Les réserves feutrées de Giuseppe Rusconi


Il s'exprime sur des épisodes récents de l'actualité papale: Padre Pio, Cyrille, et surtout le Family Day (12/2/2016)

Giuseppe Rusconi concède au pape un succès diplomatique - la rencontre avec le patriarche orthodoxe -, et une heureuse initiative - valoriser la religiosité populaire à travers la figure de Padre Pio. Encore que sur cela aussi, on pourrait trouver à redire (ci-contre: un dessin irrésistible et très éloquent que j'ai trouvé sur le site de Teresa, et qui illustre bien l'article de Socci sur le sujet)
Sa critique de l'attitude témoignée par François aux défenseurs de la vie et surtout de l'éloge appuyé à l'avorteuse Bonino, dont il ne veut se rappeler que son "engagement pour l'Afrique" en dit long sur l'amertume de ce peuple catholique (ici italien) laissé seul pour mener la lutte contre un projet de loi inique, et plus généralement contre la déferlante mondiale de la guerre contre la famille, et elle est rendue d'autant plus significative par la modération habituelle de ses propos.


Original en italien: www.rossoporpora.org. Traduction par Anna.

 

Brèves notes sur François, Padre Pio, Cyrille, le Family Day, et caetera.

Si l'on jette un regard attentif et non thuriféraire sur ce qui s'est produit d'important ces derniers jours relativment aux comportements du pape François, il n'est pas facile de s'enlever de la tête une certaine impression (qui est plus qu'un indice) : Jorge Mario Bergoglio est une personne chez qui un instinct pastoral de dimension universelle (???), caractérisé par une "ouverture", une "flexibilité" et une "ténacité" vraiment exceptionnellles, s'accompagnent de jugements et silences tout aussi déconcertants pour une partie consistante du catholicisme militant.

Est-ce exagéré? Non, amis thuriféraires en service permanent: rappelons-nous ce qui s'est produit ces dernier jours, sous des impulsions provenant de Sainte Marthe.

Vendredi après-midi, par exemple, une foule émue a accompagné les dépouilles du Padre Pio et du père Leopoldo Mandic: partant de l'Église du Saint Sauveur in Lauro, traversant le Tibre sur le Pont Saint-Ange, arrivant jusqu'à la Via della Conciliazione, et finalement à Saint-Pierre, plusieurs dizaines de milliers de fidèles ont récité le Rosaire, chanté avec les larmes aux yeux l' Eccomi de Frisina, et surtout conversé avec l'esprit du saint frère de Pietrelcina. Comme cela a été révélé récemment par le père Marciano Morra, secrétaire des groupes de prière du Padre Pio pendant de longues années, l'archevêque et cardinal Bergoglio ne s'est intéressé sérieusement à Padre Pio qu'à l'occasion de sa canonisation en 2002: des "explorations" de ses émissaires à San Giovanni Rotondo, et du "transfert" successif en Argentine du père Morra et de monsignor Giuseppe Ruotolo (vice-directeur général des groupes de prière), l'archevêque de Buenos Aires a tiré la certitude de l'exemplarité de Padre Pio dans la prière, la miséricorde et la charité. En tant que Pape, François , jusqu'à une époque récente, n'avait jamais cité publiquement Padre Pio. Mais la proclamation de l'Année Jubilaire de la Miséricorde a été l'occasion de faire remonter dans son esprit la personnalité du frère de Pietrelcina. Que l'intuition ait été de François, ou qu'elle lui ait été suggérée (peut-être pour des raisons de comptabilité numérique) par l'archevêque Fisichella, cela ne change pas grand chose: la décision de "récompenser" le saint (avec l'autre, très différent, saint capucin, le père Leopoldo Mandic) ainsi que le filon de la religiosité populaire souvent méprisée par les "savants", est certainement venue du Pape. Personnellement, nous considérons qu'elle est heureuse, bien que les expressions de cette religiosité ne soient pas immédiatement compréhensibles à ceux qui ont grandi dans des milieux caractérisés par une approche rationnelle du catholicisme. En tout cas, les foules que nous avons observées de près aussi bien à Saint-Laurent hors les Murs que dans la Via della Conciliazione méritent un grand respect: même dans ces comportements qui peuvent paraître "excessifs": si l'on doit juger l'arbre à ses fruits, ceux de l'apostolat de Padre Pio enrichissent indubitablement le quotidien du monde catholique.

