigneur. C'est Dieu qui gouverne le monde, pas nous. Nous lui prêterons notre service seulement pour ce que nous pouvons et aussi longtemps qu'il nous en donne la force. Mais faire ce que nous pouvons avec la force que nous avons .... ».

C'est la vision de celui qui s'est défini comme humble travailleur dans la vigne du Seigneur.
Remercions Roberto Regoli qui a eu le courage (???) et l'intelligence de commencer à écrire en historien sur cette figure.

NDT


(*) Signor Riccardi, lei e' un falso e questo suo articolo di cosiddetta "rivalutazione" del pontificato di Benedetto è una indicibile porcata di malafede e doppiezza. Quando gente come lei uscirà di scena dalla Chiesa, solo allora, finalmente si potrà di nuovo semplicemente parlare di Benedetto xvi. Fino ad allora si accontenti di fare la ola al suo beniamino Totem Bergoglio.

(**) Le titre dit déjà beaucoup; et Riccardi, loin de "réévaluer" minimise le Pontificat avec une condescendance insupportable, "coinçant" Benoît entre le "géant" Wojtyla" et le "prophète" François.