Le règne du mensonge (suite)


Au tour de Robi Ronza de dénoncer les manipulations médiatiques dans le traitement de l'information, avec encore la Syrie (ou comment une curieuse agence de relation publique "fabrique" le récit à l'asage du public) et la Pologne (5/10/2016)

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Le règne du mensonge



Manifestation des "femmes en noir" pour l'avortement à Varsovie, dimanche 2 octobre 2016

Syrie et Pologne,
voilà comment les médias déforment la réalité


Robi Ronza
5 octobre 2016
www.lanuovabq.it
* * *

L'actualité ne cesse de confirmer un fait crucial, qu'au contraire, trop souvent, les «non-experts" ne perçoivent pas ou sous-estiment: tant à l'échelle nationale que mondiale, l'ensemble du système médiatique a désormais sa propre orientation idéologique, raison pour laquelle elle reflète la réalité d'une façon durablement déformée. La machine médiatique est en somme un véhicule déséquilibré qui tend toujours plus vers la gauche (le mot étant entendu dans son sens actuel qui n'a souvent rien à voir avec le concept historique de «gauche»).

À titre d'exemple, arrêtons-nous ici sur deux cas récents.
Le premier est la guerre civile en Syrie. Une grande société internationale de relations publiques, 'Purpose' [*], a été chargée par 'quelqu'un' de diffuser dans le monde entier la sympathie pour la lutte armée contre le régime d'Assad. Étant donné que la crise de ce régime, et la guerre civile confuse qui a suivi, ont été provoquées à froid, des USA, par le président Obama, il faut en conclure que le patron occulte de la campagne de 'Purpose', ou bien est un riche ami d'Obama ou bien son propre gouvernement.

'Purpose' travaille bien et les résultats sont visibles. Qu'il suffise de dire qu'à la fois en Italie et ailleurs en Europe, tous les grands journaux et journaux télévisés utilisent comme source quasi-unique de leurs nouvelles sur la Syrie l'Observatoire syrien des droits de l' homme. Contrairement à ce que son nom très officiel et très «élevé» voudrait nous faire croire, l'Observatoire - qui est basé à Londres et bénéficie de financements du gouvernement britannique - n'est pas un organisme super partes. Il s'agit en pratique du bureau de presse des formations des rebelles syriens «laïques» progressistes que Londres et Washington soutiennent avec l'espoir (à l'heure actuelle toujours démenti par les faits) que dans la lutte contre Assad, ils pourront assumer le rôle de premier plan que jusqu'à présent l'Isis détient fermement.
De ce choix de camp inavoué découle le fait que le public en Italie [en Europe occidentale, en fait!!] sait toujours tout, avec une abondance de témoignages vidéo et d'images, des bombardements russo-syriens des quartiers d'Alep contrôlés par les rebelles et des dommages et des pertes qu'ils causent. Mais il ne sait rien de la souffrance des civils dans les zones sous le contrôle du gouvernement, soumis aux bombardements, aux tirs des "snipers" et aux coupures d'électricité et d'approvisionnement en eau ordonnées par le commandement des rebelles (qui détiennent en grande partie le contrôle de ces ressources).
La réalité est que les deux côtés, on ne se soucie pas beaucoup, ni d'épargner les civils, ni d'épargner les hôpitaux, qui sont par ailleurs souvent des hôpitaux de campagne pas très bien signalés. Une information qui voudrait être équilibrée, et donc faire autorité, devrait l'expliquer au lieu de solliciter, comme c'est le cas actuellement, le mépris et la compassion à sens unique.

A présent, la dernière trouvaille de 'Purpose' est de lancer les "casques blancs" qui sont présentés comme une sorte de nouvelle Croix-Rouge (ou de Croissant-Rouge) spontanée, une "fleur du bien" au secours de toutes les victimes du conflit; et pas un jour ne se passe sans que les porte-parole des grandes ONG françaises et britanniques de gauche en disent le plus grand bien (cf goo.gl/WgMWx7 ). Eh bien, ce n'est pas le cas: ce sont les équipes de secours sur le champ de bataille dans le sillage du Front al-Nosra. Leur glorification soudaine a évidemment été planifiée pour anoblir le soutien embarrassant que Washington donne à une milice comme le Front al-Nosra, qui est affilié à Al-Qaïda.

