Revoilà Küng!



Il a écrit au Pape pour demander une réflexion sur l'infaillibilité pontificale, et celui-ci lui a répondu (29/4/2016)

 

Dans son analyse couplée d'Evangelii Gaudium/Amoris laetitia, le Père Scalese, citant le n.32 de la première exhortation, écrivait:

«Dans les lignes programmatiques d'Evangelii gaudium, on peut identifier une autre thématique, qui jusqu'à présent n'a pas été spécifiquement affrontée, mais dont on peut prévoir qu'elle sera mise au plus vite à l'ordre du jour, la "conversion de la papauté"».

Et il notait que «déjà au début de l'exhortation, François avait anticipé dans quel sens il interprète cette "conversion de la papauté"»:
Je ne crois pas non plus qu’on doive attendre du magistère papal une parole définitive ou complète sur toutes les questions qui concernent l’Église et le monde. Il n’est pas opportun que le Pape remplace les Épiscopats locaux dans le discernement de toutes les problématiques qui se présentent sur leurs territoires. En ce sens, je sens la nécessité de progresser dans une “décentralisation” salutaire. (EG, n. 18)

C'est le fameux débat sur la synodalité, qui touche forcément au dogme de l'infaillibilité papale.
Et c'est là que (surprise!) l'inneffable Küng, toujours présent lorsqu'il s'agit de saper l'Eglise de l'intérieur, fait son entrée sur la scène: il a écrit au Pape, et celui-ci lui a répondu.

Infaillibilité: Kung interprète le Pape (à sa manière)


Lorenzo Bertocchi
www.lanuovabq.it
29/04/2016
Ma traduction


En mars dernier, Hans Kung, le théologien allemand «dissident» avait publié le 5ème volume de ses œuvres complètes et il avait saisi l'occasion pour lancer un appel au Pape François. Pour qu'il ouvre une «discussion libre» sur ce que lui considère comme «un problème», à savoir le dogme de l'infaillibilité du Pape.
La Bussola avait rapporté la nouvelle dans une interview au théologien dominicain le Père Roberto Coggi, lequel avait clairement indiqué qu'aucun dogme, par définition, n'est réformable. Déjà le fait d'en discuter est un problème.
Mais aujourd'hui, la question de Kung redevient d'actualité, puisque François a répondu à son appel par une lettre.

Le texte de la lettre du pape à Kung n'a pas été divulgué - «en raison de la confidentialité que je dois au Pape» - mais le théologien a diffusé à travers l'orbe catholique un communiqué de presse où il rend compte de cette lettre et dit que «François n'a fixé aucune limite à la discussion» et «a de toute évidence lu attentivement l'appel». «Je pense qu'il est maintenant indispensable - ajoute Kung dans le communiqué - d'utiliser cette nouvelle liberté pour poursuivre la réflexion sur les définitions dogmatiques, qui sont une source de controverse au sein de l'Eglise catholique et dans son rapport avec les autres églises chrétiennes. Je ne prévoyais pas toute cette nouvelle liberté que François a ouverte dans son exhortation post-synodale Amoris laetitia . (...) François ne veut plus être le seul porte-parole de l'Eglise. C'est le nouvel esprit que j'ai toujours attendu du magistère».

Certes, il est très difficile de penser que le Pape veut ouvrir une discussion sur ce qui ne peut pas se discuter, tout au plus, le sujet pourrait être un autre. Ceux qui suivent en détail le pontificat de François savent bien que la synodalité/collégialité est au cœur de son action pour réformer la papauté. On peut le percevoir depuis l'exhortation Evangelii gaudium, mais aussi par de nombreux gestes qu'il a faits. Personne ne pense que le pape veut changer directement, ou pire abolire, ce qui ne peut être réformé, mais Bergoglio est le pape de la synodalité, d'une nouvelle relation entre le «centre» (la Curie romaine) et la «périphérie» (les évêques et les conférences épiscopales); et il tente d'ouvrir les portes sans changer la doctrine, dans ce qu'il appelle «conversion pastorale papauté» (Voir. EV n. 32).

«Il n'est pas opportun que le Pape se substitue aux épiscopats locaux dans le discernement de toutes les problématiques qui se présentent dans leurs territoires» , écrivait-il dans Evangelii gaudium. «Dans ce sens, je sens la nécessité de procéder à une salutaire "décentralisation"».
Il convient de souligner que ce «mandat», il l'avait également reçu au Conclave où son élection avait mûri, entre autre, dans un climat d'aversion pour le travail de la Curie romaine, submergée par des scandales fortement médiatisés (Vatileaks, pédophilie). En outre, il faut noter que les poussées vers la «démocratisation» de l'Eglise selon une clé synodale vient de loin, depuis les années suivant immédiatement le Concile, quand les cercles les plus progressistes de l'Eglise, parmi lesquels le fameux «Groupe de Saint-Gall» incluant les cardinaux Martini, Kasper et Danneels, poursuivaient un agenda très riche à ce sujet. Le théologien Kung a certainement été un fer de lance de ces milieux.

