Mutinerie à bord d'un navire


Je reçois à l'instant de son auteur, et je publie avec plaisir cette formidable (et très éloquente!) parabole de Denis Crouan (11/12/2016)
(publiée aussi sur son site Pro Liturgia).


>>> Voir aussi: Rome dans l'oeil du cyclone

Cliquez!

Ce jour-là, un nouveau capitaine fut chargé de diriger la vieille embarcation. Peu soucieux de certains usages désuets qui avaient encore cours dans la marine, il parut tout de suite sympathique à l’équipage, n’hésitant pas à abandonner sa tenue galonnée de “seul maître à bord après Dieu” dès lors qu’il fallait aider à hisser les voiles (pas comme son prédécesseur qui restait enfermé dans sa cabine) : avec passion, il disait comment fixer les haubans et tirer sur les drisses. Sur le quai, beaucoup de spectateurs l’admiraient en le voyant faire et donner les ordres. N’était-il pas l’homme de la situation capable de faire enfin naviguer à vive allure cette vieille barcasse qui avait déjà essuyé de si nombreuses tempêtes qu’on n’osait plus guère l’envoyer imprudemment aux périphéries ?
Puis, un jour, constatant que son embarcation n’allait encore pas assez vite à son goût, le nouveau capitaine fit appel à un vieil ami qui, annonça-t-il aux marins, était mieux qualifié que lui pour exécuter certaines manœuvres délicates. Le nouvel arrivé donna des ordres que tout le monde ne comprenait pas toujours ; mais le capitaine était là pour rassurer l’équipage.
Comme le bateau n’avançait toujours pas assez vite, le capitaine eut une idée de génie : enlever le vieux gouvernail qui pesait bien trop lourd et se fier au seul GPS qui venait d’être installé à bord. Ainsi fut fait. Allégée, l’embarcation fila à une meilleure allure... mais sans pouvoir aller “toujours droit devant”, comme dit la chanson, et sans pouvoir éviter les lames qui arrivaient par tribord (i.e. de la droite).
Alors, le capitaine s’en prit aux membres de l’équipage, les accusant d’être à l’origine de la dérive : le second, qualifié d’incapable, fut chargé d’une nouvelle mission : nettoyer le pont ; l’homme de barre - qui n’avait plus rien à faire puisqu’il n’y avait plus de gouvernail - fut envoyé aux cuisines pour y éplucher les patates ; le bosco fut chargé de contrôler les indications du GPS... On allait voir ce qu’on allait voir.
Quelques jours plus tard, on apprit par les médias qu’un naufrage avait été évité de justesse : après s’être mutiné, l’équipage, décidé à ne plus suivre son capitaine de façon irréfléchie, avait décidé de mettre les chaloupes à la mer et d’y arrimer la vieille embarcation pour la remorquer à la force des bras. Ça allait beaucoup moins vite, mais la navigation était nettement plus sûre. Aux dernières nouvelles, il paraît que le capitaine aventureux aurait décidé de repartir dans son pays d’origine pour y prendre un repos bien mérité.

NB: Toute ressemblance avec des faits ou des personnes n’est, bien sûr, que fortuite.