Une histoire de chapiteaux


François, dans son discours informel de jeudi dernier dernier à St-Jean de Latran a évoqué un chapiteau de la Basilique de Vézelay. Explications... et énigme (20/6/2016)

>>> Cf.
Nouvelles et inquiétantes perles bergogliennes

Dans l'article que j'ai traduit hier, Antonio Socci écrivait:

Il est extraordinaire - pour un pape - de confondre le diable (au double visage) avec Jésus. C'est arrivé jeudi quand Bergoglio a évoqué de façon erronée un chapiteau de la cathédrale du Vézelay: un "échange de personnes" emblématiques de ce pontificat, bien que probablement dû à quelque ghostwriter superficiel.
En revanche, le fait de les confondre (Jésus et le diable), et même d'envisager que Judas soit sauvé (sans s'en s'être repenti) donnant à comprendre que même lui n'a pas fini en enfer, est bel et bien de son cru.



Je me proposais de faire une petite recherche sur le chapiteau, et déjà de traduire la partie du discours du Pape où il en était question, mais comme je voulais poster ma traduction du texte de Socci dans la soirée, je n'en ai pas eu le temps.
Pour commencer, voici ce qu'a dit le Pape, dans la version (dont nous savons qu'elle a été révisée) officielle figurant sur le site du Vatican:


Mi è venuta tra le mani – voi la conoscete sicuramente – l’immagine di quel capitello della Basilica di Santa Maria Maddalena a Vézelay, nel Sud della Francia, dove incomincia il Cammino di Santiago: da una parte c’è Giuda, impiccato, con la lingua di fuori, e dall’altra parte del capitello c’è Gesù Buon Pastore che lo porta sulle spalle, lo porta con sé. E’ un mistero, questo. Ma questi medievali, che insegnavano la catechesi con le figure, avevano capito il mistero di Giuda.

J'ai eu entre les mains - vous la connaissez certainement - l'image de ce chapiteau de la Basilique de Sainte Marie-Madeleine à Vézelay, dans le sud de la France, où commence le Chemin de Saint Jasques de Compostelle: d'un côté il y a Judas, pendu, avec langue dehors, et de l'autre côté du chapiteau, il y a Jésus, le Bon Pasteur, qui le porte sur ses épaules, le porte avec lui. C'est un mystère, cela. Mais ces médiévaaux, qui enseignaient le catéchisme avec les images, avaient compris le mystère de Judas...



Un lecteur, Pierre, a fait à ma place ce que j'avais négligé de faire. Voici les fruits de sa propre recherche:


Je suis allé voir le texte du pape du 16 juin, intrigué par le passage sur le chapiteau de Vézelay. Avez-vous remarqué déjà l’énorme bourde: Vézelay dans le sud de la France! On savait qu’il ne connaissait pas la France, mais qui donc prépare ses discours? Personne ne l’a remarqué?

Je ne suis pas un spécialiste des chapiteaux de Vézelay, j’ai donc dû faire une recherche sur internet, il me semble que c’est ce chapiteau:

On voit bien Judas pendu d’un côté, de l’autre son corps transporté sur le dos d’un jeune homme. Qui est-ce jeune homme (imberbe, cheveux bouclés)? mystère. Je n’ai pas trouvé d’avis autorisé de spécialiste de la question. Mais grâce à Google j’ai une conjecture sur l’origine de la suggestion du pape selon laquelle ce serait Jésus, le Bon Pasteur: un livre d’un jésuite (!) qui enseigne à Bruxelles, "Alban Massie, L’évangile de Judas décrypté", qui porte sur l’évangile (apocryphe) de Judas, et qui est un texte gnostique.
Je n’ai pas lu le livre, mais je crois avoir trouvé le passage incriminé qui a pu inspirer Georges-Marius Bergoglio, à la page 81:

 


J’ai trouvé encore d’autres allusions à cette hypothèse dans différents textes.
Je pose la question de l’interprétation du chapiteau, qu’est-ce que l’artiste a voulu représenter? Pas la question théologique et exégétique de savoir si Judas est en enfer (ce qu’une tradition constante a tout de même affirmé). Le jeune homme qui porte Judas n’a ni la tête du Christ ni celle du diable!

Or si je comprends bien Antonio Socci considère comme acquis que ce jeune homme n’est pas le Christ, mais le diable! ce qui change tout! Mais je ne trouve aucune référence dans ce sens.


A ce stade, l'énigme de l'identité de l'homme en portant un autre sur ses épaules (qui évoque curieusement le logo de l'Année de la miséricorde...) restait intacte.

Au moment où j'achève la rédaction de ce texte, je découvre qu'Yves Daoudal a lu lui aussi l'article de Socci et propose sa propre interprétation: .
Je laisse de côté la partie de son article concernant Judas (qui devrait faire l'objet d'un article à part!).

 

(...) Quant au chapiteau de Vézelay, il a fallu attendre le XXe siècle pour que des historiens de l’art, à la recherche de nouveautés incongrues, décident d’y voir « le bon pasteur ». Ce qui a été repris par Eugen Drewermann, théologien hétérodoxe d’extrême gauche condamné par Rome en 1992 (curieuse référence pour un pape). Jésus prend sur lui le corps de Judas : l’artiste de Vézelay a voulu montrer que Jésus n’a pas condamné Judas mais au contraire l’a sauvé.

Vouloir donner à un artiste du XIIe siècle les pensées d’un théologien déviant du XXe, c’est assez fascinant. Mais évidemment ça ne tient pas debout.

Car ce qui est clair est que le mystérieux personnage du chapiteau n’est pas le Christ. Premièrement à cette époque-là il n’y avait guère de représentations du « Bon Pasteur » (il n’y en a ni à Vézelay ni à Autun). Deuxièmement le Christ est toujours représenté avec une barbe (ce qui n’était pas le cas du Bon Pasteur… au IVe siècle). Troisièmement il aurait été incongru de représenter le Christ imberbe, vêtu d’une simple tunique, pieds nus, et avec une telle tête, la bouche de travers…

A vrai dire il n’y a rien qui n’indique non plus qu’il s’agisse du diable, comme l’affirme Socci. Il me semble qu’il s’agit d’un anonyme qui va enterrer Judas parce que tout le monde, même le pire salopard, doit avoir une sépulture.



Voilà où en est l'"enquête", à ce stade.
On aimerait bien savoir d'où Antonio Socci tient cette identification du mystérieux personnage avec le diable, car elle ne saute pas aux yeux.
Mon amie Marie-Christine, exclut elle aussi qu'il puisse s'agir du Christ, qui, me dit-elle, "dans l'art roman est toujours représenté avec l'auréole crucifère"; par contre, elle y voit clairement le Bon Samaritain.

La conclusion (provisoire) est que François, une fois de plus, s'est trompé. Pas grave, ne manqueront pas de dire les habituels "escaladeurs de miroir". On ne demande pas au Pape d'être un savant (c'est vrai... mais il est aussi vrai que Benoît XVI nous avait trop bien habitués.). Il n'empêche qu'au-delà de la douteuse interprétation théologique (le salut de Judas), il a prouvé une fois de plus qu'il ne maîtrise pas les sujets qu'il aborde, impliquant que les gens qui écrivent pour lui les discours, ou les canevas de discours pourraient lui faire dire n'importe quoi. Ici, du reste, rien ne l'obligeait à faire étalage d'une culture artistique qu'il ne possède à l'évidence pas - sans parler de son ignorance embarrassante en géographie.