Lettre aux "inclusifs" tradis


Alessandro Gnocchi répond aux catholiques de sensibilité traditionnelle qui l'accusent (lui et ceux qui osent critiquer le Pape) d'être "divisifs" (20/5/2016)

 

Cette semaine, dans sa chronique hebdomadaire "Fuori moda" du site <Riscossa Cristiana>, Alessandro Gnocchi répond à un correspndant, un certain B*, qui lui écrivait:


(...) Je me retrouve presque toujours dans vos affirmations. Mais dernièrement, vous me semblez trop sévère et ainsi, on risque de créer des divisions même parmi nous, les traditionalistes. Peut-être devrions-nous regarder les choses avec un peu plus de confiance, y compris à l'égard de ce pape. Je me rends compte qu'il a fait beaucoup de discours qui ont amené la confusion, mais parfois, il semble que nous ne voulons pas voir les bonnes choses qu'il nous dit (..)
Quant à la question du diaconat féminin, je pense que c'est la faute des journaux. Le Pape a dit seulement qu'il n'y serait pas opposé et que la chose doit être étudiée. Bref, nous verrons, et il se peut que l'histoire de l'Eglise nous réserve des surprises. Je conclus par une question directe: avec vos prises de positions, ne pensez-vous pas être divisif?



J'ai eu l'occasion de dire que je ne partage pas toutes les prises de position d'Alessandro Gnocchi (en particulier son attitude injuste envers Benoit XVI, voir DES CATHOLIQUES CONSERVATEURS CONTRE BENOÎT XVI). Mais j'ai traduit la rubrique de cette semaine parce que je me suis sentie personnellement concernée - à mon tout petit niveau, s'entend - ayant moi-même été la cible répétée du même reproche, celui de créer la division (comme si le Pape ne s'en chargeait pas tout seul!): dans sa noble intransigeance (qui se traduit par une attitude totalement cohérente, il a renoncé à beaucoup de choses, y compris financièrement, pour pouvoir continuer à défendre ses convictions), Gnocchi dit des choses essentielles.
Il utilise souvent des néologismes, pour traduire sa pensée. Je les ai conservés volontairement, les adaptant juste à notre langue - les puristes me pardonneront.

Voici donc sa réponse:

Fuori Moda
La poste d'Alessandro Gnocchi


19 mai 2016
www.riscossacristiana.it
(ma traduction)

* * *

Cher B*,

(...) Ce que vous dites résume bien l'humeur d'un certain monde, que par commodité nous pouvons appeler traditionaliste, qui n'a pas encore compris ce qui se passe à l'extérieur et surtout au sein de l'Eglise.

Partons donc de la question finale, qui semble être devenue la mère de toutes les questions et le père de tous les arguments. J'ai passé mon adolescence, ma jeunesse et une grande partie de mon âge adulte à expliquer que l'accusation d'être un fasciste ne me dérange absolument pas, au contraire; imaginez alors si l'accusation d'être "divisif" me met en difficulté! Bien sûr que je pense être "divisif", et je dirais plus: je pense qu'il est de mon devoir de l'être.

Dans un moment aussi dramatique, confus et privé de points de référence, la plus grande charité qu'on puisse exercer est celle de la clarté. Et la clarté apporte toujour la division. Rappelez-vous ce que dit Jésus dans l'Evangile de saint Luc: «Pensez-vous que je sois venu donner la paix sur la terre? Non point, vous dis-je, mais bien la division. Car, désormais, cinq dans une maison seront divisés: trois contre deux, et deux contre trois. Ils seront divisés: père contre fils et fils contre père, mère contre fille et fille contre la mère, belle-mère contre sa belle-fille et belle-fille contre la belle-mère» (Luc 12, 49-53). Si l'on considère les circonvolutions et les artifices dialectiques avec lesquels tant de miséricordieux exégètes ont essayé de stériliser ce concept, on réalise à quel point il est fondamental dans sa clarté sans équivoque. La vérité unit seulement ceux qui la reconnaissent et la font leur, en dépit de toutes les faiblesses d'une nature blessée.

Vous me direz qu'ici, il s'agit seulement de visions stratégiques différentes, de positions tactiques différentes qui visent toutes à gagner le plus grand nombre possible au Christ. Mais alors je vous pose une question: si c'est juste une question de stratégie et de tactique, pourquoi est-ce moi qui suis "divisif" et pas ceux qui pensent différemment de moi?

Comme je l'ai dit, je suis indifférent à cette marque d'infamie qui signe le pire péché selon l'Eglise du troisième millénaire. Disons que je trouve affligeants ces traditionalistes qui, selon le mantra de Jean XXIII, vont à la recherche de ce qui unit plutôt que ce qui divise afin d'«être plus nombreux pour compter plus».
Mais le problème n'est pas là. Pour en faire une question scolaire, et si vous me permettez un jeu de mots, la "divisivité" devrait être divisée à parts égales entre ceux qui pensent différemment.

