Le rôle des laïcs dans l'Eglise aujourd'hui


Une interview de l'Abbé Barthe par le site <Campari & de Maistre>. A ne pas manquer! (20/5/2016)

 

En consultant comme je le fais chaque jour l'excellent site italien <Campari & de Maistre> que mes lecteurs les plus fidèles doivent bien connaître, je tombe sur cette interview de l'abbé Barthe, en italien (www.campariedemaistre.com).
Je m'apprêtais à prendre mon courage à deux mains pour la traduire, quand je vois que le document est téléchargeable en PDF, en italien mais aussi... en français.
Je n'ai donc eu que le mal de le numériser, pour en rendre la lecture plus facile (j'espère que les amis de Campari & de Maistre ne m'en tiendront pas rigueur, je plaide non coupable puisque leur site, étant en italien, a forcément un lectorat limité en France, et que j'ai déjà traduit plusieurs articles d'eux).

Abbé Barthe:

Dans des périodes de confusion, c'est le Sensus fidelium qui nous guide.

www.campariedemaistre.com

L'Abbé Claude Barthe est un important prêtre et théologien français. Nous avons choisi de le consulter à propos du rôle des laïcs dans l'Eglise de 2016, une question très épineuse dans une période de désorientation générale comme celle-là.

* * *


Campari&deMaistre - En ces temps de confusion, les laïcs comment doivent-ils se comporter? Ceux qui ne s'adaptent pas (au nouvel ordre), comment peuvent-ils rester cohérents?

L'abbé Claude Barthe - Votre question suppose qu'il y a un « nouvel ordre », disons un désordre, au sein de la société ecclésiale. Je le crois comme vous. On peut, au moins pour une première approche, le qualifier d'« esprit du Concile », expression vague à souhait, mais qui couvre une tentative très concrète d'investissement du catholicisme par la modernité, touchant la doctrine, la morale et le culte divin. Cet investissement n'a pu progresser qu'en raison d'une sorte de démission de l'autorité. C'est la version catholique de la fameuse crise de la paternité de 1968. 1968, où l'on a voulu voir une application du « meurtre du père » des origines, selon Freud, mais qui est en réalité un suicide des pères, ou en tout cas une démission de la fonction paternelle dans la famille, dans la société, dans l'Eglise.
Du coup, les fils se retrouvent largement livrés à eux-mêmes. Ils doivent, par la force des choses, se laisser guider par le sensus fidelium, que les théologiens appellent « l'infaillibilité passive » (l'Eglise ne peut tomber dans l'erreur en croyant). Du côté de chaque croyant, le sensus fidei est un instinct, un flair, qui accompagne la vertu de foi. Il porte le fidèle à croire tout ce que l'Eglise lui enseigne, mais aussi à continuer à vivre de sa foi et à se déterminer en fonction d'elle, par développement de ce qui lui a déjà été enseigné, alors même qu'il cesse d'être enseigné. Bien entendu, il ne faut pas tomber dans l'individualisme protestantisant : seul le Magistère peut ultimement déterminer si le fidèle, qui s'est ainsi guidé avec la boussole de l'instinct de la foi, a correctement réagi. Les fidèles lyonnais illuminaient leurs maisons en la fête de l'Immaculée Conception, alors même que la conception immaculée de la Vierge faisait l'objet de vives polémiques. La proclamation du dogme, en 1854, leur a donné raison. On peut aussi parler d'intervention de l'instinct de la foi dans la survie de la messe traditionnelle après 1969, survie qui a largement été due à des fidèles laïcs. Summorum Pontificum est venu confirmer, quarante ans plus tard, le bien-fondé de l'attitude de ceux qui avaient continué de la célébrer ou d'y assister.



Q: Ainsi comme, avec le MP Summorum Pontificum, les laïcs ont été le moteur de la récupération de la Messe traditionnelle, est-ce qu'ils pourront être aussi le moteur de la récupération dans l’Eglise de la Tradition tout court?

