Que la continuité soit !


Ou pourquoi répéter sur tous les tons qu’Amoris Laetitia est dans la continuité du Magistère ne suffit pas à en faire une vérité. Un excellent article du site <Unam Sanctam Catholicam>, qui ne vaut pas que pour l’exhortation post-synodale ! Avis aux pasteurs (13/5/206)

>>> Du même site: Le Pape François et le péché de Saül


Le Concile Vatican I


Le fantasme de la ‘Continuité par décret’
(Fiat Continuity)


6 mai 2016
unamsanctamcatholicam.blogspot.fr
Traduction d'Anna

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Lors du Concile Vatican II, la Déclaration sur la Liberté religieuse Dignitatis Humanæ fit une affirmation très intéressante. Le paragraphe d'introduction dit que le document « laisse intacte ("lascia intatta" dans la version italienne) la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ », et juste après avoir affirmé que la doctrine catholique reste intacte, se poursuit en proposant, au fil de quinze chapitres, des choses qui n'avaient jamais été dites auparavant, dans aucun organe officiel de l'enseignement catholique. Les théologiens se sont depuis lors empêtrés en essayant d'imaginer comment un document aussi nouveau pourrait être concilié avec la tradition - comment un tel document pourrait laisser la doctrine catholique "intacte" tout en paraissant la renverser à chaque paragraphe.

Cela ne gêne pas tout le monde. Beaucoup se contenteront de considérer l'affirmation de la Déclaration selon laquelle la doctrine traditionnelle reste "intacte" comme établissant le fait, comme si la simple affirmation de continuité était tout ce qui compte.

Un exemple récent, ce sont les déclarations improvisées du Pape François sur l'intercommunion entre Luthériens et Catholiques. Après qu'il ait apparemment laissé entendre que les Luthériens pourraient recevoir la Communion dans l'Église Catholique si leur conscience le leur dicte, le Cardinal Gerhard Müller est intervenu pour limiter les dégâts. Mais plutôt que d'expliquer comment les affirmations du pape pourraient se concilier avec la doctrine catholique, il s'est limité à déclarer qu'elles étaient en ligne avec la doctrine catholique et que d'autres conclusions étaient des "malentendus" - sans jamais aborder les réelles affirmations du pape (Voir ici notre article pour un examen plus détaillé de ce problème).

Mais qui s’en soucie ? Müller a déclaré la continuité, donc la continuité est établie.

Un exemple plus récent est le brouhaha autour d'Amoris Lætitia. Pour tout vous dire: je n'ai pas lu Amoris Lætitia. Peut-être un jour. Franchement, j'ai mieux à faire de mon temps.
Toutefois, j'ai jeté un œil à certains des passages douteux, notamment la très controversée note 351. Et j'ai lu de nombreux commentaires à son sujet. D'après ce que je vois, mon opinion est assez conforme à ce qu’Ed Peters a écrit dans son blog il y a un mois. Peters n'est certes pas un traditionaliste, mais il signale des problèmes réels et significatifs dans le document, concernant ses hypothèses et les confusions inhérentes. D'autres critiques ont fait d'autres suppositions sur les implications du document (qu'il permet une marge de manœuvre pour la communion aux adultères, qu'il adopte implicitement une théologie morale du gradualisme, qu'il abaisse les obligations du mariage chrétien au niveau d'un idéal, etc.).

Je n'affirme aucune de ces choses, surtout n'ayant pas lu le document. Mais d'autres l'ont fait, comme Athanasius Schneider (cf. Clarifier pour éviter la confusion générale), qui a dit que le document était susceptible d'interprétations erronées et avait besoin de clarifications.

Or, les affirmations du Magistère ne nécessitent pas toutes une apologétique détaillée pour chaque phrase. Mais j'ajouterais que de temps en temps elles en nécessitent, surtout en des époques de grande confusion. S'il y a une grande confusion sur comment un document est en continuité avec la tradition, le Magistère devrait expliquer comment il est en continuité.

Mais trop souvent la position officielle est de se limiter à affirmer que le document est dans la continuité, sans prendre la peine de nous en donner les détails - sans expliquer comment.
Suivant le précédent de Dignitatis Humanae, c'est comme s'ils croyaient que le simple fait d'affirmer la continuité en établit la réalité. Au cours des années ils ont fini par ne plus cerner les éléments de continuité, se bornant juste à la proclamer. Peu importe comment. Peu importe que des théologiens qualifiés, des canonistes et des évêques ne parviennent toujours pas à comprendre dans quel sens les documents assurent la continuité. Continuité a été déclarée, ergo elle existe par fiat magistériel.

C’est le cas avec Amoris Lætitia. Le Cardinal Müller se prononce et affirme qu'Amortis Lætitia est en parfaite continuité avec la tradition. Il dit que François n'a pas voulu remettre en cause l''enseignement de ses prédécesseurs. D'accord. Mais qu'en est-il des passages qui semblent contredire Familiaris Consortio et Sacramentum Caritatis, comme - vous le savez bien - la note 351? Le cardinal affirme que la note 351 ne fait que des remarques très générales et c'est à peu près tout ce que nous devrions en retirer, « sans aller dans le détail ». Sans aller dans le détail? Mais Monsieur, le détail est ce dont nous avons besoin ici.

Il réaffirme ensuite tout simplement l'enseignement traditionnel et dit qu' Amoris Lætitia « ne touche pas à la discipline précédente ». Son seul autre commentaire à la note est que si le pape avait cru qu'elle fût si importante, il ne l'aurait pas fait figurer comme une simple note.

Rien de tout cela n'analyse vraiment ce que le pape a dit, ni n’explique comment ce serait dans la continuité; Müller ne voulait, après tout, que le discuter « sans aller dans le détail ». Mais qu'importe? Continuité est déclarée. Le fait est établi.

Le Cardinal Burke est un autre exemple. Son essai sur Amoris Lætitia (cf. texte complet en français : Le Cardinal Burke sur Amoris Laetitia) affirme que « la tâche des pasteurs et des autres maîtres de la foi est de la présenter dans le contexte de l'enseignement et de la discipline de l'Église». Je suis entièrement d'accord. Mais, Monsieur, lorsque nous ne comprenons pas comment concilier certaines affirmations avec l'enseignement et la discipline de l'Église, vous devez nous dire comment.

Alors qu'il a admirablement répondu à la fausse affirmation que le mariage chrétien ne serait qu'un idéal, Burke omet lui aussi de nous offrir une quelconque manière de concilier les intentions du Pape avec la tradition. Il dit:

« La doctrine officielle de l'Église fournit en effet une clé d'interprétation irremplaçable à l'exhortation apostolique post-synodale, si bien qu'elle peut réellement aider au bien de tous les fidèles, les unissant de plus en plus étroitement au Christ qui seul est notre salut. Il ne peut pas y avoir d'opposition ou de contradiction avec la doctrine de l'Église et sa pratique pastorale ».

Oui! Il ne peut pas y avoir d'opposition entre doctrine et pratique. Maintenant, expliquez s'il vous plaît comment le document ne crée pas une telle opposition. Le simple fait d'affirmer qu'il n'y en a pas n'établit rien du tout.

Vous ne pouvez pas créer la continuité en disant qu'elle existe. Vous ne pouvez pas nous dire que l'enseignement traditionnel est intact alors que le contexte des mots semble suggérer le contraire - et si nous nous trompons, alors s'il vous plaît expliquez-nous comment. Expliquez-nous s'il vous plaît comment les choses ne sont pas dans la discontinuité. Vous ne pouvez pas créer la continuité par décret. Vous ne pouvez pas faire passer un fantasme pour la substance.