Le même vendredi 5 février, à midi dix, le père Lombardi (en concomitance avec Moscou) a annoncé la prochaine rencontre entre François et le patriarche Cyrille. Un événement certainement historique, qui conforte la stratégie de la rencontre personnelle poursuivie avec une volonté étonnante par Jorge Mario Bergoglio.
Une rencontre personnelle qui, primo, a une grande signification symbolique, même plus importante à court terme que les sujets qui seront traités pendant la rencontre.
Secundo, la rencontre va renforcer le front international de défense des chrétiens persécutés et va probablement entrainer des avancées assez consistantes dans les rapports bilatéraux - toujours épineux, par exemple sur la question de l'Ukraine - entre la Rome catholique et la Russie orthodoxe. On sait que le Pape s'est déclaré immédiatement disponible à la rencontre avec Cyrille sans poser aucune condition: dès le moment où la possibilité concrète a mûri dans ce sens, il l'a immédiatement acceptée avec joie. Que ce soit Cyrille qui ait proposé la date et le lieu (tenant compte du voyage papal au Mexique et de la proximité du synode panorthodoxe) ne change pas la substance: la "diplomatie" planétaire consolidée de Bergoglio (assistée de la patience et de l'efficacité de la Secrétairerie d'État) a remporté un nouveau succès (même si - il faut le noter - l'amphitryon cubain n'est pas un champion de démocratie et piétine la dissidence, y compris catholique, ignorée d'ailleurs par le pape à l'occasion de sa visite apostolique en 2015, en vue de motifs "supérieurs", compréhensibles d'un point de vue diplomatique mais non pastoral) [ndt: Sous les auspices d'une dictature Communiste!).


LE COMPORTEMENT DU PAPE FRANÇOIS dans d'autres domaines suscite toutefois également du désarroi dans de larges cercles du peuple catholique militant en Italie (c'était déjà arrivé pour les énormes "Manif pour tous" françaises, dont la présidente Ludovine de la Rochère, ne fut-ce que pour saluer le Pape, avait dû se mêler au petit troupeau matinal de Sainte Marthe): nombreux sont ceux qui sont amers et profondément blessés par les silences de François au sujet de la grande manifestation du Family Day du 30 janvier.

Lors de la précédente occasion, le 20 juin 2015 le pape s'était abstenu non seulement d'encourager mais même de mentionner publiquement le témoignage de centaines de milliers de catholiques place San Giovanni (il s'était limité à la dernière minute à demander au Cardinal Vallini de contacter les évêques du Latium afin qu'ils "poussent" à la participation). Pour le rendez-vous du 30 janvier - au beau milieu de la discussion au Sénat du projet de loi Cirinnà sur l'adoption, dont dépendra de facto la reconnaissance des "mariages homosexuels" avec tous les "droits" associés - le Pape a défendu à Kiko Arguello de participer, il a rappelé à l'ordre le Cardinal Bagnasco à cause de ses déclarations pro-Family Day et cette fois encore n'a pas adressé une virgule aux centaines de milliers de catholiques dans la rue. Certains disent, et non sans raison, que ce Pape excelle aussi bien dans les relations internationales que dans la démotivation d'une large partie du peuple catholique. Il prêche la miséricorde et donne audience à tout le monde (vraiment à tout le monde??? ndt), même à des représentants notoires de ce capitalisme par lui tant dénoncé (mais il ne reçoit pas les catholiques du Family Day…et nous serions bien contents d'être démentis); il bénit n'importe quel groupe et manifestation (sauf celle pour la Vie en mai 2015) plus ou moins grande et de tout genre y compris écologiste, mais les centaines de milliers de catholiques dans la rue n'ont même pas droit à une citation, même pas au terme d'un Angélus. Rien: pour lui il sont peut-être comme le frère aîné de la célèbre parabole, qui est désavantagé par le père.