Dans le cadre d'une plus grande collégialité/synodalité dans l'Église, il y a aussi d'autres considérations qui en dérivent dans le domaine de l'oecuménisme. Ce n'est pas un hasard si François dans l'interview accordée à la Civiltà Cattolica en Septembre 2013 (1) a cité le "Document de Ravenne" (DR) , un texte qui a vu le jour précisément dans le cadre du dialogue entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe en 2007. Le pape indique ce texte qui «pose l'interdépendance mutuelle de la primauté et de la conciliarité au niveau local, régional et universel», de sorte que «la primauté .. doit toujours être vue dans le contexte de la conciliarité et, de même, la conciliarité dans le contexte de la primauté» (DR n. 43). Une vision qui «donne un dynamisme à la manière de concevoir le ministère pontifical dans une projection vers un avenir que tous les fidèles voudraient voir réalisé» (ndt: cf. www.chiesa). La référence indirecte, au-delà des questions œcuméniques, est une nouvelle fois à la collégialité épiscopale et à son articulation avec la primauté de Pierre (et donc aussi avec l'infaillibilité du Pape).

C'est précisément la réforme de la papauté dans le sens collégial, que François témoigne vouloir poursuivre, qui pourrait être la cause indirecte de la réponse que François lui-même a envoyé à Küng. Quant à Küng, il faut souligner que son ecclésiologie a déjà été rappelée à l'ordre officiellement par la Congrégation de la Doctrine de la Foi dans un Monitum de 1975. En particulier, les fidèles étaient mis en garde contre certaines opinions qui entraient en conflit avec la doctrine catholique et que le même Kung avait exprimé dans des livres aux titres sans équivoque: "L'Eglise" et "Infaillible? Une question". L'ecclésiologie que Kung a toujours préconisée convergeait, au vu de détails spécifiques, vers une primauté doctrinale du pape qui devrait se présenter sous une forme différente et avec d'autres fonctions, également en vue de l' unité œcuménique.

Le contexte était celui d'une démocratisation substantielle de l'Église où le Pape avant d'agir, surtout "ex-cathedra", devrait d'abord consulter les évêques et au-delà. Le Pape François, en revanche, dans son discours de clôture du Synode en 2014, a cité très clairement le Code de droit canonique, pour dire que le Successeur de Pierre est «le garant de l' obéissance et de conformité de l'Eglise à la volonté de Dieu, à l'Evangile du Christ et à la Tradition de l'Eglise, tout en étant, par la volonté du Christ lui- même, le "pasteur et docteur suprême de tous les fidèles" (Can . 749) et tout en jouissant de "la puissance ordinaire qui est suprême, complète, immédiate et universelle dans l'Eglise"(cf. Cann. 331-334) » (2)

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NDT:
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(1) w2.vatican.va...intervista-spadaro
Le pape répond à une question du Père Spadaro:
« Comment concilier harmonieusement le primat de Pierre et la synodalité ? Quels chemins peuvent être pratiqués, et ce dans une perspective œcuménique ? ».

« On doit marcher ensemble : les personnes (la gente), les évêques et le Pape. La synodalité se vit à différents niveaux. Il est peut-être temps de changer la manière de faire du Synode, car celle qui est pratiquée actuellement me paraît statique. Cela pourra aussi avoir une valeur œcuménique, tout particulièrement avec nos frères orthodoxes. D’eux, nous pouvons en apprendre davantage sur le sens de la collégialité épiscopale et sur la tradition de la synodalité. L’effort de réflexion commune, qui prend en considération la manière dont l’Église était gouvernée dans les premiers siècles, avant la rupture entre l’Orient et l’Occident, portera du fruit en son temps. Ceci est important pour les relations œcuméniques : non seulement mieux se connaître, mais aussi reconnaître ce que l’Esprit a semé dans l’autre comme un don qui nous est aussi destiné. Je veux poursuivre la réflexion sur la manière d’exercer le primat de Pierre, déjà initiée en 2007 par la Commission mixte, ce qui a conduit à la signature du Document de Ravenne. Il faut continuer dans cette voie ».

Je cherche à comprendre comment le Pape voit l’avenir de l’unité de l’Église. Il me répond : « Nous devons cheminer unis dans les différences : il n’y a pas d’autre chemin pour nous unir. C’est le chemin de Jésus ».

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(2) C'était dans un contexte très particulier, où il s'agissait de mater la dissidence, réduisant au silence les Pères opposés aux changements - càd en désaccord avec certaines "avancées" - en leur opposant es règles - réputées pour eux intouchables !