Venons-en maintenant à un autre cas, quoique moins immédiatement dramatique (bien qu'il le soit également en substance): celui du débat en cours en Pologne autour d'un projet de forte restriction des cas d'avortement légal. Il s'agit objectivement d'un fait de grande importance: pour la première fois depuis des décennies, un grand pays où l'avortement est légal, le remet en question. Ce serait dans tous les cas une nouvelle de première page. Mais puisque l'opinion publique polonaise est largement favorable au projet, la grande presse "éclairée" avait jusqu'à ces derniers jours préféré ignorer l'affaire, bien qu'elle soit depuis des mois au centre de l'actualité politique en Pologne.
Tous silencieux jusqu'à avant hier, quand une foule de plusieurs milliers d'opposants au projet a manifesté à Varsovie devant le Parlement. A leur tête le groupe des «femmes en noir» qui, pour défendre l'avortement, n'hésitent pas à descendre dans la rue habillés avec ce qui est traditionnellement en Pologne le vêtement des veuves [cf. goo.gl/hkgRhb ]. À ce stade, la nouvelle de la loi que le gouvernement polonais a l'intention de présenter a enfin fait le tour du monde, mais à partir de la protestations des "Femmes en noir".
On a repris le vieux stéréotype de '68, selon lequel le militant représentent non seulement lui-même et son milieu, mais ipso facto tout le groupe social auquel il appartient. Ainsi, les manifestants et les "femmes en noir" qui les emmènent ne sont pas un groupe de femmes, ou des femmes d'un certain 'milieu'. Ce sont «les femmes» de la Pologne toute entière. En l'occurrence, la prétention apparaît plus que jamais absurde quand on considère non seulement que le consensus dont bénéficie l'initiative du gouvernement est assez large pour comprendre certainement un grand nombre de femmes, mais que le premier ministre polonais, Beata Szydlo, est une femme; mais peu importe, et puis hors de la Pologne, qui le sait?

NDT


[*] Ronza est un journaliste sérieux, et tout sauf un extrémiste; mais ici, il ne cite pas ses sources (sans doute jugées par lui peu présentables... évidemment, ce n'est ni le Monde, ni HuffingtonPost, ni Republicca).
Si on fait une recherche Google sur le mot-clé <Purpose>... on ne trouve évidemment rien en haut de la page des résultats de la recherche.
J'ai toutefois trouvé cela: www.purpose.com/ , qui semble correspondre (voir l'onglet <About>)
Et aussi, parmi d'autres pages qui renvoient à des sites d'information "alternative", celui-ci , où Purpose.inc est présenté en ces termes:

PURPOSE Inc. :
Il s’agit d’une entreprise internationale de relations publiques. Son PDG est Jeremy Heimans, un co-fondateur d’Avaaz [voir plus haut dans l'article]. Son président est Kevin Steinberg, ancien PDG du Forum Economique Mondial USA (antithèse du Forum Social Mondial).
Leur site web décrit leur objectif : "Purpose construit et accélère les mouvements pour s’attaquer aux principaux problèmes du monde". En l’occurrence le "problème" c’est la répugnance à prendre en main l’espace aérien et terrestre de la Syrie. Moyennant des honoraires considérables, Purpose va leurrer le public et abattre cette répugnance. Dans ce but, Purpose a créé "La Campagne Syrienne".
"Purpose Inc" (et ses cofondateurs) est un favori des sites web de la haute finance comme The Economist et Forbes et il vend ses services de consultance et ses campagnes de marques et de marketing à Google, Audi, the American Civil Liberties Union (ACLU), The Bill and Melinda Gates Foundation ainsi qu’à beaucoup d’autres, dont les sociétés et les institutions les plus puissantes dans le monde. En 2012 il a réuni 3 millions de dollars de la part d’investisseurs. La Ford Foundation, qui a donné une subvention au bras non lucratif de Purpose, considère qu’il est en passe de devenir "l’une des plus remarquables organisations sociales de l’avenir". Comme bien d’autres fondations telles que Rockefeller, Purpose sert aussi "d’incubateur de mouvements sociaux" ».