R:
Ils ont eu ce rôle moteur, par exemple dans le domaine de l'enseignement du catéchisme traditionnel, qu'ils ont continué à enseigner et à faire enseigner à leurs enfants à la place des catéchismes nouveaux, qui avaient envahi paroisses et écoles dès la fin des années soixante.
On constate aujourd'hui que la majorité des enfants n'a reçu qu'un enseignement flou, parfois hétérodoxe, la plupart du temps indigent. Je suppose qu'il en a été de même en Italie, puisque j'ai entendu un ancien évêque auxiliaire de Rome rapporter, au cours d'une rencontre sacerdotale, qu'il avait rencontré des enfants d'écoles catholiques de la périphérie de la Ville ne sachant ni leurs prières élémentaires, ni même faire le signe de la croix. C'est pourquoi, dans la situation que je connais le mieux, celle de la France, des parents catholiques se sont organisés, aidés par des prêtres, des associations, des écoles associatives, pour assurer une transmission catéchétique.
Dans une conversation que j'ai eue avec le cardinal Ratzinger en 1995, il me disait : « Croyez-vous que la publication du Catéchisme de l'Eglise catholique eût été possible il y a vingt ans, en 1965 ? » Je lui répondais que c'était bien le problème : un concile après lequel on ne pouvait plus publier de catéchismes... Et lui de soupirer « C'est vrai, l'Église a été blessée ». A supposer que le CEC de 1992 ait réglé toutes les difficultés, il est intervenu au bout d'une vacatio catechismi de près de trente ans, qui de fait dure encore. En tout cas, sa parution a donné raison aux parents qui avaient continué à transmettre le catéchisme traditionnel.

Dans le domaine de la morale familiale, lors de Vatican II, on avait discuté de la question de la régulation des naissances comme d'une question libre. Paul VI est intervenu pour se réserver de la trancher et l'a fait étudier par une commission ad hoc. Si bien qu'a été donnée l'impression, jusqu'à Humanaœ vitae en 1968, qu'on pouvait agir librement en ce domaine. Pendant ce temps, l'instinct de la foi des époux a dû alors se raccrocher aux principes antérieurement formulés par l'encyclique de Pie XI, Casti connubii, et par les discours de Pie XII. Et aujourd'hui encore, Humanaœ vitae est si mal défendue par la hiérarchie, que les fidèles agissent plus par instinct de la foi que sous sa direction.
De même encore, les deux assemblées successives du Synode des Evêques sur la famille ont ouvert un « débat » factice à propos de la doctrine évangélique de l'indissolubilité du mariage et de ses conséquences morales et sacramentelles. L'exhortation apostolique Amoris laetitia a ensuite expliqué que le débat était toujours ouvert, en a en quelque sorte admis des exceptions pratiques à la loi évangélique en ce domaine. Cela oblige les fidèles laïcs (et les pauvres confesseurs !) à se raccrocher par leur sens de la foi au magistère antérieur.



Q: Le Concile Vatican Il souhaite un rôle plus important pour les laïcs: pourquoi donc, au lieu de les écouter, la hiérarchie soutient-elle seulement les revendications de certains prélats octogénaires?

R:
Vous savez, l'âge importe peu. Il y a de jeunes hérétiques et de vieux orthodoxes. Mais il est vrai que dans l'épisode évangélique de la femme adultère, les vieux semblaient avoir à se reprocher plus de péchés que les jeunes... Il est vrai aussi que les membres de ce que l'on nomme les « forces vives » du catholicisme d'aujourd'hui en Occident, les communautés religieuses traditionnelles, les communautés nouvelles, les associations scolaires, les organisations de défense de la vie, les mouvements apostoliques de tous ordres, sont très jeunes de moyenne d'âge.
Incontestablement, ce qu’a dit Vatican II, par exemple concernant la promotion des laïcs, par exemple dans le décret Apostolicam Actuositatem, n'a pas été entendu. Ou plutôt, les laïcs qui ont été promus dans les conseils paroissiaux, dans les revues catholiques officielles, etc., ont été des laïcs dans la ligne de l'« esprit du Concile ». Ce sont ceux-là que l'on retrouve dans les équipes liturgiques, intervenant dans les cérémonies, distribuant la communion, présidant et prêchant (en tout cas en France) dans les sépultures. En réalité, on a fabriqué une sorte de laïcat clérical, un clergé-bis.
On nous parle aujourd'hui de diaconesses... Mais dès les années 90, on discutait en France de la possibilité qu'auraient les aumôniers d'hôpitaux non-prêtres (des dames, souvent), de conférer le sacrement des malades et de pratiquer la réconciliation.
Quand, au contraire, des laïcs demandent la messe traditionnelle, s'organisent pour la faire célébrer, on méprise ou on torpille leurs revendications : ils ne sont pas dans « l'esprit du Concile ». En vérité, depuis Vatican Il, l'Eglise n'a jamais été aussi cléricale.