UNE CURIEUSE CONVERSATION AVEC MASSIMO FRANCO POUR LE CORRIERE DELLA SERA (1).
Aujourd'hui, lundi 8 février, sous le titre en ouverture de la première page "Le Pape et le murs qui vont tomber un après l'autre/les choix de François, les orthodoxes, l'Europe" un long compte-rendu est apparu (occupant aussi les pages 2 et 3) sous la plume de Massimo Franco sur "une rencontre à caractère informel", advenue "dans le calme de l'après-midi à Sainte Marthe", après l'annonce officielle du "face à face historique" François-Cyrille. Dans l'article sur le "feu qui n'est plus rouge mais orange" - sont d'abord rapportées des considérations, partagées d'ailleurs, à propos des "printemps arabes". Par exemple: "À propos des printemps arabes et de l'Irak on pouvait imaginer ce qui pouvait arriver". Ou bien: (sur la Libye) "au début il n'y avait qu'un Kadhafi, maintenant il y en a cinquante".
À la page trois, toutefois un titre entre guillemets a attiré notre attention: "Parmi les grands de l'Italie d'aujourd'hui, Giorgio Napolitano et Emma Bonino".
Sur le premier on pourrait ouvrir tout un chapitre. Mais c'est la seconde qui nous intéresse le plus. Le pape fait l'éloge de l'engagement "africain" de la Bonino et ajoute (toujours entre guillemets): "On me dit: il y a des gens qui pensent de manière très différente de nous. C'est vrai, mais tant pis. Il faut regarder les personnes, ce qu'elles font". Franchement, ici la justification pour la 'nomination' de la Bonino nous semble un vrai boomerang: Bonino n'est-elle pas (et n'a-t-elle pas été) la championne de l'avortement (au pointn qu'elle s'est souvent vantée publiquement d'en avoir personnellement procurés par milliers) ainsi que de tous les fameux "droits" libertaires? N'a-t-elle pas pris position pour l'euthanasie et le "mariage gay"?
Il est permis de supposer que la 'nomination' de Mme Bonino a fait se retourner dans leur tombe des papes engagés contre l'avortement comme Paul VI et Jean-Paul II, tandis que le pape Ratzinger ne peut que rester silencieux par un effort héroïque de fidélité à la parole donnée (de se retirer "sur le mont" en prière).
Une ultime perle: la déclaration sur Emma Bonino a été faite samedi 7 février, à quelques heures du début de la "Journée pour la Vie" annuelle organisée par la Conférence épiscopale italienne. Un timing vraiment déconcertant.

SCALFAROTTO ET PAOLA CONCIA FONT L'ÉLOGE DE FRANÇOIS.
Tard dans après-midi d'aujourd'hui lundi 8 février, le vice-ministre Ivan Scalfarotto ("père" de la controversée loi "contre l'homophobie") et l'ex-députée Paola Concia (activiste du fameux lobby) ont rencontré un groupe de journalistes auprès de la Presse Étrangère. Ce fut une heure assez mouvementée, pendant laquelle, entre autre, il a été demandé aux hôtes leur opinion sur la 'nomination' papale d'Emma Bonino. Voici ce qu'a dit Paola Concia: "Le Pape est un grand fourbe (un gran furbacchione). Mais en tout cas il est aussi une personne très clairvoyante qui s'est donné la tâche de rapprocher de l'Église le plus grand nombre possible de personnes. Il sait ce que représente Emma Bonino
" et sa 'nomination' "n'étonne pas, car elle va dans la direction de l'ouverture. Le Pape ouvre les portes de l'Église, même si à l'intérieur du catholicisme il y en a qui veulent les refermer".

Et voici ce qu'a dit Ivan Scalfarotto: "Au delà des positions politiques, Bonino a tracé un parcours politique élevé. Elle a une grande humanité. Le Pape n'a certes pas voulu la sanctifier, mais il a montré encore une fois qu'il a un esprit très ouvert".
En ce qui concerne le traitement du projet de loi Cirinnà, Scalfarotto espère qu'il se terminera de manière positive au Sénat avant le 18 février et a qualifié le "catholique" Renzi d' "homme d'état qui a compris - au delà de ses positions personnelles - que l'Italie doit être modernisée".
Encore Scalfarotto: "Le projet de loi Cirinnà représente un tournant pour le Pays, car cette loi a une portée culturelle et projette l'Italie dans la modernité".
Il est probable qu'après avoir surmonté l'obstacle des "unions civiles", toute la grande machine sera mise en branle: loi sur l'euthanasie, loi "contre l'homophobie", etc… comme l'a dit le vice-ministre.
Une pensée reconnaissante de Scalfarotto va aussi à la ministre "catholique" Maria Ellena Boschi: "Sans elle, sans son engagement, nous ne serions jamais arrivés où nous sommes aujourd'hui". Et enfin: "Il est vrai que le Gouvernement a déclaré vouloir se mettre en retrait au sujet du projet de loi, laissant libre le champ au Parlement…toutefois Renzi n'est pas uniquement le chef du gouvernement, mais aussi le secrétaire du plus grand parti, celui sur qui se fonde la majorité. Et donc…".

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NDT:
(1) L'article du Corriere est reproduit ici: bergoglionate.wordpress.com/2016/02/08/corsera-francesco-e-i-muri-che-cadono-uno-dopo-laltro/