Le sourire d'une sainte


Et les souvenirs très émouvants du Père Scalese, qui a eu le privilège de voir, en chair et en os, la bientôt sainte Mère Teresa de Calcutta (17/3/2016)


Le sourire de la Sainte


Père Giovanni Scalese CRSP
querculanus.blogspot.fr
17 mars 2013
Ma traduction

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Au cours du consistoire d'hier, le Pape a décrété que cinq Bienheureux sont inscrits au Tableau des Saints. Parmi ceux-ci, la bienheureuse Teresa de Calcutta (au siècle Agnes Gonxha Bojaxhiu), qui sera canonisée le dimanche 4 Septembre 2016.

Il m'est revenu en mémoire un article que j'avais écrit pour les "Eco Barnabiti" en 2003, à l'occasion de sa béatification. Il reprenait le titre d'une nouvelle de Giovanni Papini, que j'avais lue quand j'étais au collège.

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Quand j'étais au collège, au "Virgilio" de Rome (nous sommes dans les années soixante), je ne me souviens plus si j'étais en seconde ou en troisième année (ndt: donc en 5ème ou en 4ème), nous avions un livre de lecture de Giovanni Papini, intitulé "Il muro dei gelsomini" (Le mur des jasmins). Un des récits, pour la plupart autobiographiques, qui y étaient rapportés, s'intitulait "Le sourire de la Sainte". Il relatait la rencontre du jeune Papini avec Thérèse Martin (la future Thérèse de l'Enfant Jésus) advenue à Florence, où la sainte de Lisieux était venue avec sa famille pour visiter la tombe de Santa Maria Maddalena de 'Pazzi, lors de son voyage en Italie en 1887. Papini, qui ne savait pas qui était cette jeune fille (il le découvrit seulement plusieurs années plus tard) fut profondément frappé par le sourire que lui adressa Thérèse, le sourire d'une sainte. Je fus très impressionné par ce récit, si bien qu'à l'examen du collège (le brevet), quand la professeur d'italien me demanda de lui parler d'une histoire du "Mur des jasmin", sans hésitation, je commençai à lui parler du "Sourire d'une Sainte".

Le Ciel a voulu que moi-même, des années plus tard, je fisse une expérience similaire à celle de Papini, avec une autre Teresa, Mère Teresa de Calcutta (qui - il convient de rappeler - a pris son nom en l'honneur de la carmélite de Lisieux).
C'était en 1987 (cent ans après la rencontre de Papini avec Thérèse Martin!). A cette époque, j'étais à Bologne, "aumônier" (càd vicaire paroissial) de San Paolo Maggiore. Je fréquentais l'Université pour me diplômer en philosophie. En ces années, on célébrait le neuvième centenaire de l'Université de Bologne; le Recteur, le Professeur Fabio Roversi Monaco (maçon déclaré, mais éclairé) avait décidé de conférer toute une série de diplômes Honoris Causa pour solenniser l'événement: le roi d'Espagne, le prince Charles d'Angleterre, Raoul Gardini, etc., avaient déjà été diplômés.
Par provocation, les Catholiques populaires (Cattolici popolari: mouvement inspiré par la doctrine sociale de l'Eglise), lancèrent la proposition: pourquoi ne pas conférer un diplôme aussi au Pape [Jean-Paul II] et à Mère Teresa de Calcutta?
Le Recteur, intelligemment, répondit: Pourquoi pas?
Du diplôme au Pape, il ne fut ensuite plus question: il se transforma en une visite inoubliable à l'Université, avec la "promulgation académique" du nouveau Code de droit canonique.
En Septembre, en revanche, il y eut la remise du diplôme à Mère Teresa. Sa visite à Bologne dura une paire de jours. Je la suivis dans tous ses déplacements.
Arriva le soir du 25 et ce fut bientôt la rencontre avec les jeunes sur la Place Saint-Etienne. Je me souviens encore de ses mots, dans un anglais très facile à comprendre: des mots simples, tirés de l'évangile, mais qui se fixèrent dans l'esprit et le cœur.
Le lendemain matin, la cérémonie de laureatio. Il n'était pas facile de pouvoir y participer, car elle avait lieu dans l'ancien siège d'Etude de Bologne, l'Archiginnasio.
Grâce à mes amis de Communion & Libération, je parvins à obtenir un billet et je pus ainsi assister à la cérémonie, où ressortait le contraste entre les Professeurs en grande pompe, accoutrés de leurs toges, et l'humble petite soeur avec son pauvre sari blanc et bleu; les discours officiels des autorités académiques et l'insolite lectio magistralis de la récente diplômée, qui ne fit que répéter les mêmes concepts que la veille dans son anglais facile facile. Après la cérémonie se forma le cortège des autorités et des professeurs qui accompagnaient Mère Teresa je ne sais où. Je me postai dans un couloir où devait passer le cortège; quand je le vis arriver, je fus impressionné par la stature de Mère Teresa: Je l'avais vue plusieurs fois à la télévision, mais je n'avais pas réalisé à quel point elle était minuscule. Quand il arriva enfin près de l'endroit où je me trouvais, je m'approchai, m'inclinai vers elle, la saisit par sa main frêle, et je lui dis: «Priez pour nous».
Mère Teresa me regarda et, sans rien dire, me fit un grand sourire (comme elle seule était capable d'en faire), un sourire qui restera gravé dans mon esprit et dans mon cœur pour le reste de mes jours. De ce visage vieilli et plein de rides, jaillit une lumière et une beauté que je n'ai plus jamais vu à d'autres moments de ma vie: un sourire provenant du ciel, le sourire d'une sainte.

Le soir de ce même jour, Mère Teresa fut invitée à un spectacle organisé par le diocèse de Bologne à l'occasion du Congrès eucharistique diocésain, un spectacle qui fut retransmis à la télévision nationale. Dans le spectacle du soir ressortait à nouveau le contraste entre les acteurs, les chanteurs et les danseuses décolletées sur la scène, et l'humble petite soeur qui, dans le public, un peu absente continuait à égrener son chapelet. Lorsqu'à la fin du spectacle, elle monta sur la scène, il y eut une standing ovation comme je n'en ai jamais vu à d'autres occasions: tout le public se leva et applaudit pendant plus de cinq minutes d'horloge: un applaudissement interminable, juste reconnaissance pour ce que la minuscule religieuse indo-albanaise faisait pour l' humanité.

Le 19 Octobre dernier [2003] l'humble petite soeur a été élevée sur les autels: une foule immense (sûrement plus de trois cent mille personnes) a rempli la place Saint-Pierre et les rues adjacentes pour participer à un événement historique. Après que le pape eût terminé, d'une voix lasse, la formule de béatification, tandis que la chapelle Sixtine et les fidèles chantaient l'Amen d'approbation, le drap qui pendait à la loggia centrale de la basilique vaticane fut découvert: et alors réapparut le visage souriant de Mère Teresa, et les yeux de toute l'assistance étaient baignés d'émotion face à ce sourire, le sourire d'une sainte.