Q: Ceux qui attendent des réponses de la part des "bons pasteurs", comment peuvent-ils interpréter leur silence?

R:
Vous faites, je pense, allusion à la situation présente d'après Amoris laetitia. Durant la période très agitée qui a suivi Vatican II, le pouvoir hiérarchique était modéré - le Pape Montini - mais le pouvoir culturel était aux mains des progressistes. Puis est intervenue une période que l'on a qualifiée de « Restauration », en utilisant un terme du Rapporta sulla fede, de 1984-85, l'époque des papes Wojtyla et Ratzinger : une impulsion romaine, tout en laissant de grandes interrogations - la journée d'Assise, par exemple - a favorisé un « retour » anti-68. La désastreuse démission de Benoît XVI et l'élection du Pape François, en 2013, ont de nouveau changé la donne. Les fidèles, les prêtres que l'on qualifie de ratzinguériens se sont trouvés orphelins. Mais aussi les évêques et cardinaux. Comme membres de l'Eglise enseignante, ils ont cependant un rôle décisif à jouer pour préparer venir en aide aux brebis et pour préparer l'avenir.
Voyez la résonnance qu'ont eu, lors des assemblées synodales de 2014 et 2015, les livres des cardinaux Brandmüller, Burke, Caffarra, De Paolis, Müller, Permanere nella verità di Cristo (Cantagalli, 2014), et Matrimonio e Famiglia (Cantagalli, 2015). Des paroles identiques aujourd'hui, après la parution d'Amoris laetitia, auront un retentissement considérable pour soutenir la foi des fidèles dans une conjoncture où l'Eglise est de plus en plus recouverte par une marée mondaine.



Q: Est-ce que les laïcs doivent suppléer aux manques doctrinaux des pasteurs?

R:
Comme je vous disais, l'instinct de la foi aide les fidèles du Christ chaque fois que les enseignements du magistère ne leur indiquent pas clairement encore ce qu'ils doivent croire et ce qu'ils doivent faire. En 1790, se présenta aux curés de France le dilemme de prêter ou non le serment à la Constitution civile du clergé. Pie VI a attendu un an pour parler. Durant ce temps, les non-jureurs se déterminèrent par eux-mêmes, selon leur sensus fidei. Les nombreux refus de prêter serment ont pressé l'intervention pontificale : le bref Quod aliquantum, le 10 mars 1791, a condamné la Constitution civile du clergé et le serment à cette Constitution. En 1892, plus gravement qu'un silence, c'est au contraire la parole de Léon XIII qui a semé la perturbation chez les catholiques français, en leur demandant de se rallier à la démocratie moderne, concrètement à la IlIe République anticléricale (Inter Sollicitudines). Beaucoup de laïcs ont résisté, au nom de la condamnation du « droit nouveau » par ce même pape, dans
Immortale Dei. Et la Lettre sur le Sillon, de saint Pie X, en 1910, a condamné la modernité politique de Marc Sangnier.
Par conséquent, le sens de la foi, lorsqu'il doit s'exercer comme aujourd'hui, le fait en somme dans l'attente d'une parole future du magistère. Son exercice peut être comparé à un mouvement de légitime défense, pour se préserver ou préserver son prochain de violences, alors que l'autorité publique ne peut pas ou ne veut pas intervenir. Les laïcs, de nos jours, sont souvent en état de légitime défense, liturgique, doctrinale, morale. Mais il ne s'agit nullement pour eux de remplacer le magistère. Bien au contraire, cette action de suppléance concrète représente de leur part une demande instante d'intervention du magistère, du magistère comme tel, le magistère infaillible confié à Pierre et à ses successeurs pour que les portes de l'enfer ne prévalent jamais sur l'Eglise.