Le vrai problème réside dans le fait que quand on s'en remet à des tactiques et des stratégies afin d'«être plus nombreux pour compter plus», on finit immanquablement par annoncer aux gens les tactiques et les stratégies à la place de la vérité, et on concède volontairement au monde d'obscurcir le Crucifix en échange d'un peloton de nouvelles recrues. Et soyez même certain que quand on commence en voilant le crucifix en public, on finit toujours par le mettre dans un recoin sombre aussi en privé. Parce que, même dans l'intimité de sa chambre, devant le Crucifix on a peur d'être "divisif" aussi avec soi-même et on préfèrera trouver quelque chose et quelqu'un de plus pacifiant.

Habituellement, à ce stade, les "unitifs" (inclusifs), si on me permet ce terme, sortent l'as de leur manche, l'argument final: la division est le fruit du diable. Franchement, je commence à en avoir la nausée, de ces vestales de l'unité traditionnelle, prêtes à accuser de collusion avec le diable quiconque pense différemment d'elles. Là encore, le raisonnement exposé plus haut s'applique: ne pensent-elles pas, ces angéliques vestales, que ce sont elles qui pourraient être l'instrument du diable, puisqu'elles sont une partie active de la division? Evidemment non, mais ce point est purement académique. La chose la plus grave est qu'en distribuant avec une perfidie généreuse et angélique le "diaballisme" - càd la "divisivité" due au diable -, ces vestales sacrées entendent doser la faculté d'expression entre les interlocuteurs et mettre hors-jeu toute personne qui est en désaccord avec la ligne dictée par elles-mêmes, ou par ceux qui sont pour elles. Habituellement, elles le font discrètement, en privé, en chuchotant et en suggérant. Pour ne pas être "divisif", bien sûr.

Et ainsi, cher B*, on comprend que, comme toujours, de la théorie on passe à la pratique. Derrière les pauvres désistements sur les questions de principe, se manifeste toujours la défense de rentes de situation petites et grandes, mises en danger par la stupidité inconsciente des "diviseurs". Méfiez-vous, cher B*, de ceux qui recherchent ce qui unit plutôt que ce qui divise, parce qu'ils ont toujours quelque chose ou quelqu'un à préserver. C'est en réfléchissant sur cet aspect que j'ai réalisé la vraie radicalité du «Heureux les pauvres»: celui qui n'a rien à défendre est toujours plus libre de suivre la vérité.

En ce qui concerne la confiance à accorder malgré tout à ce Pape et la nécessité de faire ressortir les bonnes choses qu'il dit parfois, je pense que je me suis déjà exprimé. Je ne vois pas de motif suffisant pour approuver le plan de ceux qui veulent détruire l'Église fondée par notre Seigneur, y compris en affectant un respect extérieur, à rengainer au for intérieur à travers la réserve mentale. C'est un sport que je laisse volontiers aux pauvres cléricaux qui habitent aussi les régions de la tradition. Et c'est un sport dangereux parce que même le peu de bien qui sort de la bouche de Bergoglio est souillé par la pensée dont il émane: en tant qu'instrument d'une conception antichristique, il est en fait mauvais.

De déférence en déférence, cher B*, on finit par accepter tout ce qui passe par Sainte Marthe, y compris le diaconat féminin: que seule la fourberie naïve des tradi-cléricaux ne parvient pas à voir comme l'antichambre du sacerdoce étendu aux femmes. Vous verrez, cher B*, en attendant que Bergoglio «en fasse une de vraiment grosse», devant laquelle il sera impossible de se taire, ils finiront par avaler aussi celle-là. Et peut-être même qu'ils seront contents si quelque brave femme, timorée et traditionnelle, endosse les parements sacrés du baroque le plus luxueux pour dire la messe. Afin qu'ainsi - expliqueront-ils, condescendants - «nous puissions changer les choses de l' intérieur». Et ce n'est pas de l'ecclésiologie-fiction, c'est juste l'application au proche avenir du schéma stratégique et tactique adopté jusqu'à présent «pour être nombreux et compter plus».

Pour conclure, une petite remarque sur le «c'est toujours la faute des journaux» , lesquels dans ce cas auraient transformé en dogme une simple déclaration impromptue sur le diaconat féminin. La réalité, cher B*, c'est qu'il s'agit déjà d'un dogme de la néo-église antichristique de la Maison Commune dirigée par Bergoglio: les journaux ont fait leur devoir en le ratifiant et en l'étalant solennellement sous la forme innée de la néo-église: celle d'encyclique médiatique.

Le diaconat, et ensuite la prêtrise, féminine, n'est pas encore officiellement un dogme de l'Église catholique, dont Bergoglio est le chef récalcitrant et presque invisible, mais c'est seulement une question de temps. Les dogmes proclamés par la néo-église antichristique sont proclamés pour éroder ceux de l'Église fondée par le Christ et, il faut le reconnaître, accomplissent efficacement leur tâche. A travers les médias, ils travaillent sur une frange de pasteurs et de fidèles prêts à n'importe quelle innovation néfaste, que parfois mêmes ils pratiquent depuis un certain temps, et dont ils n'attendent que la ratification. Ils ne peuvent pas échouer.

Vous voyez, cher B*, le moment venu, arriveront aussi les femmes prêtres, et personne n'y trouvera rien à redire. Sauf les "divisifs".